Les questionnements du « groupe inter »

Ainsi, à partir de la constitution du « groupe-inter », les prises de position ont fédéré les « militantismes » de membres émanant des deux principales confessions chrétiennes visibles en France. Les membres du groupe expriment dans une lettre de présentation datée du 15 janvier 1979 leur implication vis-à-vis de la question de l’apartheid :

‘« L’apartheid nous concerne en tant que Français comme il concerne tous les hommes. Mais il nous concerne plus encore en tant que chrétiens. Pouvons-nous rester en paix tant qu’un seul homme est bafoué dans sa dignité ? […] Ce qui se passe en Afrique australe, et particulièrement en Afrique du Sud, revêt un caractère spécifique puisque l’on dénie à un homme d’avoir des droits, à cause de sa race, de sa couleur. Cela se pratique au nom de « l’Occident chrétien » dont se réclame le régime sud-africain, et la Bible est invoquée pour le justifier […]. Le groupe œcuménique Afrique australe se propose d’aider les chrétiens de France à mieux comprendre ce qui se passe en Afrique du Sud et à engager une action à leur niveau1028 ».’

Les 21 et 22 septembre 1979, la commission revient lors de sa réunion sur la constitution du groupe-inter et précise les raisons d’une telle formation :

‘« L’apartheid reste une question difficile à aborder concrètement. Les propositions d’actions faites par le MRAP et/ou par le CAO ne conviennent pas à un organisme d’Eglise, tant en raison des mobiles et des intérêts politiques qui les sous-tendent qu’en raison des moyens mis en œuvre1029 ».’

Cette déclaration témoigne parfaitement de la difficulté pour les chrétiens de traiter de la question sud-africaine en raison de ses natures multiples. Mais un tel « aveu » témoigne également des multiples interrogations concernant la participation des chrétiens aux mouvements anti-apartheid existant en France, ces derniers, dans un esprit nettement politisé, mettant en place des actions concrètes et virulentes pouvant aborder la question des sanctions et des désinvestissements avec moins de scrupules que ceux qui peuvent apparaître chez des chrétiens membres d’institutions plus ou moins frileuses sur cette question…

La prudence reste cependant de mise concernant certains points particuliers touchant à la mobilisation. En effet, les 11 et 12 novembre 1978, le groupe œcuménique participe au IIIème Congrès de la Campagne anti-Outspan (CAO) qui se tient à Massy. Le pasteur Guiraud intervient lors du Congrès au nom du groupe et représente ainsi la voix des chrétiens mobilisés. Le but est de présenter les actions du groupe. Son intervention met bien en évidence le caractère nécessairement spécifique des chrétiens. L’action du groupe s’articule autour de plusieurs points : étude de l’apartheid, sensibilisation dans les milieux chrétiens (animations, dossiers…), contacts avec responsables d’Eglises noirs et mouvements de libération, lettres, communiqués, collaboration avec tous les organismes qui luttent contre l’apartheid (CAO, MRAP, Commission d’enquête sur l’apartheid…). Les chrétiens devront aussi s’attacher à analyser « les phénomènes chrétiens en Afrique du Sud puisque certains chrétiens portent une lourde responsabilité » et en détectant les « causes de ces déviations 1030»…

D’une manière très précautionneuse, le pasteur Guiraud met l’accent sur le fait que la question de l’apartheid doit être abordée sous son angle moral avant tout. Il juge utile de préciser aux militants de la CAO que les prises de position du groupe en matière économique ne sont pas prioritaires :

‘« La question des investissements est et ne sera qu’une partie de notre action. Les participants au groupe œcuménique ont bien d’autres secteurs d’actions (lutte pour le développement, droits de l’homme…) […]. Nous continuerons à être aux côtés de ceux qui combattent les investissements français en Afrique du Sud et notre présence à cette table l’exprime clairement dans cette solidarité des hommes de bonne volonté1031 ».’

Le groupe œcuménique peine à proposer une ligne de conduite claire concernant les questions économiques. Si le groupe accepte de collaborer avec les groupes de militants laïcs, il précise bien que son action en matière économique ne relève pas de son domaine premier. Il ne se privera cependant pas de se positionner sur une question essentielle, celle touchant les relations économiques entre la France et l’Afrique du Sud.

Notes
1028.

Le groupe œcuménique Afrique australe, lettre du 15 janvier 1979.

1029.

Compte-rendu de la réunion bilan/projets, 21 et 22 septembre 1979, CJP/79/50.

1030.

« Les chrétiens et l’Afrique du Sud : intervention du pasteur P.Guiraud au nom du groupe œcuménique Afrique australe au IIIème congrès du Mouvement anti-apartheid (CAO) », 11-12 novembre 1978 (Massy).

1031.

Ibid.