La voix du groupe inter lorsque la répression s’abat sur les opposants au système d’apartheid

Un an plus tard, le groupe œcuménique fait entendre de nouveau une voix unanime à la suite des mesures de répression qui frappent en octobre 1977 18 organisations anti-apartheid dont 17 proches du mouvement de la « Conscience noire ». La commission « Justice et Paix », le groupe de la CSEI chargé de l’Afrique du Sud, la Cimade et le CCFD s’expriment par la voix de leurs représentants respectifs : Jacques Ménager (archevêque de Reims, président de « Justice et Paix »), Madeleine Barot (secrétaire du groupe « Afrique du Sud » de la FPF), Roby Bois (secrétaire général de la Cimade) et Philippe Farine (président du CCFD). Ces derniers posent en effet leur signature au bas d’une lettre qu’ils adressent au premier ministre John Vorster et dans laquelle ils condamnent la pratique de la répression exercée par son gouvernement :

‘« Ces diverses organisations et leurs responsables menaient une lutte courageuse pour changer une situation devenue intolérable : le gouvernement sud-africain croit-il que c’est en les réduisant au silence qu’il va ramener la paix et instaurer la justice ?
En lien avec nos Eglises respectives, nous tenons à exprimer notre émotion devant ces mesures de répression sans précédent1037 ».’

Les signataires se placent donc clairement du côté des organismes menant une lutte contre le système de l’apartheid et défendant ainsi le droit aux Noirs opprimés de manifester leur contestation au sein d’organismes qui peuvent délivrer un discours radical comme c’est le cas pour la Conscience noire. Il est certain que la mort de Steve Biko intervenue quelques semaines avant cette répression a déjà pu susciter chez les Français la prise de conscience que l’attitude du gouvernement sud-africain vis à vis des mouvements contestataires devait être dénoncée sans détour. Cette lettre démontre ainsi la volonté pour les chrétiens français mobilisés d’interpeller directement le représentant d’un régime politique tyrannique et violent :

‘« Nous vous demandons instamment, Monsieur le Premier ministre, de relâcher les personnes arrêtées dont le crime est de vouloir changer une situation fondamentalement injuste et connue comme telle à travers le monde. Nous vous demandons de laisser à la communauté africaine noire et aux organismes multiraciaux leurs légitimes moyens d’expression1038 ».’

Le ton adopté est donc direct et réclame un changement rapide afin que soit mis fin à un régime injuste et violent qui constitue une atteinte grave aux droits de l’homme. Dans ce sens, il apparaît légitime aux Eglises de se manifester, mais l’implication devient ici plus concrète et efficace puisqu’elle entre dans le champ politique, par la mise en cause directe de la politique du régime de Pretoria et des mesures de répression.

A l’occasion de la journée mondiale contre les discriminations décidée (21 mars) par les Nations Unies (pour commémorer l’anniversaire des émeutes de Sharpeville), le groupe inter participe à la rédaction d’un texte publié sous le titre Voici l’homme 1039 . S’il est une condamnation générale de toutes discriminations et répressions, ce document est, par la date de sa publication, une référence au régime de Pretoria et à la politique d’apartheid.

Sur le modèle du COE, qui réagit systématiquement aux événements touchant à la répression exercée à l’encontre des militants anti-apartheid en Afrique du Sud, les catholiques et réformés français mobilisés autour de la question sud-africaine continuent à réagir dans les années 80 contre la rigidité du régime, la promulgation de nouveaux états d’urgence au milieu de cette décennie et la répression à l’intérieur du pays. Mais un événement survenu à Paris va particulièrement mobiliser ces groupes à savoir l’assassinat, le 29 mars 1988, de la représentante de l’ANC Dulcie September, témoigne du fait que la répression à l’encontre des opposants peut aussi s’exercer à l’extérieur de l’Afrique du Sud…

Cet assassinat perpétré sur le sol français entraîne rapidement une réaction de tous les groupes mobilisés. Mgr Fauchet (« Justice et Paix »), René Valette (président du CCFD), Michel Wagner (président de la CSEI) et Marc Brunschweiler (secrétaire de la Cimade) s’expriment dans une déclaration commune le 30 mars 1988 pour réagir contre l’assassinat de Dulcie September et témoigner de leur volonté commune de s’unir pour aboutir à une transformation de la société sud-africaine :

‘« Tous les efforts doivent s’unir pour :
-Résister vigoureusement aux efforts de propagande et de séduction déployés, en France comme ailleurs, par le gouvernement sud-africain pour justifier l’injustifiable.
- Apporter un soutien aux témoins et aux militants qui luttent contre l’apartheid.
- Faire aboutir, avant qu’il ne soit trop tard, les changements structurels en Afrique du Sud, qui garantiront les droits et la dignité de tous ses citoyens.
- Demander au gouvernement français d’exercer, sur le gouvernement sud-africain, les pressions économiques et diplomatiques exigées par la situation, et de prendre les mesures appropriées pour assurer aux militants à haut risque le protection dont ils ont légitimement besoin. Faute de quoi, l’indignation contre l’assassinat de Mme Dulcie September resterait sans effet1040 ».’

L’assassinat de Dulcie September donne donc l’occasion de condamner d’une manière globale un système « intolérable pour une conscience chrétienne 1041  ». Les auteurs du communiqué replacent également l’événement dans un contexte plus large, celui de la répression générale exercée dans le pays, pour rappeler qu’ils se joignent à la voix du Conseil sud-africain des Eglises et des évêques sud-africains pour dénoncer la politique du régime de Pretoria. Cependant, il est nécessaire de remarquer que la mobilisation de ces chrétiens français après la mort de Dulcie September témoigne bien de leur volonté de condamner tous types de répression, que cette dernière soit perpétrée à l’encontre de chrétiens ou à l’encontre de militants au sein de groupes de libération qui mènent une lutte armée contre le régime et s’il serait sans doute exagéré de dire que cette déclaration démontre un soutien direct des Eglises à l’action de l’ANC, il est permis de penser que la condamnation de ce type de terrorisme témoigne d’une reconnaissance de la légitimité d’un tel combat.

Notes
1037.

« Une protestation des Eglises françaises », Réforme, 29 octobre 1977, p. 4. La lettre est également reproduite dans un BIP. Voir « Lettre adressée à John Vorster », Bip Snop, n°279, 20 octobre 1977.

1038.

Ibid.

1039.

Compte-rendu de la réunion « bilan/projets » des 15 et 16 septembre 1978, CJP/78/59. Le texte est reproduit dans sa totalité dans La documentation catholique, n°1739, 2 avril 1987. parmi les signataires, citons Mgr Etchegaray et le pasteur Maury.

1040.

« Après l’assassinat de Mme Dulcie September », La documentation catholique, n°1962, 15 mai 1988, col 530.

1041.

Ibid.