1-8 Mgr Fauchet, un évêque mobilisé

Mgr André Fauchet fut président de la commission « Justice et Paix » de 1984 à 1988. Avant de s’impliquer au sein de la commission, il s’était déjà positionné vis-à-vis de la question de l’apartheid au début des années 80. S’étant rendu en Afrique du Sud en 1981 dans le cadre d’un voyage de la CIDSE1098, il avait déjà relevé la difficulté de comprendre les effets réels de l’apartheid sur les populations non-blanches, le « parcage 1099  » des Noirs et des Métis en dehors des villes, et leurs conditions de vie déplorables. Observant le travail de l’Eglise catholique sud-africaine, il déplore son manque de moyens d’actions mais rend hommage à son attitude, notamment à la suite de la nomination d’évêques noirs et de l’ouverture de ses écoles aux enfants noirs. En conclusion, Mgr Fauchet demande une mobilisation de l’Occident dans le but de témoigner de sa solidarité vis-à-vis des peuples opprimés d’Afrique du Sud.

Sa grande clairvoyance et sa mobilisation vont faire de Mgr Fauchet une personnalité de référence concernant la mobilisation des catholiques en faveur de sanctions économiques1100.

Interrogé sur sa position concernant le recours à la violence, sa réponse révèle bien qu’une position tranchée n’est pas possible :

‘« Sur ce point, nous partageons la position des Eglises d’Afrique du Sud qui, tout en soulignant la gravité de la situation et la diminution des chances de solutions, préconisent encore des moyens non violents1101 ».’

Mgr Fauchet respecte et défend donc la ligne de conduite des évêques sud-africains qui préconisent « encore » des moyens d’actions non-violents. Il estime cependant nécessaire de préciser que si les pressions économiques doivent être défendues, ce recours ne doit pas être perçu comme étant synonyme de passivité. D’autre part, il est d’après lui légitime pour les Eglises de prendre parti. Cette position de « rupture » avec le principe évangélique de réconciliation, érigé comme principe absolu, mérite d’être signalée, car elle reste minoritaire au sein de l’institution catholique française.

Dans le même esprit, la non-violence doit être privilégiée, mais ne doit pas être synonyme de passivité. La commission « Justice et Paix » va donc se mobiliser en étant particulièrement sensible au message de Desmond Tutu qui milite en faveur de l’adoption de mesures économiques à l’encontre de l’Afrique du Sud dans un style s’avérant pourtant plus ferme que celui des évêques catholiques de ce pays. Mgr Fauchet signale ainsi l’initiative de la commission d’interpeller le premier ministre français Jacques Chirac par l’envoi d’une lettre datée du 3 juin 1986 et il soulèvera l’incohérence de la réponse : si Jacques Chirac précise bien que « la France ne ménagera pas ses efforts pour contribuer à l’abolition de l’apartheid et à la recherche de solutions pacifiques 1102  », il n’est cependant pas prévu d’adopter des mesures concrètes :

‘« La France demeure hostile à l’imposition de sanctions obligatoires et générales contre l’Afrique du Sud qui seraient prises en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies1103 »’

Mgr Fauchet, sans l’exprimer clairement, laisse bien paraître son désaccord vis-à-vis d’une telle attitude politique qui se contente de condamner sans s’impliquer concrètement et il estime nécessaire, afin de prévenir toutes critiques éventuelles, de préciser le fait suivant :

‘« L’Eglise n’a pas compétence pour préconiser tel ou tel type de pressions, mais pour indiquer dans quel sens œuvrer pour que la pression modifie la position de celui qui opprime1104 ».’

La marge d’action des Eglises est donc restreinte. A lire les propos de Mgr Fauchet, elle doit servir de phare et donner des pistes sur les moyens à mettre en oeuvre pour faire fléchir le régime de Pretoria mais ne doit en aucun cas se positionner en faveur de telles ou telles orientations d’ordre politique ou économique.

Cependant, il semble assez vite clair que le président de la commission « Justice et Paix » tient à ce que l’Eglise catholique se positionne favorablement vis à vis de l’adoption de mesures concrètes contre l’apartheid, avant que des moyens plus violents ne soient envisagés par des populations de plus en plus opprimées. A ce propos, la position de Mgr Fauchet se rapproche de celle développée par Pierre Toulat qui, bien que condamnant le recours à la violence, le comprend comme moyen ultime de lutte contre l’oppression et contre un régime tyrannique.

Le long entretien de Mgr Fauchet publié par la revue éditée par le mouvement anti-apartheid français témoigne bien de la place que l’Eglise catholique, et particulièrement la commission « Justice et Paix », a eu à tenir dans la mobilisation contre l’apartheid. Si Mgr Fauchet se positionne implicitement d’une manière politique, il revient en conclusion de son entretien sur la nécessité de témoigner de sa solidarité vis à vis de la mobilisation des évêques sud-africains :

‘« Dans leur lettre pastorale du 1er mai sur l’Espérance envers et contre tout1105, les évêques catholiques d’Afrique du Sud lancent un grand appel à tous pour lutter contre l’apartheid par de grandes actions ou « par des chemins plus modestes ». Nous sommes nous-mêmes interpellés par cet appel 1106 ».’
Notes
1098.

Voir chapitre III, 1.

1099.

« L’apartheid...mais jusqu’à quand ? », La Croix, op.cit., p. 4.

1100.

« La pression économique et la justice (lettre pastorale) », La documentation catholique, op.cit., col 697-699.

1101.

« Mgr Fauchet : « des sanctions pourraient avoir des conséquences effectives importantes » », op.cit., p19.

1102.

Ibid, p. 20.

1103.

Ibid. Selon l’article 41 du chapitre VII de la charte, « le conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques […] ainsi que la rupture des relations diplomatiques ».

1104.

Ibid.

1105.

« Espérance envers et contre tout » (lettre pastorale des évêques d’Afrique du Sud), La documentation catholique, op.cit.

1106.

Ibid.