La Cimade comme interlocuteur

Le 21 décembre 1966, c’est le secrétaire général de la Fédération qui répond au Comité au nom du président. Il indique ainsi que toute collaboration devra se faire avec la Commission des Affaires internationales de la FPF. D’autre part, il signale que « des contacts sont pris avec la CIMADE pour savoir ce qui se fait déjà, et ce qui peut être envisagé pour la défense des victimes de l’apartheid et de leurs familles 1124». La Cimade est donc bien l’organisme qui fédère une implication protestante active vis à vis de l’apartheid. J’ai pu retrouver la lettre que le pasteur A. Nicolas de la FPF a adressée à André Rouverand de la Cimade, l’informant de l’interpellation du Comité anti-apartheid. Il livre ainsi ces doutes à son interlocuteur :

‘« Nous n’en sommes pas encore au stade de la constitution d’un Comité, mais à celui de la réflexion sur son utilité. Car en fait, si un organisme comme la Cimade s’occupe déjà de réfugiés en France victimes de l’apartheid, est-il nécessaire de constituer un autre comité ? Vous avez déjà dû avoir à vous occuper de ce problème. Où en êtes-vous ? Qu’en pensez-vous ?1125 »’

La réponse écrite d’André Rouverand au pasteur Nicolas nous permet d’avoir des informations précieuses sur l’état d’esprit de la Cimade vis-à-vis de l’apartheid, et surtout sur les questionnements concernant les actions à mener sur le sujet. Si André Rouverand admet qu’un comité spécialisé sur l’apartheid aurait une audience plus large et une influence accrue plus grande sur les pouvoirs publics que n’en aurait la Cimade, il livre les doutes suivants concernant l’efficacité d’un tel comité :

‘« Mais concrètement, que ferait-il pour les victimes de l’apartheid chaque jour plus nombreuses sur les trottoirs de Paris ? De plus, l’expérience Cimade nous prouve qu’il faut souvent mieux être discret tant pour les intéressés eux-mêmes que pour les autorités de notre pays lorsqu’on veut rapidement et efficacement faire quelque chose pour les victimes de l’apartheid […]. Ce que nous voudrions éviter aussi, c’est que la Cimade participe à trop de comités et trop d’actions, toutes passionnantes et peut-être nécessaires, mais qui pourraient être au détriment d’un travail en profondeur et, encore une fois, dans une discrétion souvent précieuse1126 ».’

André Rouverand se donnant la peine de préciser qu’il n’y a pas d’urgence à donner une réponse à Jean-Jacques de Felice, il témoigne d’une certaine tiédeur, hésitant à « engager » la Cimade plus activement sur la question de l’apartheid. Il est possible que le danger évoqué par André Rouverand d’un trop grand « éparpillement » de la Cimade dans des actions trop variées, et donc d’une perte d’efficacité, ne soit qu’un prétexte afin de justifier une non-intervention de la Cimade auprès du Comité anti-apartheid. Il apparaît enfin en filigrane que la nature politique de l’apartheid rend encore plus délicate une implication des Eglises française…

Notes
1124.

Lettre du secrétaire de la FPF A.Nicolas à Jean-Jacques de Felice, 21 décembre 1966.

1125.

Lettre du secrétaire de la FPF à André Rouverand (Cimade), 21 décembre 1966.

1126.

Lettre d’André Rouverand au Pasteur Nicolas (FPF), 23 décembre 1966.