La « sortie » des chrétiens du Comité : interrogations

La dernière partie de la lettre touche plus particulièrement à l’engagement des chrétiens au sein du Comité français contre l’apartheid. En effet, Jean-Jacques de Felice met en évidence le fait qu’une action des Eglises serait sans doute plus efficace si elle était menée de manière plus individuelle et indépendante :

‘« Nous pensons que, sur le plan national, les diverses Eglises s’efforceront de faire comprendre cette position, par une information plus méthodique au niveau des paroisses et des fidèles eux-mêmes…1135 ».’

Loin de vouloir se « dégager » de la mobilisation, cette « sortie » du Comité ne pourrait aboutir qu’à une meilleure efficacité. Jean-Jacques de Felice adresse alors cette demande à Madeleine Barot :

‘« Nous avons pensé vous demander - avant toute décision officielle- comment nous pourrions mettre au service de l’Eglise la somme d’expériences, de contacts, de documentation, accumulée au cours de ces années de travail au sein du CFCA (Comité français contre l’apartheid)1136 ».’

Cette lettre témoigne de la volonté de protestants engagés au sein du Comité de mener une action qui serait propre aux Eglises. Loin de démontrer un désengagement, cette volonté témoigne surtout de la volonté de faire preuve d’un engagement plus spécifique des Eglises, loin d’un comité qui pourrait à l’avenir être pris en charge par des « forces politiques » qui lui donneraient une « couleur très précise 1137  »…

Quelques mois plus tard, cette question au sein du protestantisme français est toujours d’actualité puisqu’elle fait l’objet d’une réunion au sein de la FPF le 8 janvier 1974. Le procès-verbal fait notamment état de la présence de M Courvoisier, de Philippe de Felice, des pasteurs Maury et Wagner, de Madeleine Barot et d’Elisabeth Mathiot. La réunion est en quelque sorte une réunion « transversale » qui regroupe des protestants membres de la FPF, de la Cimade et du DEFAP. C’est en fait du regard porté par les Eglises sur le phénomène du racisme dans sa généralité qui est traité lors de la réunion. La question sud-africaine ne doit pas donc pas être traitée de manière exclusive et le pasteur Maury déplore même la place trop importante que le COE laisse au traitement de la question en son sein, réclamant que le problème du racisme soit traité dans son ensemble. La dernière partie du procès-verbal est plus spécifiquement consacrée à l’avenir du Comité anti-apartheid :

‘« Me de Felice est inquiet quant à l’avenir de ce Comité qui semble pourtant appelé à de grandes tâches. Il est conscient d’une certaine fatigue ressentie par ses membres […]. Il pense que les Eglises (protestantes et catholiques) devraient prendre en mains le travail d’information et d’essayer d’influer sur la politique du gouvernement. Puisqu’en Afrique du Sud, c’est la théologie protestante qui est à la base de l’apartheid, il faut qu’une force protestante tente d’éveiller l’opinion publique française1138 ».’

C’est en fait la position des Eglises face à un Comité qui réunit associations, syndicats et partis politiques qui pose question. En fait, les Eglises prennent conscience de la teinte politique que prend le Comité, notamment avec la participation du parti communiste. Sans critiquer ouvertement cette teinte politique et syndicale du Comité anti-apartheid, les protestants pensent que leur participation en son sein devient difficile et optent pour une mobilisation spécifique :

‘« M. Courvoisier propose la constitution d’un groupe de travail qui étudierait la question de l’avenir de ce comité ; les recommandations de ce groupe seraient communiquées aux catholiques afin d’examiner la possibilité d’un nouveau comité pris en charge par les églises 1139».’

Il est proposé qu’un groupe spécifique soit formé dont les membres seraient MM Wagner et Henriet de la Cimade, Mlle Barot, Mme Mathiot, Me de Felice et M. Wolff du Défap. C’est ainsi le commencement d’une mobilisation au sein d’un groupe spécifique chargé d’étudier et de travailler autour de la question sud-africaine.

La collaboration entre les réformés français et le Comité anti-apartheid cesse donc au milieu des années 70. Cette nouvelle orientation naît surtout de la volonté des Eglises, certes de s’écarter d’un Comité regroupant une multitude de partis et associations éloignés d’elles, mais surtout de mener une action spécifique. C’est la Commission sociale, économique et internationale (CSEI) qui prendra donc en charge la question à partir des années 70. Mais dès les années 60, l’Afrique du Sud a été un sujet présent et évoqué au sein de la FPF, preuve d’une mobilisation précoce en son sein.

Notes
1135.

Ibid.

1136.

Ibid.

1137.

Ibid.

1138.

Procès-verbal de la réunion sur le racisme en France et l’avenir du Comité anti-apartheid tenue le 8 janvier 1974, 4 p.

1139.

Ibid.