2-2 Les premières mobilisations au sein de la Fédération protestante

La question sud-africaine est abordée officiellement au sein de la FPF en 1964. Mais plusieurs personnalités, au sein de la famille réformée française, s’étaient déjà engagées avant cette date. Citons par exemple la mobilisation de Georges Mabille qui, en 1947, avait créé le centre interracial de Wilgespruit. Si Georges Mabille s’engagea directement en Afrique du Sud, on peut penser que sa prise de conscience a eu des répercutions chez ses frères français…

La première déclaration officielle (1964) du conseil de la FPF n’est en fait pas une initiative purement française mais est une reprise de la déclaration du Comité central du COE publiée à Rochester en août 19631140 :

‘« Les termes qui y sont employés sont extrêmement fermes, pour ne pas dire impératifs. Les chrétiens blancs sont « instamment priés de répudier fermement tout ce qui compromet leur témoignage en Christ1141 ».’

Si aucune référence n’est faite à cette déclaration dans la presse réformée française, elle fait l’objet d’un BIP sous le titre « Pour une solution aux tensions raciales en Afrique du Sud 1142  ». La déclaration de Rochester, reprise sans commentaire, rappelle les graves conflits raciaux causés par la politique d’apartheid et adresse un appel aux chrétiens, comme cela fut le cas lors de la conférence de Cottesloe :

‘« Cette crise aiguë appelle tous les chrétiens à reconnaître et à accepter leur commune responsabilité […]. Ils sont priés instamment, de répudier fermement, en actes et en paroles, tout ce qui compromet leur témoignage au Christ, en qui tous les hommes sont uns […]. Les chrétiens du monde entier doivent tout faire pour montrer le souci que leur causent les victimes de la discrimination raciale, et pour venir en aide aux réfugiés de la République1143 ».’

En mai 1965, le conseil de la FPF interpelle le gouvernement français afin de lui demander la cessation de livraison de ventes d’armes à l’Afrique du Sud1144. Lors de ses séances des 15 et 16 mai 1965, le conseil demande ainsi au gouvernement « que soit mis fin aux livraisons d’armes et d’avions à l’Afrique du Sud », et affirme que ce matériel « ne peut que lui servir à maintenir une politique de domination et de discrimination raciale inacceptable pour la conscience chrétienne 1145  ».

Cette « interpellation » ne trouvera, elle non plus, aucune répercussion dans la presse spécialisée et sa portée restera minime et n’infléchira en rien la position du gouvernement… Elle sera pourtant de nouveau affirmée et adoptée à l’unanimité (112 voix) lors de la XIIème assemblée générale de la FPF tenue à Colmar le 1er février 1966. Sa formulation est la suivante :

‘« L’assemblée générale de la FPF devant la gravité des problèmes humains qui se posent au Sud de l’Afrique, prend acte de la démarche faite en mai 1965 par le Conseil de la Fédération protestante auprès du gouvernement français pour lui demander la cessation de livraisons d’armes à la République d’Afrique du Sud et lui demande de renouveler cette démarche, peut-être en accord avec les autorités catholiques de ce pays1146 ».’

Quelques semaines après sa déclaration, la FPF est une nouvelle fois interpellée sur ce point par l’intermédiaire de l’avocat Jean-Jacques de Felice, très fortement impliqué au sein du Comité anti-apartheid :

‘« Je me permets d’attirer votre attention sur l’importance que pourrait avoir deux démarches de la Fédération protestante, l’une en direction de notre ministère des affaires étrangères – pour insister sur la gravité des fournitures d’armes à l’Afrique du Sud, en violation de résolutions précises des Nations-Unies, cette démarche pouvant être faite avec des responsables catholiques et israélites  […]1147 ».’

Les quelques prises de position de la FPF sur la question sud-africaine dans les années 60 resteront ainsi exceptionnelles et sans grande portée. Si elles témoignent tout de même de l’amorce d’une mobilisation au sein de la structure principale du protestantisme français, elles sont en fait, à une échelle réduite, l’illustration du peu d’intérêt de la France pour la question sud-africaine. Autrement dit, les silences des réformés français sont les reflets des silences de la France…

Comme nous l’avons déjà constaté, une prise de conscience plus nette va émerger dans la société française, et dans le protestantisme, au début des années 70 et particulièrement à partir des émeutes de Soweto.

Notes
1140.

Lors de sa session à Rochester (près de New-York), le Comité central du COE avait rédigé une prise de position dans laquelle les Eglises des Etats-Unis (dans le contexte du mouvement anti-ségrégation mené par Martin Luther King) et d’Afrique du Sud étaient exhortées à intensifier leurs efforts pour une solution pacifique du problème racial.

1141.

Ariane BONZON, « Les protestants et l’apartheid… », op.cit.

1142.

« Pour une solution aux tensions raciales en Afrique du Sud », BIP, n°85, 21 avril 1964, 2 p.

1143.

Ibid.

1144.

Rappelons le, les membres du conseil de sécurité voteront en 1977, par la résolution 418, l’embargo sur tous les systèmes d’armes destinés à l’Afrique du Sud.

1145.

Annexe n°3 au Procès-verbal des séances des 15 et 16 mai 1965 du Conseil de la FPF.

1146.

XIIème assemblée générale de la FPF, Colmar I/II/66, vœux adoptés par l’Assemblée (archives de la FPF, C/028/66).

1147.

Lettre de Jean-Jacques de FELICE au pasteur WESPHAL (Fédération protestante), 16 décembre 1966.