2-5 Quel fut l’impact de la mobilisation exprimée au sein de la CSEI ?

Il est assez difficile d’appréhender l’ampleur qui fut celle des actions et réflexions menées par les membres de la CSEI. La commission représentait numériquement une frange très restreinte du protestantisme et ses travaux et prises de position restèrent assez confidentielles. Il a été difficile pour moi de retracer l’évolution de la commission. Les quelques lettres qu’elle a publié permettent de comprendre, comme nous l’avons déjà vu, les principaux axes qui furent les siens. Ils apparaissent de nouveau dans une lettre paraissant en mai 1987 où l’implication de la France, par ses rapports commerciaux et financiers (prêts bancaires), est de nouveau rappelée, tout comme le retrait des protestants français dans le mouvement d’action des Eglises européennes…

Les membres de la commission firent donc régulièrement entendre leurs voix pour affirmer qu’une pression des Eglises pouvait entraîner un changement en Afrique du Sud. La commission a ainsi servi de « pont » entre chrétiens sud-africaines et chrétiens français. Alors qu’il est de passage à Paris, Frank Chikane1179intervient pour convaincre les réformés français de l’utilité pour les Eglises d’exercer une pression :

‘« J’attends des Français qu’ils comprennent qu’en Afrique du Sud les gens mènent leur propre combat. Nul ne peut se battre à leur place. Mais qu’ils comprennent aussi que, plus ils font pression, et moins longue sera la période de douleurs et de souffrances, moins élevé sera le nombre de morts que nous aurons à connaître avant d’avoir atteint notre but1180 ».’

La Commission sociale, économique et internationale prend donc en charge le traitement de la question sud-africaine. Groupe restreint numériquement mais très mobilisé au sein de la Fédération protestante de France, c’est en son sein que fut formulée le plus clairement la responsabilité des réformés français. Elle n’hésita pas à aborder frontalement les questions les plus épineuses, la plupart n’étant pas d’essence purement « théologique ». Les aspects plus « sensibles », d’ordre social ou économique, furent rarement abordés frontalement par la FPF. A ce sujet, Ariane Bonzon confirme ainsi cette prudence au sein de la Fédération :

‘« Prudente, la Fédération protestante de France laisse, dans les années 70, à un groupe de réflexion attaché à la Commission sociale, économique et internationale (CSEI), le soin d’étudier et de diffuser ses réflexions à ce sujet1181 ».’

En quelque sorte, le groupe d’étude de la CSEI au sein de la FPF occupa une place comparable à celle de la commission « Justice et Paix » au sein de l’Institution catholique. Les deux groupes, reconnus par l’Episcopat pour les catholiques et par la FPF pour les protestants, se chargèrent de proposer une parole d’Eglise sur des problèmes mondiaux touchant aux droits de l’homme, à l’oppression et à l’injustice sociale. Proposant tous les deux une ligne de conduite militante et en plusieurs points radicale et se positionnant sur des questions d’ordre politique et économique, les deux commissions bénéficièrent, d’une liberté et d’une autonomie importantes. Elles mirent l’accent sur les points sensibles de la question et malgré leur identité confidentielle, elles surent incarner des courants existants au sein des deux confessions. Nous verrons d’ailleurs plus tard qu’elles firent « combat » commun à de multiples reprises.

Il serait cependant faux de dire que l’engagement vis-à-vis de la question sud-africaine ne s’incarna qu’au sein de la CSEI. Dans les années 80, la Fédération protestante, à travers déclarations et en accueillant plusieurs visiteurs chrétiens sud-africains, démontra que la question sud-africaine avait sa place au sein d’une structure fédératrice.

Notes
1179.

Frank Chikane, pasteur de l’Apostolic Faith Mission (AFM) a été membre de l’Institut de théologie contextuelle. A ce titre, il joua un rôle important dans l’élaboration du document Kairos en 1985. En 1987, il est devenu secrétaire général du SACC.

1180.

« Afrique du Sud : une tragédie, un défi pour les chrétiens », CSEI, mai 1987, 4 p.

1181.

Ariane BONZON, « les protestants et l’apartheid : les clivages habituels » (1987), op.cit., p. 7.