2-7 Les Bulletins d’information protestante (BIP), principaux organes d’information

Les BIP reproduisent les déclarations des chrétiens sud-africains :

Les bulletins d’information protestante (BIP) sont une source intéressante pour avoir un aperçu des thèmes abordés par la FPF des années 70 aux années 901209. Une série de BIP répercute les propos et déclarations de témoins sud-africains. Citons-en quelques-uns : le BIP du 6 juillet 1977 reproduit la déclaration de l’évêque luthérien Manas Buthelezi1210 faite lors de la 6ème assemblée de la Fédération luthérienne mondiale à Dar-es-Salam. Manas Buthelezi présente, sans détour, les missions des Eglises :

‘« Ce qui caractérise l’engagement pratique de l’Eglise, c’est toujours à nouveau sa participation effective à la lutte pour la libération de l’homme – non pas pour obéir à une quelconque idéologie, mais parce que Jésus-Christ s’est identifié à l’humanité toute entière. Lorsque, dans le passé, on pensait à l’Eglise en Afrique australe, on pensait avant tout aux institutions ecclésiales qui, elles, ne posaient pas les questions concernant la libération de l’homme. Il n’en est plus de même aujourd’hui où les membres baptisés de l’Eglise ont été, à Soweto et ailleurs, parmi ceux qui se sont engagés à fond dans la lutte anti-apartheid1211 ».’

L’évêque Buthelezi rend ainsi compte du besoin impérieux pour lui de voir les Eglises chrétienne sud-africaines s’engager pour la libération un an après les émeutes de Soweto. La déclaration est claire, l’évêque usant des termes idéologiquement connotés de « lutte » et de « libération ». Cela ne semble cependant pas avoir « effrayé » la FPF qui reproduit cette déclaration sur 2 pages. On peut penser que la gravité de la situation en Afrique du Sud a également motivé cette publication.

Comme nous l’avons vu précédemment, la FPF reste globalement silencieuse sur la question des pressions économiques, question qui occupe l’ensemble de la communauté internationale durant les années 80. Un BIP reproduit cependant la déclaration de Desmond Tutu prononcée à l’Assemblée de printemps du Conseil britannique des Eglises (BCC) tenu en avril 1981. Si l’évêque anglican s’attache à décrire les effets réels du système sur la population noire, il parle également du principe des pressions économiques ou de celui des désinvestissements :

‘« Ceux qui investissent en Afrique du Sud sont priés instamment de le faire en connaissance de cause. Ils ne doivent pas se leurrer et croire qu’ils font quelque chose pour les Noirs. Qu’ils finissent leur mascarade et prennent enfin conscience qu’ils soutiennent l’un des régimes les plus pervers depuis le nazisme1212 ».’

Ces propos virulents de Desmond Tutu sont reproduits au style direct. Le rédacteur du BIP reprend ensuite la parole pour résumer la pensée de Desmond Tutu sur l’attitude de la Communauté internationale alors que la haine et la colère sont croissantes en Afrique du Sud :

‘« Il exhortait la communauté internationale à agir maintenant, tant qu’il en était encore temps. Il faillait qu’elle exerce une pression, économique notamment, sur le gouvernement sud-africain pour l’amener à la table des négociations avant qu’il ne soit trop tard1213 ».’

Dans cette déclaration, c’est encore la conception d’une Eglise capable d’écouter la souffrance pour « ne pas passer à côté d’une composante essentielle de sa nature 1214  » qui est mise en évidence. En reproduisant ces dires, peut-on toujours penser que la FPF est « mal à l’aise » avec cette théologie sud-africaine oeuvrant pour la libération des opprimés ? La question reste posée…

Quoi qu’il en soit, la personnalité et les discours percutant de Desmond Tutu seront régulièrement relayés dans les BIP. La FPF réagit ainsi au moment de sa réception du prix Nobel de la paix (octobre 1984). Un BIP rend ainsi compte de la réaction du président de la FPF Jacques Maury qualifiant la nouvelle de « grande et joyeuse nouvelle » saluant « ce serviteur inlassable du Christ réconciliateur et de voir à travers lui, présentées à l’attention du monde, les millions de victimes dont il est inconditionnellement solidaire […] 1215  ».

Moins lyrique, Pierre Chrétien, secrétaire général de la FPF et président de la commission œcuménique européenne pour Eglise et Société parle du sens d’un tel prix qui « met en lumière un problème brûlant pour l’avenir de l’Afrique australe » et qui rappelle aux pays occidentaux et européens en particulier « qu’ils devront tirer les conséquences politiques et économiques de leurs relations avec l’Afrique du Sud 1216  ».

Ariane Bonzon a raison de mettre en évidence le silence de la FPF autour de la réception du document Kairos. Si la Fédération ne fait aucune déclaration officielle à ce propos (nous ne parlons pas là des travaux de la CSEI), un BIP dresse le bilan des commentaires sud-africains à la suite de la parution du document. Le bulletin reprend en fait les travaux du spécialiste des questions œcuméniques Wolfram Weisse de Hamburg publiés dans un article paru dans le Evangelische Kommentare de mai 1986. L’exposé dans un BIP des commentaires et articles parus en Afrique du Sud donneront aux Français un aperçu de la nature du document et des réactions qu’il suscita. Si le Kairos est qualifié de « provocant 1217 » par un quotidien sud-africain, un autre,le Natal Witness datédu 21 décembre 1985 évoque la théologie prophétique du document qui « représente une mise en question puissante du régime de l’apartheid, sans être manipulée par le communisme. Car l’Afrique du Sud reste toujours fondamentalement un pays chrétien. Les théologiens de Kairos ont montré que Dieu, dans la lutte pour la libération, se tient du côté des opprimés 1218  ». Le BIP rend en fait compte des réactions très diverses au Kairos, selon qu’elles viennent de responsables du Parti national (« appel à la révolution, au meurtre et à la trahison 1219  »), de plusieurs responsables d’Eglises anglophones (Desmond Tutu, Denis Hurley) qui jugent la critique de la « théologie d’Eglise » trop virulente ou de la SACBC qui, dans sa déclaration officielle de novembre 1985, « salue la vision d’une espérance chrétienne ». Le BIP précise également la vraie nature du document et les conditions dans lesquelles il a été rédigé :

‘« Le Kairos n’est pas un document en soi, mais le lieu de réflexion des théologiens de Soweto devant la situation, et il n’est pas fait pour la publication. Dans une réunion nationale en février 1986, les jeunes ont précisé que le document n’avait besoin que de changements mineurs et ne devait pas conduire à des disputes théologiques entre techniciens1220 ».’

Le Kairos est donc le symbole de la « théologie contextuelle » telle qu’elle est comprise en Afrique du Sud. Si le document est bien de nature théologique, il doit conduire à mener des actions concrètes (programmes de formation pour les Noirs…).

Frank Chikane, directeur de l’Institut de théologie contextuelle au sein duquel est né le document, va être un interlocuteur privilégié et un nouveau BIP daté du 22 juillet 1987 reproduit une de ses déclarations alors qu’il devient le nouveau secrétaire général du SACC. Il aborde avec pessimisme la situation dans son pays et déplore que « la plupart des super-puissances occidentales ne soient, visiblement, pas convaincues par des considérations morales ou équitables se situant au- dessus de leurs intérêts économiques et de leur sécurité nationale, et qu’elles sont donc déterminées à se ranger du côté du régime d’apartheid 1221  ».

En reproduisant les réactions sud-africaines au document Kairos et en donnant la parole à Frank Chikane qui a joué un rôle important dans la rédaction du document, la FPF parvient à faire référence à la théologie contextuelle, sans avoir besoin de se positionner officiellement… La parole est donnée aux acteurs sud-africains, au style direct, sans commentaires.

Le 17 octobre 1987, la Maison des missions évangéliques de Paris reçoit Allan Boesak, pasteur métis et président de l’Alliance réformée mondiale depuis 19821222. Il y donne une conférence de presse dont des extraits sont reproduits dans le BIP du 21 octobre 1987. Si le pasteur métis, formé au sein de l’Eglise-fille (métisse) de la NGK, s’arrête sur l’évolution au sein de l’Eglise réformée hollandaise, ses propos sur le comportement de l’Occident sont les plus virulents :

‘« Ce que j’assume mal, c’est la grande hypocrisie de l’Occident, y compris des Eglises. Car c’est justement en Occident que l’on exalte le passé, ce temps de violence qui a permis la libération et l’autonomie des différents pays. Et c’est en Occident que l’on trouve des gouvernements qui soutiennent l’un des régimes les plus oppressifs du monde. Notre peuple a essayé pendant des décennies de frapper à la porte : il n’a reçu que des coups […]. Pour ma part, je continuerai à explorer toutes les possibilités offertes par la non-violence, dans mon pays et, à l’extérieur, je pousserai aux sanctions économiques1223 ».’

Si la FPF ne se prononce pas en son propre nom sur la légitimité de sanctions économiques à l’encontre du régime sud-africain, le fait qu’elle répercute de tels propos, sans les commenter, peut paraître en soi être une approbation d’une telle prise de position manifestée par plusieurs hommes d’Eglises sud-africains.

Notes
1209.

Il n’est pas question ici de faire l’exposé exhaustif de tous les BIP ayant traité de l’Afrique du Sud mais de présenter les principaux thèmes abordés au sein de ces bulletins.

1210.

Manas Buthelezi, théologien luthérien d’origine zouloue, a fait des études de théologie en Afrique du Sud, en Suède et aux Etats-Unis. Il fut membre de la « Commission des études » de la Fédération luthérienne mondiale. Acteur important de la lutte des Eglises contre l’apartheid, il fut banni de son pays le 6 décembre 1973. Sur la pression des instances ecclésiastiques internationales, la mesure fut levée le 28 mai 1974. Bien que l’intéressé ait pu rentrer dans son pays, le principe du bannissement a été maintenu jusqu’au 30 septembre 1978.

1211.

« L’évêque luthérien Buthelezi d’Afrique du Sud déclare : pas de réconciliation raciale en Afrique du Sud avant la libération des Noirs », BIP, n°646, 2 p.

1212.

« La crise est imminente en Afrique du Sud, déclare l’évêque Desmond Tutu », BIP, n°801, 1p.

1213.

Ibid.

1214.

Ibid.

1215.

« Prix Nobel de la paix à Desmond Tutu secrétaire général du SACC », BIP, n°944, 17 octobre 1984.

1216.

Ibid.

1217.

« Commentaires sud-africains du document Kairos », BIP, n°1019, 2 juillet 1986, 3p.

1218.

Ibid.

1219.

Ibid.

1220.

Ibid.

1221.

« Le pasteur Frank Chikane prend son nouveau poste au SACC », BIP, n°1064, 22 juillet 1987, 2 p.

1222.

Allan Boesak était accueilli à Paris dans le cadre des manifestations marquant le centenaire de la « Maison des Missions évangéliques de Paris ».

1223.

« Allan Boesak à Paris : éradiquer et non modifier la politique d’apartheid », BIP, 21 octobre 1987, 1 p.