Les BIP témoignent de réflexions au sein de la FPF :

Quelques bulletins d’information protestante se penchent avec plus de profondeur et d’analyse sur la question sud-africaine. Comme s’ il ne suffisait pas (ou plus) de répercuter des actions et des déclarations de chrétiens sud-africains sans les interpréter, la FPF va réagir aux appels incessants de ces chrétiens adressés aux Eglises du monde pour une démarche solidaire. Il serait faux de qualifier de nombreuses les réflexions « de fond » sur la question sud-africaine. Celles qui figurent dans les bulletins d’information, à la fin des années 80, sont cependant révélatrices des problématiques qui se présentent aux réformés français. Ces réflexions internes à l’institution apparaissent alors que l’Afrique du Sud connaît une aggravation de la violence et une répression intense. La commémoration du troisième centenaire de l’arrivée des Huguenots français en Afrique du Sud donne l’impulsion à une réflexion au sein de la FPF. Devant cet événement qui symbolise le lien historique qui entre protestants français à l’Afrique du Sud, la FPF, en la personne de Jacques Stewart, juge nécessaire de préciser sa position à cette occasion. Le BIP du 9 mars 1988 reproduit ainsi le message de Jacques Stewart adressé au SACC. S’il juge nécessaire de se souvenir de ces persécutés et exclus partis après la révocation de l’Edit de Nantes, cette commémoration doit, avant tout, être vécue comme un appel à la conversion des cœurs et des esprits. Et si filiation il y a, elle est la suivante :

‘« Nous reconnaissons aussi comme un signe de ce qu’est la filiation spirituelle de voir aujourd’hui un Sud-Africain, le pasteur Allan Boesak, présider l’Alliance réformée mondiale 1233».’

Si Jacques Stewart ne se positionne pas véritablement sur la présence nécessaire ou pas d’une délégation française à ces commémorations1234, cette lettre adressée au SACC lui donne l’occasion de témoigner du manque de mobilisation en France tout en précisant que des efforts vont être faits dans ce domaine…

‘« Nous avons à nous repentir d’avoir été et d’être encore trop souvent mal informés, indifférents à l’égard des problèmes et des souffrances qui sont les vôtres comme à l’égard des responsabilités que portent nos pays industrialisés quant aux injustices structurelles qui caractérisent les pays du tiers-monde en général et, de façon très spécifique, la société sud-africaine. Nous voulons nous efforcer d’être plus clairvoyants, d’être davantage à l’écoute des voix prophétiques qui viennent d’Afrique du Sud […]. Nous exprimons à Dieu notre reconnaissance de ce que les Eglises et les chrétiens sud-africains continuent à travailler à cette réconciliation par l’établissement d’un ordre social plus équitable1235 ».’

Jacques Stewart apporte ici en quelque sorte une « caution morale » à la mobilisation des chrétiens sud-africains pour une théologie prophétique. La mise en pratique de ce soutien sera visible par le travail d’information que mènera la FPF en accueillant ces chrétiens engagés et en reproduisant leurs déclarations…

Quelques mois plus tard, un nouveau bulletin laisse apparaître une nouvelle interrogation et un sentiment toujours récurrent :

‘« Les protestants français doivent-ils aller en Afrique du Sud ? Il y a dans notre question toute notre culpabilité latente, la réprobation ouverte de notre entourage au moment du départ 1236».’

Quel est le contexte d’une telle déclaration ? Cette « note de voyage » fait suite à une visite en Afrique du Sud de 3 membres de la communauté reformée française1237. Ils rendent notamment visite à Frank Chikane et lui posent la question citée précédemment. La réponse est des plus claire : « Bien sûr, il faut venir nous voir 1238  ». Le secrétaire général du SACC voit ainsi ces visites comme une occasion pour les Français de rapporter des informations sur l’état réel de la situation en Afrique du Sud. Mais l’un des trois voyageurs, Jacques Poujol, sait très bien que la nécessité d’informer est rendue difficile par l’organisation du voyage en lui-même :

‘« Nous n’avons fait qu’une visite en compagnie d’un groupe organisé de touristes français, celle du lotissement modèle pour Noirs de Khayelitsha, près du Cap […]. Mais certains commentaires de l’accompagnatrice française étaient ahurissants. « Regardez », disait-elle en montrant les épaves de voitures démantelées qui font partie du décor de tous les bidonvilles du monde, « une maison sur trois a son automobile ! ». les murmures approbatifs dans le car en disaient long sur ce que le Fançais moyen racontera à son retour sur l’Afrique du Sud 1239».’

Jacques Poujol aborde ainsi la difficulté pour des observateurs étrangers de donner de l’Afrique du Sud des informations qui ne seront pas « orientées » ni « suggérées » par le gouvernement. Si la tâche est difficile pour les journalistes français qui auront entre leurs mains les brochures délivrées par le très efficace bureau de l’information sud-africain, elle l’est ainsi tout autant pour un visiteur qui aura beaucoup de difficultés à voir les effets réels de l’apartheid et ne pourra se rendre que dans des townships « modèles ». La solution à cette dérive (relevant d’une véritable propagande) réside dans le comportement même du visiteur :

‘« To go or not to go ? Oui, il faut y aller, préparé. Pas seulement à l’aide des bonnes brochures, des bonnes publications qui circulent en France dans les milieux anti-apartheid, mais par la lecture de la propagande sud-africaine soi-disant post-apartheid, de façon à être immunisé contre l’intoxication subreptice de l’idéologie dominante ou, tout simplement, pour ne pas être en retard d’une guerre en se récriant d’admiration devant des lieux publics, des hôtels et des toilettes où effectivement la ségrégation n’existe plus. Il faut aussi être introduit par des filières officieuses dans ces immenses dépotoirs de Noirs du type Soweto pour se persuader que ça existe 1240».’

Jacques Poujol s’attache ensuite à décrire les discours « à la logique à part » des interlocuteurs afrikaner et leurs « positions intenables sur les différences - fondées sur la biologie et/ou la Bible- entre Blancs et Noirs 1241» donnant l’impression que tout dialogue demeure impossible.

Par la lecture de ces notes de voyage, les lecteurs réformés auront ainsi un aperçu de la situation réelle en Afrique du Sud et de la difficulté des chrétiens à se mobiliser là-bas, alors que les Afrikaners persistent dans leurs conceptions discriminatoires de la société. Elles pourront aussi témoigner de la persistance du « grand apartheid » qui continuer à structurer la société sud-africaine, même si les formes de « l’apartheid mesquin » ont disparu. Ces notes sont donc nécessaires tant l’information parvenant jusqu’en France peut donner une toute autre réalité à la situation… Par l’organisation de ce voyage et la publication de ces notes, la FPF donne la preuve qu’elle éprouve un intérêt certain pour la question sud-africaine.

Notes
1233.

« Troisième centenaire de l’arrivée des huguenots français en Afrique du Sud : message de la FPF au conseil des Eglises sud-africaines », BIP, n°1089, 9 mars 1988, 2 p.

1234.

Les questionnements nées autour de la participation (ou pas) de la FPF aux cérémonies organisées en Afrique du Sud à cette occasion témoignèrent là encore des dissensions nées autour de la question sud-africaine. Ce point sera traité dans la dernière partie.

1235.

Ibid.

1236.

« Notes de voyage en Afrique du Sud : to go or not to go ? », BIP, n°1099, 1er juin 1988, 4 p.

1237.

Parmi les trois visiteurs citons Georges Mabille qui fut de nombreuses années missionnaire au Lesotho et s’impliqua également en Afrique du Sud par la création du centre interracial de Wilgespruit.

1238.

« Notes de voyage…. » (1988), op.cit.

1239.

Ibid.

1240.

Ibid.

1241.

Ibid.