2-8 La FPF entre silences évocateurs et soutiens implicites à la lutte contre l’apartheid

L’étude de l’implication de la FPF est révélatrice de la place particulière qu’occupe la question sud-africaine au sein de la communauté protestante de France. Les liens historiques et confessionnels unissant les réformés français et l’Afrique du Sud, tout comme les liens économiques et commerciaux entre les deux pays, donnent au regard français une touche empreinte de culpabilité et de gêne. Mais c’est aussi la nature même du système d’apartheid qui va freiner ou parfois empêcher des prises de position contre un système qui, dans ses fondements, va à l’encontre des droits fondamentaux de l’homme et du message de l’Evangile.

Mais le système d’apartheid n’est pas que cela et son étude implique d’aborder des points ne relevant pas spécifiquement de la morale ou de l’Evangile. La question sud-africaine s’incarne réellement au sein de la commission CSEI qui, tout en dépendant de la FPF, peut mener des travaux spécifiques et indépendants de ceux de la Fédération. Le pasteur Michel Wagner, impliqué au sein de la CSEI m’a confié que la CSEI était en quelque sorte en « détachement avancé » vis-à-vis de la FPF et que les décisions prises au sein de la commission n’engageaient pas la Fédération. En même temps, celle dernière approuvaient en général ces prises de position…

Les travaux menés au sein de la CSEI (et particulièrement au sein du groupe « Afrique du Sud) touchèrent aux questions « concrètes », abordant de face la nature réelle du système, celle visant à opprimer et asservir économiquement une population réunie au sein de véritables « réservoirs » de main d’œuvre. Si cette dénonciation apparaît déjà dans la presse réformée, elle est formulée avec plus de virulence au sein de groupes de travail comme celui s’exprimant au sein de la CSEI. Malheureusement, la conscience des membres du groupe et la pertinence des études menées furent inversement proportionnelles à leur impact au sein de la communauté réformée française. Le groupe fut en effet peu important et leurs travaux gardèrent un aspect relativement confidentiel.

Qu’en est-il au niveau de la FPF ? Autrement dit, comment une fédération au caractère officiel s’est-elle exprimée sur la question sud-africaine ? Comme nous l’avons vu, l’Afrique du Sud ne fut pas une priorité dans les préoccupations de la FPF. Si certaines déclarations témoignent d’un intérêt ponctuel sur des points précis (vente de centrales nucléaires, réaction à la répression à l’encontre de chrétiens sud-africains…), les silences restent les plus évocateurs : il est important de noter par exemple que la FPF ne réagit pas officiellement à la mort de Steve Biko en septembre 1977. La seule mention faite à cet événement réside dans l’envoi d’une lettre à l’ambassadeur L.A Pienaar, le 22 septembre 1977. Cette lettre est signée du pasteur Albert Nicolas, alors secrétaire général de la Fédération. Sans caractère officiel, la lettre utilise un ton plutôt diplomatique et met l’accent sur la solidarité des chrétiens vis-à-vis des opprimés, tout en réclamant un changement en Afrique du Sud :

‘« Vous me permettez, Monsieur l’Ambassadeur, non pas d’exprimer des sentiments d’indignation devant les faits troublants qui sont à l’origine de la mort de Steve Biko […] mais de vous dire ma profonde tristesse […]. Les autorités de la République sud-africaine ne semblent pas mesurer la gravité d’une situation qui nous paraît injustifiable et explosive. Nous n’avons évidemment aucune solution à proposer ; nous ne pouvons que vous redire notre conviction évangélique que rien ne pourra vraiment se construire à partir de la violence et de l’injustice et qu’il faut vouloir de toute urgence une transformation radicale1242 ».’

De la même façon, très peu d’échos sont faits à la publication du document Kairos (c’est le groupe de la CSEI qui se charge de le diffuser). Michel Wagner m’a cependant dit que sa diffusion au sein de milieux protestants « informés » avait été un réel succès. Quant à la nature économique du système, il n’en est pratiquement jamais question. La condamnation du système d’apartheid, comme atteinte aux libertés fondamentales de l’homme, est considérée comme évidente. Elle ne figure donc pas dans une déclaration unique mais apparaît au fil des quelques déclarations de la FPF lorsqu’elle se prononce individuellement ou plus fréquemment, comme nous le verrons par la suite, lorsqu’elle s’impliquera aux côtés d’autres organismes et commissions protestantes et catholiques.

Les silences de la FPF sont évocateurs et ceci à plusieurs niveaux :

Si la FPF n’hésite pas à répercuter les messages de ces chrétiens, que ce soit en les accueillant en son sein et/ou en reproduisant leurs déclarations, elle ne se positionne jamais clairement sur la nature profonde d’une telle formulation théologique. Le silence quasi-intégral de la FPF lors de la parution et de la diffusion du document Kairos peut être considéré comme « l’illustration » d’un certain malaise au sein de la Fédération qui ne sait comment se positionner par rapport à une théologie libératrice au message radical. S’il est trop difficile pour la FPF de se positionner officiellement sur ce sujet, les échos qu’elle fait aux combats d’un Desmond Tutu ou d’un Allan Boesak peuvent sans doute être perçus comme une adhésion tacite à ce message libérateur…

Mais demeurent les questionnements sur l’aide à apporter : les déclarations ne suffisent pas alors que les chrétiens sud-africains appellent à l’aide… Si la FPF tente d’accentuer ses efforts sur l’information, elle juge, en 1988, qu’il n’est pas de son domaine de se prononcer sur la légitimité de sanctions économiques à l’encontre du régime de Pretoria…

Les sens des silences de la FPF sont donc multiples.

Pour finir, il est important de mettre l’accent sur le rôle nécessairement fédérateur de la FPF, regroupant en son sein une multitude d’Eglises, mouvements, œuvres et communautés qui vivent toutes de manières différentes leur foi et leur implication dans le monde, Le Conseil de la FPF a donc un rôle important de conciliation et doit « ménager » ses membres, ne pouvant sans doute pas s’engager sur un terrain que se refusent à emprunter des Eglises et groupes membres (issues de la mouvance évangélique par exemple) qui estiment qui leur rôle n’est pas de se prononcer sur des questions qui ne touchent pas à la foi seule.

La FPF et le groupe « Afrique du Sud » de la CSEI n’ont pas été les seules structures au sein desquelles a été abordée la question sud-africaine. Le DEFAP a été ainsi (souvent en relation directe avec la FPF) à l’origine de plusieurs travaux de réflexions très poussés sur l’apartheid.

Notes
1242.

Lettre du pasteur Albert Nicolas à l’ambassadeur d’Afrique du Sud, 22 septembre 1977.