3-3 Janvier 1986 : un nouveau dossier, Afrique du Sud prisonnière de l’espérance

Au début de l’année 1986, le service documentation du DEFAP réalise un nouveau dossier de 78 p1255. Le dossier fait une présentation détaillée de l’Afrique du Sud sous ses aspects divers : géographique, historique, économique, politique et religieux.

C’est encore une fois Marianne Cornevin qui sert de « source » d’information principale concernant la présentation géographique et historique du pays (pp 5-15) qui est une reprise de plusieurs passages de son ouvrage La République sud-africaine 1256 paru en1982. Le dossier consacre ensuite plusieurs pages (pp 16-24) à la présentation des différents groupes de population qui composent le pays (Afrikaners, Anglophones, Noirs, Métis, Indiens.

Un long chapitre sur l’économie sud-africaine (pp 25-37) dresse le tableau des secteurs de l’économie du pays (p 26), précisant bien que la République bénéficie de ressources minières exceptionnelles (or, diamant, platine, vanadium, chrome, manganèse) et est ainsi présentée comme un « pays stratégique et l’une des puissances mondiales majeures 1257  ». Si le tableau de l’économie sud-africaine est très positif et met en valeur la puissance du pays, le chapitre suivant (pp 39-52) consacré à la présentation du système d’apartheid va quelque peu ternir le tableau, même si les informations données sur le fonctionnement du système sont plutôt neutres et « objectives » : l’apartheid est « sobrement » présenté comme étant « le seul système légal de discrimination raciale au monde » système élaboré au fur et mesure de la promulgation des lois restreignant progressivement les libertés des populations noires (Group Area Act, port du Pass obligatoire…). Le système mis en place dans les années 50 laisse aujourd’hui entrevoir des changements, même s’il est nécessaire de les aborder avec prudence :

‘« D’autres réformes sont en projet qui visent à « adoucir » la rigueur d’un système dont l’application effective se heurte à de nombreux obstacles et qui porte préjudice autant à l’économie de la République sud-africaine qu’à sa réputation internationale. C’est d’abord, l’abolition partielle du « petty apartheid » […]. Mais ces amorces de déségrégation de l’apartheid demeurent très limitées. De plus, s’agit-il d’un simple octroi de concessions limitées parce que devenues économiquement indispensables ou le début d’une ouverture progressive mais réelle au multiracialisme1258 ? »’

Comme nous avons déjà pu le constater en étudiant le traitement dans la presse des réformes politiques entreprises à partir du milieu des années 80, les observateurs ne sont pas dupes devant les réformes entreprises, ces dernières étant le moyen « d’édulcorer » des aspects de l’apartheid devenus trop archaïques et choquants aux yeux du monde.

Le dossier du DEFAP énumère ensuite les conséquences de l’apartheid sur les populations non-blanches dans les domaines de la vie individuelle et sociale (interdiction des mariages mixtes, ségrégation dans les lieux publics…), dans le monde du travail (salaires moins élevés, interdiction des syndicats, pas de droit de grève), dans le domaine éducatif, la ségrégation dans ce dernier secteur ayant dramatiquement abouti aux émeutes de Soweto dont le bilan des 600 à 700 pertes humaines est rappelé (p 44) qui peut faire craindre de nouveaux troubles :

‘« Il existe aujourd’hui une crise du système éducatif noir. L’an prochain, il n’y aura aucun élève régulier noir de l’école primaire à l’université. La situation est trop tendue ; la colère continue à monter parmi les jeunes qui ne veulent plus attendre la liberté1259 ».’

Face à la montée de la révolte chez les populations noires, le gouvernement sud-africain a mis en place une répression réglementée par une série de lois punissant tous les actes de contestation, bâillonnant ainsi toutes oppositions au système. Quant à l’information, elle est aussi muselée :

‘« Dernièrement, le 5 novembre 1985, le gouvernement de Pretoria interdit dorénavant à la presse sud-africaine et étrangère le droit de filmer et de diffuser des images de violence sans autorisation préalable. Des restrictions sont donc apportées à l’exercice des droits d’informer en Afrique du Sud1260 ».’

Le chapitre suivant aborde le point essentiel des homelands ou bantoustans (pp 47-51) dont le système a été inspiré par trois idées directrices : délimiter un espace pour chaque ethnie ; assurer le développement dans le cadre d’une économie agraire ; permettre une réelle autonomie à ces territoires. Le processus d’évolution des territoires est décrit avec précision (« Bantu Homelands Citizenship Act » de 1970 ; premières autonomies puis indépendances…), comme pour mieux mettre en évidence que le processus relève de la pure mystification :

‘« Ces états maintenus dans une situation économique, plus que déplorable […] constituent un immense réservoir de main d’œuvre pour les mines et les industries deszones blanches[…].Leur dépendance financière absoluevis-à-visde Pretoria […] entraîne une dépendance politique évidente pour tous qu’ils soient indépendants ou non1261 ».’

Encore une fois, la présentation du système des bantoustans rejoint celle présentée le plus souvent dans la presse chrétienne française et celle formulée par les membres des groupes de chrétiens mobilisés autour de la question sud-africaine, qu’ils soient catholiques ou réformés.

Un autre chapitre (pp 53-63) est ensuite consacré à la présentation des différentes forces politiques : les partis blancs, l’opposition non-blanche incarnée par plusieurs mouvements plus ou moins radicaux (les « démocrates progressifs » comme l’ANC et l’UDF et « les ailes droites et gauches du « pouvoir noir exclusif » comme le PAC, l’Azapo et le Forum National 1262  »).

Enfin, la dernière partie du dossier (pp 64-75) dresse un tableau très détaillé de la présence religieuse en Afrique du Sud : les Eglises réformées hollandaises qui « contribuent fortement à l’affermissement de la politique de ségrégation raciale et la pratiquent au sein de l’Eglise 1263  » ; les Eglises membres du Conseil sud-africain des Eglises (SACC) dont la plupart rejette l’idéologie de l’apartheid et dont la préoccupation essentielle est de dénoncer l’apartheid et de venir particulièrement en aide aux prisonniers politiques et à leurs familles ; les Eglises africaines noires indépendantes.

L’accent est mis sur les Eglises chrétiennes et l’émergence en leur sein de plusieurs personnalités résistantes comme celles Allan Boesak et de Beyers Naudé dont les itinéraires ont déjà été souvent répercutés dans la presse chrétienne. Le dossier reprend ainsi dans leur intégralité deux articles parus dans les ARM en octobre 19851264.

Une courte référence est faite au document Kairos publié quelques mois plus tôt. La « théologie de l’Etat » dont il est fait mention dans le document, tout comme « la «  théologie cléricale » qui prétend faire de la réconciliation un principe absolu applicable sans justice et sans repentance » sont présentées comme « deux déviations du christianisme  1265  » auxquelles les auteurs du document opposent une « théologie prophétique » :

‘« Selon eux, le conflit, avant d’être racial, se situe entre des oppresseurs et des opprimés1266 ».’

Il est donc mis en évidence le caractère politique et économique du système d’apartheid. Si le thème de la libération exprimé dans le document Kairos n’apparaît pas dans ce dossier, cette présentation « politisée » (et brève) de la mobilisation autour du document peut être mal perçue par le lecteur français qui ne connaît pas la teneur exact du Kairos. Une citation de Beyers Naudé peut cependant rétablir la vraie volonté du document, celle de proposer l’image d’une Eglise impliquée et proche des opprimés dans un esprit évangélique et surtout dans un contexte de violence et de crise  :

‘« Ce document est « le résultat qui reflète l’agonie, la détresse des consciences et des cœurs de ces chrétiens qui essayent de clarifier, en leur âme et conscience, la responsabilité de l’Eglise, et de chaque prêtre, de chaque pasteur, de chaque laïc, du peuple de Dieu (Beyers Naudé)1267 ».’

La brève référence au document Kairos ne permettra ainsi pas au lecteur du dossier d’avoir une idée précise de la théologie proposée par les rédacteurs du document. Ce lecteur ne retiendra sans doute que la teinte politisée du document, ses propos radicaux concernant le recours à la violence et le refus du concept de réconciliation…

Une place beaucoup plus large est laissée à un autre document puisque le dossier reproduit quelques passages de la déclaration d’Harare organisée par le COE en décembre 1985 (p 75), signée par plus de 100 dirigeants d’Eglises des Etats-Unis, d’Europe, d’Australie et d’Afrique et dans laquelle ils « ont affirmé leur commune volonté de mettre fin au régime « moralement indéfendable » de l’apartheid  1268 ».

Il est permis de penser que cette référence à la déclaration d’Harare témoigne de l’adhésion du DEFAP à la ligne de conduite du COE et à celle des Eglises exprimée au moment de la réunion. Comme nous allons le voir, le DEFAP va revenir longuement sur la déclaration d’Harare en 1986.

Ce long dossier du DEFAP témoigne bien de l’effort effectué par le service documentation au milieu des années 80 autour de la situation en Afrique du Sud. Cet effort vise dans un premier temps à donner une information objectif sur le pays (histoire, géographie, populations…) et surtout à présenter le système d’apartheid dans ses fondements, son fonctionnement (présentation des lois le régissant) et dans ses conséquences sur les populations non-blanches. Si le dossier n’est pas un travail de « première main » mais plutôt composé de travaux effectués par ailleurs par des spécialistes (Marianne Cornevin), il constitue cependant le témoignage d’une réelle démarche de la part du DEFAP qui s’inscrit donc, aux côtés de la FPF et du groupe « Afrique du Sud » de la CSEI, dans la même volonté de donner une information réelle, d’alarmer de la gravité de la situation, de présenter l’implication de plusieurs Eglises chrétiennes qui tentent de mobiliser leurs fidèles et les chrétiens du monde entier.

La caractère alarmiste de la situation en Afrique du Sud au milieu des années 80 fait prendre conscience aux réformés français de la nécessité, si ce n’est d’une mobilisation, d’une réelle solidarité émanant des Eglises du monde.

Notes
1255.

« Afrique du Sud, prisonnière de l’espérance », dossier du DEFAP, janvier 1986, 78p.

1256.

Marianne Cornevin,  La République sud-africaine , Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », n°463, 127 p.

1257.

« Afrique du Sud, prisonnière de l’espérance » (1986), op.cit., p. 27.

1258.

Ibid., p. 41.

1259.

Ibid., p. 44.

1260.

Ibid., p. 46.

1261.

Ibid., p. 51.

1262.

Ibid., p. 62.

1263.

Ibid., p. 64.

1264.

Daisy DE LUZE, « Ces pasteurs réformés qui refusent l’apartheid » (1985), op.cit.

1265.

« Afrique du Sud : prisonnière de l’espérance » (1986), op.cit., p. 73.

1266.

Ibid.

1267.

Ibid.

1268.

Ibid., p. 74.