3-5 Mai 1987 : un nouveau point sur les événements

Le service documentation du DEFAP prend l’initiative de réaliser un nouveau dossier sur l’Afrique du Sud intitulé « Afrique du Sud : les derniers événements 1279  » dans le but de dresser un nouveau bilan de la situation. Cet objectif est exposé dans la présentation du document :

‘« L’objectif de ce deuxième document est de poursuivre l’information sur un pays où la violence ne cesse d’augmenter, où les solutions pour obtenir la liberté, la paix, la justice et démanteler l’apartheid deviennent prophétiques et où le combat engagé par l’action internationale reste une aide et un soutien aux sud-africains opposés au régime d’apartheid […]. Ce dossier aborde le problème des sanctions, la politique du président Botha, les problèmes de la Namibie et des Etats de la Ligne de Front et les réactions des Eglises face à ces situations de violence1280 ».’

Les récents événements politiques (restauration de l’état d’urgence en juin 1986 et renforcement de la politique répressive, mouvement de réformes amorcé en juillet touchant les aspects les plus visibles de l’apartheid) ayant remis la question l’apartheid sur le devant de la scène médiatique, il a paru nécessaire au service documentation du DEFAP de, lui aussi, dresser un nouvel état des lieux.

Encore une fois, les sources n’émanent pas directement du DEFAP mais sont des « reprises » d’articles divers et surtout de la revue publiée par le COE, PCR information, émanation du Programme de lutte contre le racisme. Cependant, le choix de certains textes témoigne de la volonté de mettre la lumière sur des prises de position particulières.

La première partie, traitant de la question des sanctions économiques (pp 2-3), témoigne d’une certaine évolution ou « orientation » dans la prise de position défendue. Il est donc précisé que l’effort en faveur d’actions internationales doit être maintenu (notamment à la suite des désinvestissements de firmes importantes comme IBM, Barclays) et que l’action internationale, même si elle ne peut pas « prétendre remplacer l’action des Sud-Africains eux-mêmes, […] demeure cependant nécessaire pour sauver des vies humaines, limiter la répression et parvenir à faire reculer le régime 1281  ».

Le document précise ensuite que les sanctions, parce qu’elles sont imposées par l’Occident, constituent un véritable « choc psychologique 1282  » pour les Blancs et auront des conséquences économiques pour les Blancs comme pour les Noirs :

‘« La situation économique est déjà critique en Afrique du Sud. Ces sanctions amèneront une augmentation du chômage aussi bien pour les Blancs que pour les Noirs. Cette augmentation sera faible par rapport au chômage des Noirs déjà existant. La question des sanctions économiques est davantage un choix politique demandé par la majorité du peuple sud-africain1283 ».’

La source de ce texte portant sur les sanctions économiques n’est pas précisée. La prise de position exprimée permet de croire que c’est le PCR Information (émanant du COE) qui a servi de base à cette partie.

La deuxième partie du dossier (pp 4-5) rapporte les derniers événements politiques, mettant en évidence la détérioration de la situation (violence, répression à l’encontre de l’opposition…).

Réalité inconnue des Français, ce sont les effets de l’état d’urgence instauré en juin 1986 qui sont décrites :

‘« Cet état d’urgence impose un black-out sur les nouvelles en provenance d’Afrique du Sud […]. Tous les reportages sont censurés. Toute nouvelle concernant les « troubles » est donnée par le bureau d’information du gouvernement. L’état d’urgence institué pour apporter l’ordre, a donné presque des pouvoirs illimités à une des parties les plus engagées dans la violence, la police. Pendant l’état d’urgence, dans l’exercice de leurs fonctions, les forces de sécurité ne peuvent pas être poursuivies pour un crime si le ministre de l’ordre public déclare qu’elles ont agi de bonne foi1284 ».’

Si la résistance s’organise dans ce contexte d’état d’urgence (dans les townships, organisation de comités de quartiers, implication des jeunes…), la brutalité de la police ne cesse de s’accroître, s’exprimant par des mesures répressives (détention, jugement dans procès, meurtre, torture, bannissement…) et une violence institutionnalisée dénoncée par les rédacteurs du Kairos.

Cette partie consacrée à l’évolution politique du pays rend enfin compte des élections législatives organisées en mai 1986 durant lesquelles « 23 millions de Noirs ont regardé voter 5 millions de Blancs et Métis en âge de se rendre aux urnes 1285  ».

Une troisième partie (pp 7-11) revient longuement sur la situation en Namibie1286 et sur l’occupation du pays par la puissance sud-africaine. Le nœud du problème se situe dans le non-respect de la résolution 435 adoptée par le conseil de sécurité de l’ONU en 1979 qui devait jeter les bases d’un processus conduisant à l’indépendance de la Namibie1287 :

‘« Mais depuis 1978, le gouvernement sud-africain a fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la mise en application de la Résolution 435. Il exige le retrait des troupes cubaines présentes en Angola avant toute mise en application de la Résolution 4351288 ».’

Cette partie se conclut par une condamnation sans appel de l’occupation sud-africaine en Namibie alors que les affrontements entre l’armée sud-africaine et la SWAPO persistent malgré les réactions de la communauté internationale, mettant en évidence la violence sans relâche du régime de Pretoria, dans sa politique d’apartheid, comme dans la politique menée en Namibie. Face à une telle politique d’occupation, la résistance paraît légitime :

‘« Mais les Sud-Africains persistent dans leur attitude intransigeante et dans l’oppression, et la souffrance des Namibiens se prolonge. La SWAPO continue à combattre pour la liberté et l’indépendance de la Namibie1289 ».’

La partie suivante (p 12) aborde rapidement la situation géopolitique de l’Afrique du Sud, notamment « les relations entre l’Afrique du Sud et les Etats de la ligne de Front [qui] sont des relations d’agression de la part de l’Afrique du Sud à l’encontre de ses voisins 1290  » et dont les dommages en direction des grandes infrastructures rendent les pays voisins dépendant de l’Afrique du Sud et accentuent leur instabilité politique et économique.

Le DEFAP conclut son dossier en consacrant une longue partie aux réactions des Eglises et à leur mobilisation contre le système d’apartheid (pp 13-16). Les Eglises réunies au sein du SACC ont, malgré un contexte difficile, « continué à jouer un rôle et un ministère prophétique pour leur peuple 1291  ». Le document Kairos représente une de ces voix prophétiques et l’argument du document est clairement expliqué dans cette partie :

‘« Les théologiens du Kairos appellent les Eglises et les chrétiens à s’engager activement dans la bataille pour la justice et la paix en Afrique du Sud1292. ».’

Cette courte mention du document Kairos, sans rendre compte de la profondeur du message qui y est délivré, met l’accent sur l’engagement actif et concret des chrétiens dans la société. Le choix de reproduire le passage du Kairos traitant du devoir de l’Eglise de ne pas collaborer avec un régime tyrannique et d’œuvrer pour sa transformation, « quitte à s’impliquer parfois dans l’insoumission civile 1293  » informera le lecteur du ton militant utilisé par les rédacteurs, ces derniers dénonçant sans détour le régime en place et appelant les Eglises à devenir responsables en privilégiant l’obéissance aux lois de Dieu lorsque les lois des hommes ne visent pas au bien commun.

Si c’est surtout la mobilisation au sein des Eglises chrétiennes anglophones qui est rapportée ici, le dossier fait une courte référence à la position de la NGK et de son récent repositionnement (octobre 1986), reconnaissant publiquement que le racisme est un péché et que la justification biblique de l’apartheid est une erreur.

Dans un dernier temps, le dossier revient sur la « ligne de conduite » du COE et notamment sur la récente déclaration d’Harare dont le texte avait été reproduit dans le premier dossier du DEFAP en janvier 1986.

Le présent dossier décrit plus longuement la deuxième réunion du COE organisée du 1er au 6 juillet 1986 :

‘« L’objectif principal de la conférence était de proposer un programme d’action, concret et réaliste, qui puisse guider la Communauté internationale dans une action de solidarité avec les peuples d’Afrique du Sud et de Namibie quant à leur désir d’un changement politique fondamental1294 ».’

Les thèmes abordés lors de la consultation restent les mêmes : soutien aux « exilés », efficacité des moyens de pression, solidarité avec les mouvements de libération.

Le dossier conclut avec la mention d’une nouvelle mobilisation du COE à Lusaka le 8 mai 1987 « pour parler de l’Afrique australe et soutenir la lutte armée contre l’apartheid 1295  ».

Le DEFAP reproduit ainsi, une partie du message délivré à Lusaka :

‘« Nous affirmons le droit des peuples de Namibie et d’Afrique du Sud à obtenir la justice et la paix par les mouvements de libération. En rappelant notre engagement, nous reconnaissons que la nature du régime sud-africain, qui mène une guerre contre ses propres citoyens et ses voisins, oblige les mouvements de libération à utiliser la force parmi les moyens permettant de mettre un terme à l’oppression1296 ».’

Le dossier du DEFAP se conclut sur cette déclaration du COE qui donne sa légitimité à la lutte des mouvements de libération qui n’ont pas d’autres recours pour contester un régime tyrannique et oppressif. Il peut paraître étonnant que les auteurs du dossier ne commentent pas cette « ligne de conduite » exprimée par le COE, tout en sachant que cette question particulièrement (celle du soutien aux mouvements de libération) va être source de scissions et de polémiques au sein du protestantisme français. Cette référence à la conclusion de la réunion de Lusaka est-elle le signe d’une certaine adhésion au sein du DEFAP, à cette fameuse « ligne de conduite » proposée par le COE ? Rappelons que le dossier du DEFAP se compose de textes empruntés (notamment au COE) et n’est donc pas un travail de « première main ». Même s’il n’est pas noté explicitement quelles sources ont été utilisées pour composer les différentes parties, on peut aussi penser que le but du DEFAP a été « simplement » de proposer des textes illustrant une ligne de conduite commune à plusieurs Eglises.

Ce dossier témoigne donc de la volonté du DEFAP de faire le point sur les derniers événements sud-africains. Si c’est l’évolution politique du pays et l’instauration de l’état d’urgence qui ont motivé la sortie d’un nouveau dossier, c’est encore une fois la mobilisation des Eglises, en Afrique du Sud ou au sein du COE, qui occupe la majeure partie du dossier.

Notes
1279.

« Afrique du Sud : les derniers événements, février 1986-mai 1987 », dossier du DEFAP, mai 1987, 16p.

1280.

Ibid, p. 1.

1281.

Ibid., p. 2.

1282.

Ibid.

1283.

Ibid.

1284.

Ibid., p. 5.

1285.

Ibid.

1286.

La considération du problème namibien (et de sa complexité) par les chrétiens français n’est pas étudiée dans cette thèse, puisque son étude aurait impliqué d’aborder des données éloignées des questions de politique interne et de ségrégation raciale. J’évoque la question dans cette partie puisqu’elle fait l’objet de plusieurs pages dans le dossier du DEFAP.

1287.

A l’issue de la première guerre mondiale, la SDN accorda à l’Afrique du Sud un mandat sur le Sud-Ouest africain, colonie allemande depuis 1885. L’Afrique du Sud annexa le territoire en 1968. Deux ans auparavant, l’ONU avait pourtant révoqué le mandat sud-africain, rendant donc toute occupation illégitime. La Résolution 435 du conseil de sécurité de l’ONU adoptée le 29 septembre 1978 prévoyait l’accession du Sud-Ouest africain à l’indépendance après l’organisation d’un scrutin législatif sous l’égide de l’ONU. L’Afrique du Sud refusant l’application de la résolution, une guerre s’engagea entre l’armée sud-africaine et la SWAPO (South West Africa People’s Organisation) soutenue par l’URSS et reconnue par l’ONU en 1973 comme représentante unique du peuple namibien. Sous la pression internationale et à la suite de plusieurs revers militaires, l’Afrique du Sud se résolut au principe de l’indépendance de la Namibie, en admettant les accords de Washington signés en décembre 1988.

1288.

Ibid, p. 7.

1289.

Ibid., p. 11.

1290.

Ibid., p. 12.

1291.

Ibid., p. 13.

1292.

Ibid.

1293.

Ibid.

1294.

Ibid., p. 15.

1295.

Ibid., p. 16.

1296.

Ibid.