1-2 Une cause symbole, un sujet épineux

Il est plus délicat d’évaluer la place occupée par l’Afrique du Sud dans les travaux du CCFD que de comprendre les raisons pour lesquelles l’apartheid est devenu une cause importante pour le Comité.

Il a en effet été difficile pour moi de faire un exposé « linéaire » et chronologique de cette mobilisation, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est important de dire qu’il n’est pas dans la « politique » du CCFD d’ouvrir ses archives et qu’il a fallu beaucoup de temps et d’arguments avant de pouvoir y accéder… Du propre aveu de l’archiviste, les archives sont peu classées et leur consultation, plutôt difficile, n’a sans doute pas pu être exhaustive. Il n’est pas de mon ressort de juger de cette attitude d’opacité, mais je peux cependant tenter de l’expliquer : tout d’abord, il est compréhensible qu’une ONG ne juge pas comme important et utile d’ouvrir ses archives, ces dernières pouvant être internes et revêtir un caractère confidentiel touchant au fonctionnement propre d’une organisation. La deuxième raison pour laquelle il fut si difficile d’avoir accès aux archives du CCFD touche plus directement à la question étudiée, donc à l’Afrique du Sud. En effet, comme nous allons le voir tout au long de cette partie, la question sud-africaine va devenir rapidement une question épineuse au sein du CCFD, comme elle le sera aussi au sein d’autres groupes et commissions catholiques et réformés. Les natures du problème de l’apartheid, qu’elles soient économique ou politique, les enjeux diplomatiques rendent en effet difficile le positionnement d’un organisme confessionnel. Dans la deuxième moitié des années 80, le traitement de la question sud-africaine, dans une certaine mesure, va jouer un rôle dans le déclenchement de la polémique qui touchera le CCFD concernant les programmes menés. Cette polémique, dont le processus sera étudié plus loin, révélera les difficultés pour un organisme confessionnel à définir les moyens d’actions possibles. De l’aveu même de plusieurs de ses membres, la polémique fut d’une telle violence et les conséquences furent telles que plus de 10 ans plus tard, une certaine frilosité demeure concernant l’information délivrée sur le fonctionnement interne du comité et les programmes aidés. Cependant, il me semble important de préciser que cette difficulté à consulter les archives du CCFD ne signifie en aucun cas que le comité ait ou ait eu quelque chose à cacher…

Ces précisions faites, tentons de comprendre comment le problème sud-africain fut ressenti et abordé par le CCFD avant d’étudier, grâce aux documents que j’ai pu obtenir et les entretiens effectués, les actions menées et programmes soutenus.

C’est à partir des émeutes de Soweto que le CCFD commence à se mobiliser autour de la question sud-africaine. Mais c’est particulièrement au cours des années 80 que l’Afrique du Sud va s’imposer au sein des activités du CCFD, jusqu’à devenir progressivement une cause « symbole », et ceci pour plusieurs raisons. L’apartheid a été rapidement perçu comme étant un système portant une atteinte fondamentale à la dignité des Sud-Africains. Alors que le CCFD pouvait jusqu’alors agir en urgence dans des pays en situation de guerre ou de famine, la cause sud-africaine devient une cause mobilisatrice et symbolique de l’oppression et de l’état de servitude qui résulte de l’application des lois de l’apartheid. Le système devient ainsi le symbole de la persistance d’une suprématie blanche sur des populations africaines maintenues dans un état d’infériorité, de dépendance et d’exploitation économique.

Comme a pu me le dire Dominique Lesaffre, chargé de mission pour l’Afrique au CCFD au milieu des années 80, il était nécessaire de trouver des causes capables de fédérer, mais aussi, et d’une façon plus pragmatique, de se focaliser sur des causes qui pouvaient « justifier » une mobilisation sans pour autant demander des coûts financiers exorbitants comme cela pouvait être le cas pour des programmes d’urgence ou de reconstruction.

Le CCFD va ainsi élaborer, durant les années 80 et au fil des événements que connaît le pays, différents axes de réflexions et d’actions, autant en direction des Français que lors de l’élaboration de projets dans le but de venir en aide aux noirs sud-africains.