1-4 La publication de « L’apartheid sans masque » chez Karthaka

En 1987, le CCFD publie, dans un ouvrage édité chez Karthala, une série de textes sur l’Afrique du Sud sous le titre évocateur de L’apartheid sans masque 1314. Les textes ne sont en fait pas des textes de « première mains », mais des traductions, revues et adaptées de South Africa, un dossier publié par l’organisation catholique irlandaise Trocaire, homologue du CCFD. Un seul chapitre a été écrit en français pour l’occasion à savoir celui sur les relations entre la France et le régime de Pretoria, écrit par Sophie Passebois du mouvement anti-apartheid (MAA). L’ouvrage s’articule autour de dix chapitres qui reprennent les thèmes suivants : faits et chiffres ; l’Afrique du Sud aujourd’hui ; l’histoire de l’apartheid ; apartheid et pauvreté ; les groupes politiques ; l’opposition intérieure ; l’opposition à l’extérieure ; les Eglises et l’apartheid ; la crise en Afrique du Sud (une réflexion à partir du document Kairos) ; la France et le régime d’apartheid.

Les thèmes abordés sont identiques à ceux abordés déjà par le CCFD (notamment au sein du dossier « Opération W » de 1982) ou par les principaux groupes chrétiens engagés (CSEI, « Justice et Paix »). Il est difficile de savoir qu’elles ont été la portée et les répercutions de ces textes dans le « grand public », mais il est important de noter que ces textes ont été édité par Karthala, maison d’édition à diffusion large. Ce fait témoigne aussi d’un intérêt réel pour la question sud-africaine dans la deuxième moitié des années 80. Là où l’ouvrage révèle une réelle position militante, c’est dans le chapitre consacré aux relations que la France entretient avec le régime de Pretoria. Le ton est volontairement direct et accusateur, dans le but de dénoncer clairement ces relations considérées comme honteuses, et sans doute assez peu connues par les Français. Le passage suivant est révélateur d’une telle intention :

‘« C’est seulement après la mise en place du régime d’apartheid que les échanges diplomatiques et économiques ont été développés, dans le cadre d’une politique de coopération délibérée. Donnez-nous de l’or, du charbon et de l’uranium, nous vous fournirons des armes et des centrales nucléaires1315 ».’

Afin d’étayer ses propos, Sophie Passebois rappelle que la France fait partie des cinq premiers investisseurs présents en Afrique du Sud ; elle met aussi l’accent sur la poursuite, même après l’embargo sur les armes décidé par les Nations Unies en 1977, de la collaboration militaire française avec l’Afrique du Sud par le biais des cessions de licences de fabrication ; la détention par Total SA de 13,5% du marché pétrolier sud-africain et la poursuite éventuelle des échanges pétroliers après l’embargo décidé en 19791316

Une large partie du même chapitre est également consacrée à la mobilisation en France, principalement au sein du Mouvement anti-apartheid donnant ainsi une tribune importante à l’histoire et aux actions du mouvement.

La mention de la participation du CCFD (même indirecte) à la parution de cet ouvrage témoigne bien de la volonté constante d’offrir aux Français des sources d’informations parallèles. L’intérêt d’une telle publication réside dans le fait qu’elle a pu bénéficier d’une diffusion plus large que les précédents travaux du CCFD dont les diffusions ont été forcément plus « confidentielles » et ont touché des publics plus « ciblés ».

Quant au chapitre consacré aux relations entre la France et le régime de Pretoria, parce qu’il a été écrit pour cette publication et n’est pas une « reprise », il témoigne de la volonté réelle d’informer et surtout de dénoncer un lien toujours aussi honteux, particulièrement depuis les émeutes de Soweto. L’existence de ce chapitre témoigne de l’adhésion du CCFD à une telle « ligne de conduite » et surtout de son soutien à la mobilisation qui s’incarne au sein du Mouvement anti-apartheid.

Notes
1314.

Textes réunis et présentés par Jeff TREMBLAY, L’apartheid sans masque, Paris, CCFD-Karthala, 1987, 126 p.

1315.

Ibid., p. 113.

1316.

D’après Sophie PASSEBOIS, membre du MAA, « les 15 millions de tonnes dont l’Afrique du Sud a besoin chaque année sont l’objet d’un gigantesque commerce clandestin » et sous-entend que Total participerait à l’importation directe de brut en Afrique du Sud, brut qu’elle raffinerait et distribuerait ensuite. Voir « L’apartheid sans masque », op.cit., p. 115.