1-5 Les dossiers et articles dans Faim et développement

Le CCFD s’intéresse à l’Afrique du Sud avant que n’éclatent les émeutes de Soweto

Le CCFD consacre plusieurs articles et dossiers à la question sud-africaine dans son périodique Faim et développement. Dès avant les événements de Soweto, un dossier de quatre pages paraît dans la revue en avril 1976 sous le titre « Noirs et Blancs en Afrique du Sud : la poudrière 1317  ». Son introduction de ce dossier nous informe de la parution en février d’un précédent dossier rédigé par Anne-Marie Goguel1318. Jean-Bernard Curial observe bien la montée du climat de tension et sent bien que la révolte est imminente :

‘« Après la répression des années 60 qui réduisit brutalement l’opposition au silence, le gouvernement sud-africain put présenter son pays aux investisseurs du monde entier comme un véritable îlot de calme et de stabilité. Depuis 1971, cette fiction s’est écroulée : dans des secteurs très différents de la société sud-africaine, le mécontentement gronde, la révolte éclate. Seul le suréquipement policier et militaire du « pouvoir pâle » réussit à contenir les revendications et les exigences des populations noires1319 ».’

Jean-Bernard Curial dresse ainsi l’historique des premières mesures discriminatoires et l’apparition des mouvements de résistance noirs. Il décrit ensuite les rouages du système d’apartheid et particulièrement la formation des zones noirs (bantoustans), le travail migrant et les conditions de vie dans les townships ou dans les foyers pour célibataires. Le but réel du « grand apartheid » est, là encore, compris et dénoncé :

‘« Il s’ensuit qu’un homme sur deux en âge de travailler est obligé de migrer ; et c’est là une des fonctions économiques essentielles de ce système. Obliger la main d’œuvre valide qui ne peut trouver de travail dans son homeland dépourvu de toutes ressources à migrer vers les zones industrielles blanches1320 ».’

Sont ensuite énumérés les nombreux droits et libertés dont sont privées les populations noires (contrôle des déplacements, refus du droit de travail, du droit de grève et du droit de se syndiquer…). Mais le fait le plus choquant reste l’absence de droits politiques :

‘« L’autre fonction de cette politique de « développement séparé » vise à n’accorder de droits aux Africains que sur une infime partie de leur territoire, c’est à dire dans les homelands […]. L’indépendance promise aux homelands n’est qu’un leurre. Les principales et plus importantes ressources du pays se trouvent en zone blanche1321 ».’

La dernière partie du dossier est consacrée à la situation des Eglises qui « observent une attitude plus ou moins critique vis-à-vis de la politique raciale du parti au pouvoir 1322  » et particulièrement aux Eglises « anglaises » réunies au sein du conseil sud-africain des Eglises « qui s’opposent très ouvertement et depuis longtemps au régime d’apartheid 1323  ». Les Eglises ont, elles aussi, à subir la répression du gouvernement, l’article citant le cas particulier du Christian Institute (Institut chrétien) dont les membres « font face depuis plus de trois ans aux harcèlements incessants du gouvernement et de sa police 1324  ».

Revenant sur les mouvements noirs anti-apartheid, Jean-Bernard Curial comprend bien que la résistance pacifique s’épuise et que le recours à la lutte armée devient inévitable et même compréhensible vu les circonstances :

‘« Après plus de cinquante ans de luttes légales et pacifiques sans espoir, ils sont aujourd’hui en exil et s’organisent pour libérer leur pays. L’African National Congress a depuis toujours développé un programme politique multiracial, ne remettant pas en cause la présence des Blancs sur le sol sud-africain. Il demande un partage démocratique du pouvoir politique et des richesses économiques1325 ».’

Le but d’un tel propos est bien de montrer que la violence ne provient pas de l’ANC dont les principes, énoncés dans la Charte de la liberté en 1955, sont des principes démocratiques et multiraciaux. Si nous lisons entre les lignes, Jean-Bernard Curial condamne plutôt la violence gouvernementale, institutionnalisée, qui est à elle seule responsable des nouvelles formes de contestations qui sont en train d’apparaître chez les Noirs.

Les moyens de lutte plus radicaux que s’apprêtent à adopter les mouvements de libération en exil, s’ils ne sont pas défendus clairement, sont en effet compris et considérés comme légitimes. Cette question du recours à la lutte armée, et le regard porté par le CCFD sur l’action des mouvements de libération, apparaissent ainsi déjà en 1976 et deviendront récurrents dans les années 80 pour aboutir, comme nous le verrons plus tard, à voir le CCFD accusé notamment d’entretenir des relations avec les mouvements de libération.

Notes
1317.

Jean-Bernard CURIAL, « Noirs et Blancs en Afrique du Sud : la poudrière », Faim et développement, dossier 45C, avril 1976, pp. 13- 16.

1318.

Anne-Marie GOGUEL, « L’Afrique du Sud, celle des Blancs, celle des Noirs », Faim et développement, dossier 33A, février 1975. je n’ai pas pu consulté ce dossier, ce dernier ne figurant pas dans les archives du CCFD.

1319.

Jean-Bernard CURIAL, « Noirs et Blancs en Afrique du Sud : la poudrière », op.cit., p. 15.

1320.

Ibid., p. 14.

1321.

Ibid., p. 15.

1322.

Ibid., p. 16.

1323.

Ibid.

1324.

Ibid.

1325.

Ibid.