Face à l’aggravation de la situation, que faire ?

Fin décembre 1977, les questionnements concernant le regard à porter sur l’Afrique du Sud et surtout les actions à mener apparaissent dans un nouveau dossier titré « Afrique du Sud : où en sont-ils ? où en sommes-nous 1331  ? ». Après une courte présentation du système d’apartheid et des mouvements de résistance en présence (ANC, PAC, Mouvements de la Conscience noire), Michel Gauvry revient longuement sur l’aggravation des tensions depuis un peu plus d’un an, aggravation causée par un durcissement net du régime qui exerce une répression de plus en plus violente à l’encontre d’opposants noirs (Steve Biko) et d’organisations (Christian Institute). Là encore, se pose la question de l’issue du conflit :

‘« Le durcissement du régime a sans doute atteint un point de non-retour, refusant toute solution par voie de négociation. Mais dans le rapport de force, les Noirs sont pour l’instant défavorisés, car ils n’ont ni les armes, ni la loi. Où s’arrêtera l’escalade ?1332 ».’

Le ton utilisé pour présenter la situation tendue en Afrique du Sud à la fin de l’année 77 est donc plutôt alarmiste. Face à cela, qu’en est-il de la mobilisation internationale ?

‘« Les événements de ces dix-huit derniers mois ont rendu plus odieux encore le régime sud-africain au point que des gouvernements de plus en plus nombreux se sont inquiétés de la situation. Des organisations éveillent de plus en plus l’opinion publique à l’intérieur et à l’extérieur1333 ».’

En effet, des mesures concrètes ont vu le jour en 1977 avec le lancement en janvier d’une semaine de boycotts organisée par la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) puis, en septembre, la parution du « code de bonne conduite » élaboré par les ministres des affaires étrangères de la CEE, pour les entreprises ayant des filiales et des succursales en Afrique du Sud1334.

C’est ensuite la question plus globale des boycotts qui se pose mais aucune réponse n’est apportée par Michel Gauvry. S’il est clair que « l’Afrique du Sud est une grosse puissance économique », il est aussi clair que « l’économie occidentale est aussi très dépendante de l’Afrique du Sud tant sur le plan des matières premières que des marchés potentiels 1335  ».

Même après la résolution du conseil de sécurité de l’ONU d’octobre 1977 décrétant l’embargo sur les armes destinées à l’Afrique du Sud, Michel Gauvry ne peut s’empêcher de poser la question suivante :

‘« Mais un boycott économique de l’Afrique du Sud est-il réellement possible1336 ? »’

Si la question des boycotts est abordée dans ce dossier, le CCFD, et en son nom Michel Gauvry, ne laisse apparaître aucun parti pris et se « contente » de présenter les premières mesures prises au niveau européen et international.

Ce n’est plus tout à fait le cas en mars 1979 alors qu’un nouveau dossier paraît sous le titre « Les banques et l’apartheid1337 ». Michel Gauvry revient sur la question des boycotts :

‘« Chacun à sa mesure, les pays qui échangent en Afrique du Sud contribuent à maintenir à Pretoria un pouvoir dangereusement oppressif pour tous ceux qui revendiquent la nationalité sud-africaine1338 ».’

Les relations commerciales maintenues avec l’Afrique du Sud sont donc bien perçues comme traduisant un soutien implicite et même une collaboration avec le régime de Pretoria. Le cas de la France et des relations commerciales qu’elle entretient avec l’Afrique du Sud est ensuite décrit et dénoncé, avec la mention de la livraison de la centrale de Koeberg en 1976 et des livraisons d’armes qui ont déjà souvent été mentionnées dans la presse chrétienne :

‘« Ainsi, donc, par ses liens économiques, la France contribue à maintenir l’apartheid quotidien, celui par lequel les Noirs sont des migrants dans leur propre pays et ont des salaires qui peuvent être dix fois inférieurs à celui d’un Blanc pour un même travail […]. La France a largement commercé avec l’Afrique du Sud pour lui fournir son armement avec l’inénarrable condition que ces armes servent uniquement à la défense du territoire et non à l’offensive et à la répression ! Non seulement la France vend, mais elle accorde à l’Afrique du Sud les licences de fabrication de mirages et autre armement conventionnel […]. C’est ainsi que la France est le premier fournisseur d’armes à l’Afrique du Sud1339 ».’

Le propos se fait ici plus nettement plus accusateur et dénonciateur, particulièrement en ce qui concerne le commerce des armes, ce dernier étant plus honteux que n’importe quel autre commerce au lendemain des émeutes de Soweto.

La deuxième page du dossier traite plus particulièrement des relations entre les banques européennes et l’Afrique du Sud. Michel Gauvry s’appuie sur une brochure (« Votre banque et l’apartheid ») publiée par le CRIAA (Collectif de recherche et d’information sur l’Afrique australe) qui fait le point sur le rôle des banques françaises en Afrique du Sud et particulièrement dans le financement de plusieurs projets : Le Crédit lyonnais a ainsi consenti des prêts pour Koeberg et le groupe Infosuez détient un nombre important de valeurs sud-africaines, notamment dans les mines d’or et d’argent1340.

Face à de telles relations quelles actions peuvent-être menées ? Michel Gauvry rapporte la mobilisation exprimée au sein du groupe œcuménique formé par le CCFD, la CIMADE, le groupe « Racisme » de la FPF et la commission « Justice et Paix ». Les démarches autour de la question des boycotts concernent avant tout l’information : sur l’Afrique du Sud et l’apartheid dans un premier temps (afin de bien comprendre le contexte) ; auprès des banques « qui placent notre argent » et vers lesquelles il est nécessaire de poser les questions suivantes :

‘« Utilisent-elles cet argent pour des placements ou prêts en Afrique du Sud ? ont-elles, dans leur portefeuille, des actions ou obligations sud-africaines nous impliquant tacitement dans la situation actuelle ?1341 »’

La question des boycotts et celle des actions concrètes à mener concernant les collaborations financières et commerciales entre la France et l’Afrique du Sud commencent ainsi à mobiliser les groupes de chrétiens qui travaillent sur la question de l’apartheid. Elle deviendra récurrente dans les années 80, comme nous avons déjà pu le voir en étudiant la mobilisation au sein de la FPF ou de « Justice et Paix », alors qu’elle fera aussi l’objet de plusieurs travaux et actions au sein du COE.

Notes
1331.

Michel GAUVRY, « Afrique du Sud : où en sont-ils ? où en sommes-nous ? », Faim et développement, dossier 61C, décembre 1977, 2 p.

1332.

Ibid., p. 1.

1333.

Ibid., p. 2.

1334.

« Code de conduite de la CEE pour les entreprises ayant des filiales, des succursales ou des représentations en Afrique du Sud », La documentation catholique, n°1733, 1er janvier 1978, col 45-46. le code invite les entreprises à reconnaître les syndicats africains, à augmenter les salaires, à ne plus reconnaître les emplois « réservés »…

1335.

« Afrique du Sud : où en sont-ils ?… », op.cit., p. 2.

1336.

Ibid.

1337.

Michel GAUVRY, « Les banques et l’apartheid », Faim et développement, dossier 74C, mars 1979, 2 p.

1338.

Ibid.

1339.

Ibid.

1340.

Le dossier du CCFD reproduit ce passage de la brochure en question « les banques françaises ne sont pas les dernières à collaborer au financement de l’apartheid. D’après nos estimations, les banques françaises ont participé à 57 des 176 emprunts recensés. Mis à part trois d’entre eux, les emprunts avec participations françaises sont allés à l’Etat sud-africain ou aux sociétés nationales ».

1341.

« Votre banque et l’apartheid », op.cit., p. 2.