La mise en évidence de la nature économique du système d’apartheid

En 1981, un nouveau dossier de Faim et développement est consacré à la nature économique du système d’apartheid et à la puissance sud-africaine1342, alors qu’une conférence sur le renforcement des sanctions à l’égard de l’Afrique du Sud vient de se tenir à Paris. L’auteur relève particulièrement la prise de parole de la France lors de cette réunion qui semble indiquer un certain engagement « même si l’on ne doit pas s’attendre à des décisions fracassantes 1343  ». Mais l’apparition d’une contestation internationale peut permettre d’éclairer la véritable nature de l’apartheid :

‘« L’Afrique du Sud demeure sans aucun doute l’exemple le plus fragrant et le plus sophistiqué du système de contrôle et d’exploitation de la force de travail que connaisse le monde aujourd’hui. Longtemps, pour l’opinion mondiale, ce modèle de surexploitation de la main d’œuvre noire à été camouflé par le système d’apartheid qui n’est en réalité qu’un grossier montage idéologique pour justifier par la différence ethnique un ensemble de lois répressives qui permette de « légaliser » l’exploitation en maintenant la totalité du pouvoir économique, politique et social de l’Etat entre les mains de la minorité blanche1344 ».’

Le système d’apartheid est donc bien compris comme étant une falsification idéologique visant au maintien de la domination blanche sur les plans politique, économique et social. La croissance économique entraîne une accentuation de la « mécanique » d’apartheid avec un afflux des populations vers les villes et leur entassement dans les townships, alors que le reste de la famille est obligé de rester sur les terres improductives des bantoustans. Parallèlement, l’Etat met en place un système de plus en plus répressif afin de contrôler une résistance interne grandissante dans le but de faire face, à l’extérieur, à une situation de plus en plus tendue avec les pays de la « ligne de front ». Emmanuelle Victor revient ainsi longuement sur le développement de l’arsenal nucléaire en Afrique du Sud et sur la participation française lors de la vente de la centrale de Koeberg. Il lui paraît donc évident que l’Occident participe au renforcement de la puissance sud-africaine :

‘« Cette militarisation de l’Etat sud-africain est assez bien camouflée par les statistiques et difficile à évaluer à cause des achats dissimulés d’armes et d’équipements provenant des pays occidentaux grâce à des intermédiaires. La construction rapide d’équipements industriels et d’armements par des entreprises privées rendent maintenant l’Afrique du Sud auto-suffisante en matériel de guerre conventionnel1345 ».’

Ce sont donc les natures exclusivement économiques et militaires qui sont abordées dans ce dossier. La militarisation du pays ne peut que susciter l’inquiétude de la communauté internationale qui, paradoxalement, par le maintien de relations commerciales, participe à cet état de fait. Sans l’exprimer nettement, le dossier semble bien véhiculer l’idée de la nécessité de l’adoption de sanctions économiques.

Il est intéressant de noter que les dossiers et articles paraissant dans Faim et développement dans les années 70 et jusqu’à ce dernier publié en 1981, privilégient la présentation de l’apartheid comme étant système d’exploitation économique mais ils n’évoquent pas ou peu la doctrine idéologique et calviniste fondatrice du système. A la suite des émeutes de Soweto, le CCFD se questionne sur la question des relations commerciales que les puissances occidentales entretiennent avec le régime de Pretoria, et plus particulièrement sur les échanges entre la France et l’Afrique du Sud en matière nucléaire et d’armement. Finalement, les dossiers abordent assez peu les aspects concrets du système d’apartheid (comme le contenu et les effets des lois instaurant la ségrégation) et les conséquences sur la vie quotidienne des Noirs. Une place plus importante est consacrée au « grand apartheid » et à l’immense plan visant à l’exploitation économique des Noirs et à leur regroupement dans des zones réservées.

Notes
1342.

Emmanuelle VICTOR, « Afrique du Sud : là où germe la violence », Faim et développement, dossier 81-6/7, juin-juillet 1981, 2 p.

1343.

Ibid.

1344.

Ibid.

1345.

Ibid.