Deux exemples de projets : le soutien à l’association SACHEDet au journal New Nation

La question de l’éducation va être au cœur de l’action de l’association sud-africaine SACHEDcréée en 1959 pour pallier aux effets d’un système éducatif discriminatoire et donner l’impulsion à un développement démocratique. L’association est implantée dans 7 villes d’Afrique du Sud, le siège étant basé à Johannesburg. Le travail de l’association fait l’objet d’un long article dans Faim et développement en février 19901367, article qui donne des informations intéressantes sur les activités et le fonctionnement de SACHED :

‘« L’organisation SACHED (South African Committee for Higher Education) compte aujourd’hui 250 salariés répartis en 10 centres et elle articule ses activités autour de plusieurs axes : des cours par correspondance pour les étudiants en enseignement ; des cours universitaires en littérature et histoire africaines, sociologie, psychologie, économie, mathématiques et physique, destinés à compléter les cours donnés par les institutions d’Etat ; une préparation à l’équivalent du baccalauréat (matric) par correspondance, mettant en particulier l’accent sur l’apprentissage de l’anglais ; édition de livres éducatifs en anglais, afrikaans et six langues africaines destinés à répondre aux carences de l’édition scolaire […] ; cours et stages de gestion, de secrétariat […] ; Upbeat : un magazine à vocation éducative destiné aux adolescents et distribué essentiellement dans les écoles ; soutien scolaire pour les jeunes ex-détenus, qui furent plusieurs dizaines de milliers à être emprisonnés sans jugement depuis l’instauration de l’état d’urgence, en 19861368 ».’

Il est donc clair que l’accès à l’apprentissage de l’anglais permettra une meilleure intégration sociale des Noirs dont beaucoup sont illettrés, particulièrement dans les zones rurales. Comme l’indique l’article, les militants noirs anti-apartheid prônent l’anglais comme unique langue officielle. Le travail de SACHED est devenu d’autant plus difficile à partir de la promulgation des états d’urgence au milieu des années 80. L’association a ainsi tenté de venir en aide aux anciens détenus arrêtés pendant cette période de répression gouvernementale en les accueillant au sein de ses structures, et en leur proposant un soutien psychologique.

SACHED est ainsi l’illustration parfaite d’une initiative venant des populations les plus concernées et proposant des moyens de développement que le gouvernement ne peut pas leur proposer. Le CCFD soutient particulièrement ces projets se rapportant au domaine éducatif en ayant bien conscience que c’est au niveau des écoles qu’un changement et une prise de conscience pourront se faire. C’est d’ailleurs ce que relève Nathalie Prevot en conclusion de son article, soulignant que « SACHED prépare l’Afrique du Sud de demain. Celle qu’il faut aider 1369  ».

Il est intéressant de noter que la mention de l’action de SACHED en Afrique du Sud a permis d’éclairer sur les carences du système éducatif réservé aux Noirs sud-africains. En effet, La Croix consacre un article à l’association en reproduisant l’interview faite avec son directeur, John Samuel1370. Ce dernier en profite pour présenter le système éducatif discriminatoire et le but de son association, c’est-à-dire celui d’instaurer dans le futur une école multiraciale et un système éducatif régi par un programme unique. L’association, mentionnée dans un organe de presse catholique à large diffusion, devient en quelque sorte un symbole de la lutte contre l’apartheid dans le domaine éducatif. Ce projet témoigne aussi de l’implication des Eglises puisqu’il est mentionné que, d’une part, Desmond Tutu fait parti du conseil d’administration de SACHED et que d’autre part, l’association reçoit l’aide financière d’organismes français, allemands et scandinaves.

Le CCFD a également soutenu activement un hebdomadaire appartenant à la Conférence épiscopale catholique, New Nation. Ce journal proposant une ligne éditoriale contestant le régime, il a eu à subir les effets de la répression gouvernementale qui s’abat, en 1988, sur plusieurs organismes politiques (dont l’UDF) et journaux. L’interdiction de parution de ce journal catholique, a mis l’éclairage sur le contexte répressif qui n’a cessé de s’accroître à partir du milieu des années 80. Faim et développement rend ainsi compte de cette interdiction en mai 1988 vu que la mesure répressive à l’encontre de leur journal a suscité la réaction des évêques catholiques sud-africains :

‘« Les évêques sud-africains se sont insurgés contre les restrictions commises par le gouvernement de Pretoria concernant 17 organisations et des individus qui luttent contre l’apartheid […]. La lettre des évêques nous amène aussi des nouvelles du journal New Nations, hebdomadaire appartenant à la Conférence épiscopale catholique d’Afrique du Sud, appuyé par le CCFD. Ce journal a été interdit et des journalistes arrêtés1371. »’

La nouvelle de cette interdiction a suscité des réactions au sein du CCFD mais la nouvelle a été répercutée dans plusieurs organes de presse catholique et susciter la solidarité de l’UCIP (Union catholique internationale de la presse). Fides rend aussi compte de la nouvelle de l’arrestation du rédacteur en chef du journal Zwelakhe Sisulu et surtout de sa détention sans procès1372

Ces références faites aux problèmes rencontrés par un journal catholique qui incarne une parole très percutante, informèrent ainsi les Français du climat délétère qui règne alors en Afrique du Sud, notamment à cause de la répression dont sont victimes l’Eglise catholique et les organes qui en émanent. Le soutien de plusieurs organismes de développement, dont le CCFD, est donc légitime vis-à-vis d’un Etat qui exerce une répression intense à l’encontre des institutions et des groupes chrétiens qui tentent de s’impliquer activement pour entraîner une prise de conscience et soutenir les populations opprimées.

Les projets soutenus par le CCFD décrits ci-dessus visèrent donc à apporter un appui financier à des projets élaborés le plus souvent dans un cadre ecclésial. Autrement dit, le CCFD agit en collaboration étroite avec des organismes d’Eglises, et particulièrement avec le SACBC, faisant de l’Eglise catholique sud-africaine un interlocuteur privilégié. Mais si ces projets s’incarnent bien au sein de structures ecclésiales établies et plus ou moins impliquées dans la lutte anti-apartheid, le CCFD va souvent privilégier des initiatives sud-africaines extrêmes (mais non extrémistes) ou en tous cas fortement militantes et visant toutes (que ce soit dans le domaine de l’information, de l’éducation ou de la formation) à une « conscientisation » des populations opprimées, qu’il s’agisse des étudiants exclus d’un système défectueux, de jeunes travailleurs et travailleuses voulant améliorer leurs conditions de travail ou de vie, ou encore d’habitants des townships réunis au sein de comités de quartiers et autres organisations (civics…) .

Face aux accusations diverses qui furent adressées au CCFD (particulièrement dans la deuxième moitié des années 80) concernant la nature des projets soutenus dans les pays du Sud, le CCFD rétorqua toujours que les projets soutenus étaient en lien avec les institutions d’Eglise. Ce fut bien le cas en Afrique du Sud, mais cette « protection » ecclésiale n’a pas suffi à apaiser les critiques les plus virulentes, vu que l’Eglise catholique sud-africaine et particulièrement les groupes d’action catholique comme la JOC, se mobilisèrent radicalement pendant l’apartheid et ne purent pas ne pas aborder les thèmes sociaux, politiques, économiques du système. Autrement dit, établir un partenariat avec un groupe comme la JOC sud-africaine entraînait forcément une prise en compte des problèmes de salaires, de syndicats, de conditions de travail qui étaient ceux des jeunes travailleurs…

Notes
1367.

Nathalie PREVOT, « une école pour tous au pays de l’apartheid », op.cit.

1368.

Ibid.

1369.

Ibid.

1370.

« L’éducation en Afrique du Sud : l’écart s’accroît entre Blancs et Noirs », La Croix, 22-23 juin 1986, p15.

1371.

Marie-Paule DE PINA, « Afrique du Sud : un appel de l’Eglise », op.cit.

1372.

« Solidarité de la presse catholique internationale avec New Nation», Fides, n°3534, 23 janvier 1988, p42. Quelques semaines plus tard, Fides revient sur l’événement et précise que les évêques catholiques s’élèvent bien contre les restrictions imposées à la liberté de la presse « en prenant leurs distances des opinions souvent publiées dans l’hebdomadaire catholique […] mais réaffirment catégoriquement la nécessité que dans un pays civilisé, il y ait une place pour le désaccord », in « Lettre épiscopale sur la violation des droits de l’homme », Fides, 23 mars 1988, n°3548, p. 162.