2-3 Silences relatifs autour des fondements religieux de l’apartheid

Si l’apartheid est naturellement perçu comme un système portant atteinte aux libertés fondamentales des Noirs sud-africains, il est important de noter que les fondements religieux de l’apartheid ne sont pratiquement pas rappelés, que ce soit au sein des articles de Cimade informations ou au moment de mobilisations pour des campagnes d’actions et de boycotts. A quelques occasions, cependant, la Cimade va faire référence au « christianisme d’état » qui donne une justification au système d’apartheid. C’est par exemple le cas en octobre 1977, date à laquelle la Cimade réagit explicitement à la « théologie d’Etat » qui sert de base au système. Cette référence apparaît dans une lettre que la Cimade adresse au Premier ministre Vorster à la suite de la mort de Steve Biko :

‘« Nous sommes indignés du fait du fait que vous osez encore vous réclamer du « christianisme » pour réduire les 18 millions de Noirs, de Métis et d’Asiates en esclaves dans leur propre pays. Votre « christianisme » n’a rien à voir avec l’Evangile du Christ qui ne fait acception de personne1417 ».’

Un peu plus de 10 ans plus tard, la Cimade, dans un court document (sans doute à diffusion interne) consacré à la situation de l’Afrique du Sud en 1988, s’arrête plus longuement sur l’identité religieuse des Afrikaners. Le contexte est particulier puisque l’année 1988 est celle de la commémoration (tricentenaire) de l’arrivée des Huguenots français dans le pays :

‘« Une population exclue, persécutée, victime de la discrimination religieuses, quittait clandestinement son pays, la France, et rejoignait les quelques centaines de Hollandais et d’Allemands qui avaient déjà trouvé, une vingtaine d’années auparavant, dans la région du Cap, une terre d’accueil. De quel héritage sont-ils détenteurs les Afrikaners d’aujourd’hui ? Qu’ont-ils fait de cette terre d’Afrique du Sud ? Comment sont-ils arrivés à se forger une conscience de peuple « élu » de Dieu, dont la liberté passe par le mépris du « non-blanc » ? 1418».’

La commémoration du tricentaire de l’arrivée des Huguenots sert donc de prétexte pour se questionner (rapidement) sur la mentalité afrikaner et surtout sur les circonstances qui ont amené ces Huguenots à quitter l’Europe. Tous les réformés européens partis au XVIIème d’Europe du Nord ont bien fui les persécutions dont ils étaient les victimes. Si le rédacteur de ce document se « contente » de poser des questions, ne porte pas de jugements moralisateurs ni ne donne d’informations précises concernant le calvinisme qui fut le leur à leur arrivée dans le pays, cette mention démontre que du statut de « réfugiés » en fuite, les migrants devinrent progressivement dominateurs et les porteurs d’un calvinisme falsifié, développant une mentalité de peuple élu, légitimant ainsi en partie la mise en place progressive de mesures ségrégationnistes. La forme interrogative adoptée permet également d’éviter des jugements tranchés sur les fondements calvinistes de l’apartheid. Ce court passage permet également de constater que la Cimade reste sensible, aux sorts des réfugiés et des victimes de répression, quelle que soit l’époque, quelle que soit leur identité.

Les fondements spirituels et religieux de l’apartheid sont donc rappelés souvent rapidement et sans beaucoup de détails. Un tel silence ne rélève pas, je pense, d’un quelconque malaise ou d’une honte qui pourraient s’exprimer chez les réformés français. Je pense plutôt que les membres de la Cimade n’estiment pas comme essentiel de rappeler un tel fait et préfèrent se concentrer sur les effets réels du système sur les populations et proposer des actions pour leur venir en aide.

Notes
1417.

« Après la mort du leader noir sud-africain Steve Biko », Le christanisme au XXème siècle, n°38, 10 octobre 1977, p. 7.

1418.

« Afrique du Sud, l’état d’urgence reconduit », 1988, 1 p.