2-6 Deux exemples de programmes soutenus dans les années 70

Dès 1977, un projet est élaboré conjointement par la Cimade et le CCFD, témoignant ainsi d’une action commune entre les deux organismes. Le programme porte sur la formation syndicale des travailleurs noirs. Nous avons déjà pu comprendre que la thématique de la « conscientisation » des travailleurs, notamment par l’aide apportée à la JOC, est récurrente au sein du CCFD. La Cimade s’inscrit donc dans la même ligne de conduite. Un programme est donc établi pour soutenir financièrement l’Institut pour l’éducation industrielle, créé à Durban en 1973, en vue de former des militants syndicaux parmi les travailleurs noirs. L’institut propose ainsi des cours de formation à une centaine de correspondants par an, sur plusieurs thèmes tels les organisations ouvrières, la législation du travail, les négociations… Dans le contexte particulier de l’Afrique du Sud, les cours ont lieu par correspondance mais prévoit aussi en 1977 une série de cours intitulés « labour studies » alternant des études théoriques et du travail pratique d’organisation syndicale. La courte présentation du programme stipule également que l’Institut possède un département de recherche qui s’occupe des programmes de formation dans le monde du travail en Afrique du Sud (salaires, comparaisons des conditions de travail…). Depuis mai 1976, l’Institut a lancé une action d’alphabétisation pour des groupes d’ouvriers.

Du point de vue du financement, il est précisé que la contribution demandée au CCFD et à la Cimade pour 1977 est de 100 000 F et se révélant en hausse par rapport aux années précédentes :

‘« L’Institut a été soutenu par le CCFD et la Cimade en 1975 et 1976, à raison de 80 000 F chaque année. Ce soutien est appelé à se prolonger, compte tenu des réalités politiques en Afrique du Sud et de la privation des libertés syndicales qui obligent les militants engagés dans ce combat à chercher des appuis à l’extérieur, dont l’aspect financier n’est pas le moins important ».’

En 1978, un autre programme mené en commun par le CCFD et la Cimade est présenté dans un court document, sans doute distribué aux donateurs et bénévoles travaillant dans les comités locaux1452. Cette lettre ne se contente pas de présenter le contenu du programme mais dresse un tableau détaillé de la situation politique et sociale dans le pays : grèves et répressions depuis 1972, aggravation du chômage et revendications plus importantes chez les travailleurs noirs. La question des bantoustans est également évoquée sous l’angle économique et social, insistant sur le fait que les mines et complexes industriels restent en dehors des limites des territoires :

‘« C’est l’apartheid consolidé sur tous les plans avec un simulacre d’autonomie. En fait, ces bantoustans sont des réservoirs de main d’œuvre à bon marché, situés à proximité des centres de production blancs […]. Ce système permet au régime de Pretoria de maintenir les Africains en esclavage pour continuer à faire de substantiels profits. Ainsi, les « improductifs » (femmes, enfants, vieillards) sont parqués aussi loin que possible des zones blanches, pendant que les « productifs » assurent, par la force de travail qu’ils représentent, l’expansion économique de l’Afrique du Sud blanche, tout en restant à leur place d’êtres inférieurs, sans droits, sans racines ».’

L’accent est donc mis sur le caractère économique des bantoustans, permettant l’exploitation totale des populations noires considérées comme de seules forces de travail. Cet apartheid est ainsi avant l’exploitation d’une classe de dominant sur une population exploitée. L’angle adopté pour décrire le système des bantoustans est, comme nous l’avons déjà vu, le même que celui utilisé par la plupart des observateurs chrétiens.

Une importante partie est consacrée au mouvement de la Conscience noire, quelques mois après la mort de son charismatique représentant Steve Biko (en octobre 1977). L’émergence de ce mouvement avait, avant cet événement, traduit la prise de conscience du peuple noir. Face à la répression, les Eglises apparaissent comme un espoir pour les populations opprimées. C’est la raison pour laquelle la Cimade et le CCFD décident de leur venir en aide :

‘« Elles ont besoin de notre soutien fraternel là-bas et ici en France. L’information et l’éducation de l’opinion sont donc plus jamais nécessaires, car la France a des liens étroits avec le régime blanc et son soutien permet à ce régime de se perpétuer dans la voie de l’injustice[…]. Le soutien accordé aux Eglises d’Afrique du Sud par le CCFD et la Cimade pour 1978 est de 100 000 F ».’

Il n’est pas donné plus de précisions sur les Eglises aidées par les deux organismes français mais il paraît évident que les programmes soutenus par l’Eglise catholique et celles membres du Conseil sud-africains des Eglises (SACC) sont celles qui ont bénéficié d’un soutien financier puisque ce sont elles qui sont le plus majoritairement engagées dans la lutte anti-apartheid.

Ces deux projets sont deux exemples d’une action commune entre les deux organismes français. Si je n’en ai pas retrouvé les traces écrites, je pense que plusieurs autres programmes ont pu bénéficier d’un tel soutien commun. Les deux programmes présentés rapidement ici témoignent en tous cas d’une certaine précocité dans la mobilisation puisque l’intérêt pour l’Afrique du Sud et l’apartheid se développe dès le milieu des années 70, les émeutes de Soweto ayant sans doute joué un rôle important dans la prise de conscience des Français.

Notes
1452.

Le document se présente sous la forme d’une présentation du projet, mentionnant les partenaires et le pays soutenus (ici les Eglises en lutte contre l’apartheid) et le montant de l’aide apporté. Après un descriptif du projet, la dernière page mentionne l’adresse où doivent être envoyés les dons ainsi que les dossiers, films et expositions qui sont disponibles pour permettre une animation sur la question de l’apartheid.