2-8 Dans les années 80, le soutien de la Cimade aux réfugiés namibiens

Dans les années 80, la Cimade soutient plusieurs programmes qui viennent plus particulièrement en aide aux populations d’Afrique du Sud et de Namibie qui fuient la répression et qui se retrouvent en situation de réfugiés dans des camps dans les pays voisins. Un court exposé de l’aide apporté à ces réfugiés est fait dans le numéro de Cimade information de janvier-février 1983. Il s’agit en fait d’un programme commun entre la Cimade et le COE, programme d’aide alimentaire, médical et social proposé à des réfugiés réunis par milliers dans des camps, particulièrement en Angola. La mention du soutien financier de la Cimade à ce programme (pour un montant de 50 000 F pour l’année 1983) donne l’occasion de faire un exposé de la situation en Namibie1457, de l’occupation du pays par l’Afrique du Sud, de la mise en place du système d’apartheid1458, du refus de l’Afrique du Sud de reconnaître la légitimité de la SWAPO et surtout de la création par Pretoria de « plusieurs partis namibiens fantoches 1459 et d’une répression sanglante contre le peuple namibien et les Eglises, en particulier l’Eglise évangélique luthérienne très opposée à la présence sud-africaine et qui participe, à sa façon, à la lutte de tout un peuple pour son indépendance 1460  ».

Le numéro de Cimade information de mai-juin 1985 reproduit l’entretien effectué avec Tuliameni Kalomoh, représentant de la SWAPO en France depuis 3 ans. Parlant des conditions de vie dans les camps de réfugiés (scolarisation impossible par manque de matériel, urgence sanitaire, problème de l’eau…) il révèle ainsi l’urgence de la situation et la légitimité d’une aide venant de l’extérieur.

‘« Il y a 70 000 réfugiés Namibiens en Angola dont plus d’un tiers sont des jeunes en âge scolaire […]. M. Tuliameni Kalomoh a remercié la Cimade pour l’aide apportée aux réfugiés, mais tout n’est pas encore gagné, là-bas comme ailleurs, un peuple se bat pour sa dignité1461 ».’

L’aide apportée aux réfugiés namibiens répond bien, en ce sens, à la ligne de conduite suivie par la Cimade pour toutes ses actions, c’est à dire de venir en aide à des populations en exil, fuyant une situation d’oppression et dont la dignité et les libertés fondamentales sont bafouées.

En quoi consiste l’aide aux réfugiés des camps situés en Namibie ?

J’ai pu retrouver dans les archives de la Cimade un document daté de 1985 détaillant l’action de l’organisme menée auprès des réfugiés dans le camp de Kwanza-Sul en Angola. Cette action porte plus particulièrement sur la protection des enfants namibiens réfugiés. Après avoir fait un historique de l’occupation par l’Afrique du Sud du Sud-Ouest africain, le rédacteur présente les conséquences de l’apartheid, de la répression et de la guerre sur les populations, réunis notamment dans le camp de Kwanza-Sul :

‘« Le plus important de ces camps est celui de Kwanza-Sul en Angola, situé à 800 km au nord de la frontière namibienne. Le nombre de réfugiés dans ce camp est de 70 000. La SWAPO a dû étendre et compléter ses structures d’accueil en créant de nouveaux centres médicaux et scolaires aux environs du camp de Kwanza-Sul. Une attention particulière est donnée aux enfants qui sont, comme toujours en pareil cas, les principales victimes ».’

La Cimade (tout comme le CCFD) soutient ainsi trois programmes menés par le Centre Education et Santé de Kwanza-Sul, émanation de la SWAPO : la création d’un atelier de fabrication et de réparation de chaussures, la construction d’un dispensaire et d’une clinique (la région étant touchée par le paludisme) et la mise en place d’une campagne d’alphabétisation alors que la politique sud-africaine vise à maintenir la population noire dans l’ignorance. Les Trois programmes soutenus doivent entraîner une amélioration profonde des conditions de vie des réfugiés et les aider à s’affranchir de la dépendance de la Namibie vis-à-vis de l’Afrique du Sud. Le document mentionne également l’installation par la SWAPO d’un centre de production agricole sur huit hectares prêté par l’Angola dont l’objectif est de fournir l’alimentation aux réfugiés. La Swapo semble donc considérer que la présence des réfugiés dans le camp risque de durer…

En conclusion, il est indiqué que la Cimade et le CCFD soutiennent les programmes de la SWAPO (leur apport financier pour l’année 1985 est de 150 000 F) destinés aux enfants namibiens réfugiés. Cette dernière mention vise sans doute bien à préciser que les deux organismes soutiennent les actions de la SWAPO en matière sociale et humanitaire et non son activité armée… Sans doute une façon de prévenir toutes critiques alors qu’en ce milieu des années 80, commence la campagne de diffamation menée contre le CCFD et contre ses actions trop « politisées »…

En 1987, le soutien aux réfugiés namibiens est encore d’actualité puisqu’il fait de nouveau l’objet d’un article d’une page dans Cimade information 1462 . Le soutien financier apporté par la Cimade et le CCFD a même augmenté puisque de 150 000 F en 1985, il passe à 170 000 F en 1987. Si l’article revient sur la situation dans le camp de Kwanza-Sul, une longue partie est consacrée aux derniers événements et notamment aux maintien des mesures d’apartheid, même si en juin 1985, le gouvernement sud-africain a installé un gouvernement intérimaire dit « multipartite » composé de représentants blancs et noirs. L’article reprend ensuite dans ses grandes lignes les données du document précédemment cité (concernant les trois programmes entrepris au sein du camp), précisant bien ici les familles namibiennes qui ont afflué dans le camp à la suite de l’occupation de la région de l’Ovamboland, flux grossi également par des milliers de jeunes préférant l’exil à l’enrôlement forcé dans les forces d’occupation.

Autrement dit, les programmes d’actions de la Swapo en matière sociale et humanitaire font l’objet d’un soutien important de la part de la Cimade et du CCFD au milieu des années 80. L’occupation de la Namibie par la puissance sud-africaine et ses conséquences (mis en place du système d’apartheid, répression…) sont ainsi considérées comme tout aussi condamnables que le système d’apartheid mis en place à l’intérieur des frontières de l’Afrique du Sud. D’autre part, il n’est pas étonnant de voir la Cimade s’impliquer auprès des réfugiés namibiens en Angola puisque cette mobilisation est historiquement sa raison d’être.

Aux côtés de la CSEI et du DEFAP, la Cimade est l’une des trois structures essentielles au sein de laquelle s’incarne une mobilisation vis-à-vis de l’Afrique du Sud. Au sein d’une confession minoritaire en France et comme ce fut le cas pour les actions menées au sein de la CSEI et du DEFAP, il est évident que tous les organismes mobilisés travaillèrent de manière collective et à l’unisson autour de thèmes et d’événements qui réclamèrent, d’un commun accord, une mobilisation et une action efficaces. La Cimade, en dehors des actions menées au sein du groupe œcuménique, privilégia cependant certaines actions se rapportant particulièrement au sort vécu par les populations, sud-africaines mais surtout namibiennes. En effet, rappelant les circonstances historiques de la guerre qui ont entraîné la création de l’organisme œcuménique, la Cimade se soucie, particulièrement dans les années 80, du sort des réfugiés namibiens qui tentent de fuir les effets d’une occupation sud-africaine et se réfugient particulièrement en Angola. Ainsi, le soutien au milieu des années 80 au programme de la SWAPO venant en aide aux réfugiés du camps de Kwanza-Sul témoigne bien de cette orientation.

Concernant la Namibie, il n’est pas exagéré de dire que la situation dans ce pays occupé par l’Afrique du Sud mobilisa la Cimade davantage que la situation interne à l’Afrique du Sud. L’hégémonie sud-africaine en Namibie, la formation de bantoustans sur le même principe que ceux existants en Afrique du Sud, le déploiement militaire des forces sud-africaine dans le pays, les effets sur les populations, ont ainsi fait l’objet de plusieurs articles au sein de l’organe de presse Cimade information. La SWAPO, et particulièrement son représentant parisien, apparaît ainsi être l’interlocuteur privilégié pour la Cimade qui désire informer les Français de la situation. Il apparaît clair que la SWAPO est considérée comme le seul représentant légitime du peuple namibien et la Cimade s’inscrit sans demi-mesure dans un soutien aux actions d’aide menées par la SWAPO. Si sa tâche est l’entraide, cette option traduit bien une prise de position, considérée comme légitime puisque comme le disait son secrétaire général Roby Bois en 1977, « la Cimade ne se doit de prendre position que là où elle mène une action concrète » et devenue groupe de pression, elle est « un organisme qui rend service en entrant dans le combat, et une force unitaire de catalyse et de synthèse1463 ».

A aucun moment la SWAPO n’est présentée comme étant un mouvement de libération ayant adopté les principes d’une lutte armée, peut-être pour éviter toutes polémiques qui agitent déjà depuis de nombreuses années les actions du COE ou les prises de positions de certains réformés français… Concernant ce type de positionnement sujet à critiques, la Cimade est le groupe, au sein du protestantisme, qui a soutenu sans doute le plus nettement les actions militantes du COE et particulièrement son Programme de Lutte contre le Racisme et impliquant un appui aux mouvements de libérations, qu’ils soient namibiens ou sud-africains.

La question sud-africaine n’est cependant pas absente des préoccupations de la Cimade. Faute d’archives accessibles, il n’a pas été possible de faire un exposé exhaustif de la mobilisation de l’organisme autour de l’Afrique du Sud. Cependant, diverses sources, décrites dans cette partie, témoignent bien d’un intérêt pour les effets de l’apartheid sur les populations noires. La Cimade manifeste alors son soutien à des programmes émanant d’organismes d’Eglises comme le SACC par exemple. Dans un esprit œcuménique et dès le milieu des années 70, la Cimade s’associe également au CCFD pour soutenir des programmes destinés à venir en aide aux populations opprimées et dans le but très évident de donner les moyens intellectuels et financiers nécessaires pour parvenir à leur libération.

Il n’est pas étonnant que la Cimade se retrouve aux côtés de son « équivalent » catholique dans le cadre de plusieurs actions. En effet, les deux organismes se retrouvent autour de la même ligne de conduite précitée. Le soutien de la Cimade au programme mené par la Swapo dans le camp angolais de Kwanza-Sul en est l’illustration parfaite puisque le but d’un tel soutien vise notamment à alphabétiser les réfugiés et à faciliter leur subsistance économique et commerciale en les aidant à produire eux-mêmes leurs moyens de subsistance. En cela, la Cimade représente bien le parfait équivalent du CCFD et les fondements communs des actions menées témoignèrent bien d’un « front commun » concernant la question sud-africaine.

Notes
1457.

La Cimade répercute dans sa revue l’existence d’un numéro spécial de Apartheid Non, publication du mouvement anti-apartheid, consacré à la situation en Namibie, paru en janvier 1982.

1458.

En effet, dès la fin des années 50, le régime de Pretoria implantait dans le Sud-Ouest africain l’apartheid urbain (en créant notamment le township de Katutura près de Windhoek en 1959) puis commençait à y appliquer, dans les années 60, le programme de « grand apartheid » qui devait déboucher, comme en Afrique du Sud, sur la mise en place de bantoustans ou homelands autonomes.

1459.

Au milieu des années 70, le gouvernement de Pretoria, après des rébellions nationalistes, avait armé et soutenu des mouvements de guérilla comme l’UNITA de Jonas Savimbi et la RENAMO d’Afonso Dhakama. Ce soutien « permit » l’installation d’une véritable guerre civile.

1460.

« Soutien alimentaire et médical aux réfugiés », Cimade information, n°1-2, janvier-février 1983, p. 36.

1461.

« Réfugiés namibiens en Angola : vivre malgré tout ! », Cimade information, mai-juin 1985, p. 22.

1462.

« Protection des enfants réfugiés dans e camp de Kwanza-Sul », Cimade information, n°12, p. 27.

1463.

Cité « A gauche ces chrétiens », Autrement, 8, février 1977, p. 211.