Parler de l’apartheid avec ceux qui défendent le système, le « peuple élu » d’Afrique du Sud

Désireux d’avoir une vision complète du système, Joseph Limagne s’attache à rencontrer des personnalités afrikaners représentatives de la mentalité dans laquelle s’est élaboré le système et de l’importance de ses fondements religieux.

‘« J’ai senti combien le mépris du Noir s’ancre profondément dans la mentalité d’un Blanc. J’ai constaté que ce mépris se fonde surtout sur la peur et l’ignorance. J’ai aussi compris que rien, dans ce pays, ne s’explique sans référence au passé historique et religieux1467 ».’

En effet, précisant bien que les premières lois de l’apartheid sont relativement récentes (1948), Joseph Limagne explique que pour comprendre ce qu’est ce système, il est nécessaire de se plonger dans la mentalité de tout un peuple, le peuple afrikaner. Il dresse ainsi une « chronologie » de la présence hollandaise : la création de la colonie du Cap par la Compagnie hollandaise des Indes orientales, la formation d’un « peuple nouveau, qui ne se réclame plus d’aucune mère-patrie » avec sa langue, et se composant « de pionniers individualistes, indisciplinés et obstinés qu’on appelle les Boers (fermiers) 1468 ». D’autres épisodes, qui ont aussi servi à l’édification de l’« historiographie » afrikaner sont également rappelés : le grand Trek, la formation des républiques boers, la guerre anglo-boer…Joseph Limagne rappelle, bien évidemment, le creuset religieux dans lequel se sont forgés les principes discriminatoires qui vont donner naissance au système d’apartheid : un calvinisme austère, les Eglises hollandaises comme cadres ecclésiaux du système.

Désirant donner la parole à ceux qui défendent le régime, le journaliste a notamment rencontré le Dr Koort Vorster, leader de la principale Eglise hollandaise (NGK) et frère de Johannes Vorster, alors premier ministre du pays. « La Bible a portée de la main 1469  », le pasteur soutient que « les mariages inter-raciaux sont une atteinte au plan de Dieu qui a voulu que chaque race préserve son identité 1470  ». Cet entretien permet ainsi à Joseph Limagne de mettre l’accent sur le calvinisme austère prêché par la plupart des Afrikaners et qui imprègne la vie sud-africaine dans sa totalité. Il insiste sur la liaison étroite entre chefs politiques et religieux au sein de la nation boer :

‘« Grâce à elle, l’un des plus monstrueux systèmes de gouvernement, l’apartheid, peut aujourd’hui se prévaloir de la caution du christianisme1471 ».’

Joseph Limagne prend ainsi le temps de décrire les fondements religieux de l’apartheid et la mentalité afrikaner, dans laquelle ont germé les principes de ségrégation, qui aboutiront à la mise en place institutionnelle du système. Il m’a déclaré qu’il lui semblait nécessaire de faire cette présentation afin que le lecteur français, d’une part connaisse avec précision les lois de l’apartheid telles qu’elles existent au XXème siècle, et d’autre part pour qu’il sache que ces principes sont les fruits d’une mentalité aux formes particulières, née dans un contexte fort précis. Il a eu également comme volonté de montrer aux chrétiens français que des textes bibliques étaient utilisés pour justifier un système raciste, élément du système peu connu des Français à cette époque.

Si l’aspect religieux de la ségrégation raciale est ainsi évoqué avec précision, l’apartheid en tant que système politique est également décrit longuement. La rencontre avec M. Lloyd, député du Parti national à Pretoria, permet à Joseph Limagne de rendre compte de la nature du système. L’apartheid, selon le parlementaire afrikaner, permet ainsi une « évolution harmonieuse » de chaque groupe sur un principe « d’autodétermination ». « Quoi de choquant là dedans ? 1472  », ironise Joseph Limagne. Le journaliste, après avoir reproduit ces propos, présente les véritables composantes du système : les bantoustans, véritables réservoirs de main d’œuvre et concrétisation du projet de formation d’une Afrique du Sud exclusivement blanche. Il décrit également les conditions de vie désastreuses des Noirs, dans les zones rurales comme dans les townships des zones urbaines.

Notes
1467.

Ibid., p. 30.

1468.

Ibid.

1469.

Joseph Limagne, « Afrique du Sud : le racisme aux abois », ICI, 15 avril 1977, n°513, p. 32.

1470.

Ibid.

1471.

Ibid.

1472.

Ibid.