L’implication des chrétiens en Afrique du Sud

Dans une longue partie portant le titre de « le christianisme, espoir ou cause perdue ? » Joseph Limagne dresse un tableau de la chrétienté dans la société d’apartheid. Face à l’impatience des Noirs pendant et après les émeutes de Soweto, c’est un sentiment d’urgence qui est mis en évidence, urgence exprimée par un étudiant anglican interrogé par le journaliste :

‘« l’Eglise doit se mettre physiquement du côté des opprimés, m’a affirmé un étudiant anglican. Quand des jeunes manifestent pour la justice, elle devrait se trouver parmi eux, au premier rang, archevêque en tête, fût-ce au risque d’aller en prison 1484  ».’

Certaines dominicaines du couvent du Saint-Rosaire, près de Port-Elizabeth, témoignent pourtant d’une évolution au sein des Eglises, notamment en matière d’éducation puisque pour la première fois, une trentaine de jeunes filles noires, métisses, chinoises ont été admises au sein de leur établissement. John Murphy, évêque de Port-Elisabeth souligne cependant les limites d’une telle évolution :

‘« L’Eglise avait si souvent, dans le passé, dénoncé l’apartheid sans que ses propos soient suivis d’actes concrets, qu’elle avait fini par se discréditer, surtout aux yeux des Noirs. Avec l’intégration scolaire, limitée certes (à cause du coût élevé des scolarités) mais réelle, les choses commencent à changer1485 ».’

Joseph Limagne rappelle ensuite la répression dont sont victimes des prêtres catholiques (comme le Père Smangaliso Mkhatshwa) et présente la physionomie de l’Eglise catholique sud-africaine :

‘« Dans l’ensemble, le clergé et les fidèles noirs se montrent agressifs à l’égard de la hierarchie (à 80% blanche dans l’Eglise catholique). Ils lui reprochent de ne pas s’être souciée de la formation des prêtres noirs1486 ».’

Si Joseph Limagne met l’accent sur une certaine ségrégation existant au sein des séminaires, il précise aussi que cet état de fait n’est que passager et qu’après avoir tranversé une crise, l’épiscopat a accepté de confier le séminaire Saint-Pierre d’Hammanskraal (Nord de Pretoria) à un corps enseignant totalement noir. Le constat concernant l’action de l’Eglise dans la lutte anti-apartheid reste cependant mitigé. Ce constat est dressé par certains catholiques sud-africains eux-mêmes. Joseph Limagne rencontre lors de son voyage plusieurs acteurs chrétiens de la lutte anti-apartheid, occasion pour lui de témoigner de l’action (ou de la non-action) des Eglises chrétiennes dans le champ social et politique. Mgr Hurley livre donc son témoignage et laisse apparaître un certain pessimisme :

‘« Nous affrontons un problème pour lequel nous ne sommes pas préparés. Je crains que l’Eglise ne joue pas un très grand rôle dans les bouleversements qui vont avoir lieu1487 ».’

Une grande partie du dossier est aussi consacrée à l’action de Beyers Naudé1488 et à celle de l’Institut chrétien. Selon ses souvenirs, Joseph Limagne est entré en contact avec lui par l’intermédiaire de la Fédération protestante de France. En donnant la parole à Beyers Naudé, Joseph Limagne informe les Français du rôle des Eglises sud-africaines et du devoir des chrétiens « de s’identifier avec tous les opprimés, les victimes de l’injustice, de la discrimination, ceux à qui on refuse toute dignité humaine 1489  ». L’entretien révèle les prises de position nettes de l’Institut chrétien, de son soutien à des mouvements politiques qui oeuvrent pour une libération du peuple noir, même à ceux ayant opté pour la lutte armée. Joseph Limagne rapporte les propos de Beyers Naudé, selon lesquels si la violence doit être condamnée moralement, la violence institutionnelle du système d’apartheid doit l’être tout autant. Reste au chrétien, dans son individualité, à prendre position en faveur de la violence « s’il croit qu’il n’y a pas d’autre possibilité 1490  ».

Joseph Limagne a tout de suite détecté l’indéniable force libératrice incarnée par certaines Eglises chrétiennes en Afrique du Sud dans les années 70. Ce dossier donna l’occasion au journaliste de présenter aux chrétiens français des Eglises qui, dans des situations de crise, savent prendre position du côté des opprimés et proposer des messages contestataires et libérateurs face à un régime raciste. Une façon peut-être de proposer le modèle de structures ecclésiales autres que celles, plus passives et frileuses, qui existent alors en Europe.

Le dossier se clôt sur un appel à la solidarité des chrétiens de France qui peuvent s’adresser par exemple au CCFD pour témoigner de leur soutien à l’action des chrétiens sud-africains.

Comme j’ai pu le faire apparaître dans ce récit de voyage et comme me l’a précisé Joseph Limagne, il fut relativement difficile pour lui d’effectuer son travail de journaliste en toute indépendance. En effet, il fut à plusieurs fois surveillé et suivi lors de son voyage ou encadré (notamment lors de sa visite à Soweto). Dans un tel contexte, Joseph Limagne comprit qu’il risquait d’être contrôlé à sa sortie du territoire sud-africain. Bien qu’ayant choisi de rentrer quelques jours plus tôt, il dut subir à l’aéroport un interrogatoire de 4 heures, durant lequel ses notes furent consultées et photographiées. Par précaution, Joseph Limagne avait pris le soin d’envoyer en France, par une voie sûre, certains de ses documents. Le journaliste se souvient encore aujourd’hui de cet « interrogatoire », des mesures d’intimidation, de la surveillance de la police, témoignages d’une époque durant laquelle il était particulièrement difficile, pour les observateurs étrangers, d’enquêter en Afrique du Sud.

Notes
1484.

Ibid., p. 46.

1485.

Ibid., p. 41.

1486.

Ibid., p. 44.

1487.

Ibid., p. 45.

1488.

Ancien pasteur de la NGK, Beyers Naudé est alors président de l’Institut chrétien.

1489.

Ibid.

1490.

Ibid.