2-5 Les réunions de la JOC à Oukasie

Les réunions

La première réunion animée par Jean-Marie Dumortier en tant que prêtre et jociste a lieu dans la petite salle adossée au presbytère de la paroisse de Oukasie :

‘« Fidèle à la tradition jociste, le petit fascicule que nous avions décidé d’utiliser pour notre première rencontre appelait les participants à partager leurs expériences : cette fois-ci, il s’agissait précisément des accidents de travail dont ils avaient été personnellement témoins ou victimes […]. J’ai le souvenir d’une vague prête à m’engloutir. Les faits succédaient aux faits. A chaque fois, les gens se tournaient vers moi : « et maintenant, qu’est ce que vous allez faire ? » ». Et à chaque fois, je reprenais : « Mais non, c’est vous qui allez faire quelque chose. Nous allons trouver ensemble, nous allons chercher, la JOC c’est vous…1511 ».’

Cette évocation témoigne bien de la volonté du prêtre français de se présenter devant les participants comme un simple « intermédiaire » qui désire aider à une prise de conscience chez les Sud-Africains, prise de conscience qu’ils peuvent agir eux-mêmes pour le changement de leurs conditions de vie.

Les participants ne furent pas nombreux au début… deux ou trois, comme le précise Jean-Marie Dumortier. De plus, ils étaient rarement les mêmes et à chaque rencontre, il fallait repartir de zéro : informer de nouveau, mobiliser…

Malgré ces difficultés, un noyau se constitua petit à petit. Les méthodes réalistes et souples de la JOC séduisirent des jeunes travailleurs qui progressivement, exprimèrent leurs revendications : emplois non déclarés, heures supplémentaires non payées, toilettes et cantines insalubres…

Jean-Marie Dumortier ne s’étonne pas de retrouver les même revendications que celles qui étaient exprimées par les jeunes travailleurs français :

‘« C’était la même société et la même humanité. J’en reconnaissais les traits, forcés certes mais si ressemblants, même au niveau du racisme : une caricature du monde où j’avais vécu jusqu’alors1512 ».’

Bien que la JOC soit d’essence religieuse, Jean-Marie Dumortier précise que le « recrutement » des membres ne s’est jamais fait sur des « critères » confessionnels :

‘« La JOC en Afrique du Sud, du fait de la mosaique de confessions qui composent le pays, a toujours été très œcuménique au niveau de son recrutement. Ce qui détermine l’appartenance au mouvement, ce n’est pas l’adhésion à telle ou telle Eglise, mais c’est l’engagement auprès des camarades de travail pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Bien sûr, le mouvement véhicule, sans insistance particulière, d’une manière presque naturelle dans l’ambiance globalement religieuse où nous nous mouvons, le témoignage de son identité chrétienne. Il n’y a pas de synthèse préalable, de corps de doctrine, plutôt une tradition dans laquelle on entre et que les jeunes travailleurs eux-mêmes, dans l’enthousiasme de l’action ou l’épreuve de la répression, enrichissent de leurs propres expressions de foi 1513».’

Si cette position est celle de la JOC sud-africaine dans sa globalité, Jean-Marie précise qu’il a eu à cœur de présenter aux membres les grands textes fondateurs du christianisme : Moïse et la libération de l’esclavage en terre d’Egypte ; la lutte des prophètes contre l’injustice et la corruption, l’annonce d’un Royaume pour les pauvres, les opprimés, les persécutés en raison de leur lutte pour la justice et pour la paix… Des messages qui avaient forcément une forte résonance dans la contexte sud-africain.

Il ne s’agissait donc pas de mettre en place un prosélytisme « forcené » et le prêtre précise qu’il a toujours préféré « laisser cette rencontre de foi se faire au sein de l’expérience globale du mouvement 1514» et qu’il ne s’est jamais senti le droit ni le devoir de hâter cette rencontre.

La JOC propose ainsi un double message aux habitants d’Oukasie : un mouvement prêchant un courant de libération et de fraternité mais aussi pouvant proposer une aide aux travailleurs noirs. Le témoignage d’un permanent de la JOC rapporté par Jean-Marie Dumortier témoigne bien cette double orientation :

‘« Au boulot, j’ai vu les conditions de travail qui écrasaient mes camarades. Avec la JOC, j’ai commencé à les conscientiser, à les organiser, à bâtir le syndicat. Comme Jésus j’ai pris ma croix sur mes épaules. C’est lourd, c’est dangereux. Je marche à sa suite. C’est ça la foi de la JOC1515 ».’

Ce témoignage rend bien compte du message pratique et concret de la JOC, de la conception d’une foi au service de la justice. Le message du « Voir, juger, agir » doit s’appliquer à des situations concrètes et permettre une vraie prise de conscience chez les travailleurs qui oeuvrent eux-mêmes pour l’amélioration de leur condition, mais il reste un message qui trouve ses racines dans les textes bibliques fondateurs et qui offre une base à l’implication de l’Eglise dans les domaines sociaux et politiques.

Les membres trouvent donc dans la JOC un message concret, en tous cas plus perceptible et plus impliqué que celui plus moralisateur et abstrait diffusé par l’Eglise catholique.

Notes
1511.

Ibid., p. 18.

1512.

Ibid., p. 20.

1513.

Ibid., p. 29.

1514.

Ibid.

1515.

Ibid., p. 30.