Un difficile passage à l’action, mais des initiatives concrètes et efficaces

Si les réunions et les échanges d’idées s’intensifient, c’est le passage à l’action (surtout au sein des entreprises) qui est le plus souvent difficile à obtenir, et ceci en raison du contexte propre à l’Afrique du Sud :

‘« Il n’y avait aucune structure sur laquelle s’appuyer. La plupart des ouvriers venaient des zones rurales environnantes et n’avaient aucune expérience de l’action collective. L’affrontement direct avec la maîtrise ou la direction paraissait être une perspective totalement hors d’atteinte. Ils ont donc choisi des terrains d’action qui leur paraissaient plus praticables 1516».’

Concrètement, le petit groupe jociste d’Oukasie mène des actions destinées à mettre fin aux abus des employeurs, aux taxes indûment collectées auprès des résidents, à la disparition des fonds collectés parmi les parents d’élèves…

La JOC travaille en relation avec d’autres organismes de défense des droits de l’homme comme le « Black Sash » de Pretoria qui fournit à l’organisation un avocat. Celui-ci prit alors la défense des résidents et obtint le remboursement des taxes payées pour cent cinquante résidents.

D’autres revendications concrètes occupent également le petit groupe de la JOC . Dans la première moitié des années 80, le groupe désormais plus structuré se « lance » au niveau des usines :

‘« Ils sont allés distribuer un tract aux travailleurs d’une usine où la JOC avait des militants. Sur un ton humoristique, ils y dénonçaient l’aspect pitoyable des toilettes pour les travailleurs. Ils appelaient les ouvriers à s’unir et ils lançaient l’idée de se regrouper en syndicat1517 ».’

Le même petit groupe organise pour le 1er mai 1981 une messe de Saint Joseph Ouvrier où se pressent les travailleurs des entreprises locales.

C’est ce petit groupe, dont Jean-Marie Dumortier fut « l’animateur » et le coordinateur, qui servit de base à un mouvement syndical beaucoup plus vaste qui va animer la zone industrielle de Brits. C’est de cette expérience syndicale que Jean-Marie se déclare être le plus fier et le plus reconnaissant…

Comment se réunir, mener une action efficace lorsque la répression s’abat sur tous les mouvements qui oeuvrent, plus ou moins nettement, pour le respect des droits pour tous ? Par rapport à cette question et bien qu’étant un mouvement lié à l’Eglise, la JOC subit, comme nous avons déjà pu le voir en évoquant la campagne de répression dont elle fut victime en 1978, les effets d’une surveillance omniprésente, de contrôles incessants. Jean-Marie Dumortier parle de ce climat dès le début de son ouvrage en rapportant un épisode particulier, la visite et le contrôle de deux membres de la « SB », la Special Branch (renseignements généraux) :

‘« Il n’a pas fallu longtemps pour que « ils » se manifestent, trois mois peut-être après mon arrivée en Afrique du Sud, guère plus. […] J’avais dans mon sac toute la paperasserie de la JOC : un fascicule de schémas de réunions sur les problèmes d’hygiène et de sécurité, quelques documents explicatifs sur le rôle du mouvement. J’avais gardé par malchance quelques tracs que quelqu’un m’avait passé à Johannesbourg et qui appelaient à un boycott de soutien en faveur des grévistes des abattoirs de la région du Cap. C’était plus qu’il n’en fallait pour être repéré comme un dangereux agitateur1518 ».’

Cet épisode qui se termine dans les locaux de la police pour un long interrogatoire a fait sentir à Jean-Marie Dumortier qu’un jociste sud-africain est confronté à des problèmes propres à un contexte particulier, bien éloigné de celui qu’il a pu connaître dans le Nord de la France… Jean-Marie Dumortier m’a témoigné du fait que durant l’état d’urgence, les réunions, toujours tenues dans la salle adossée à l’église de la paroisse, s’organisèrent et se déroulèrent dans une semi-clandestinité, les activités de la JOC se réduisant aux rencontres hebdomadaires des petits groupes de base.

Jean-Marie Dumortier passe également de nombreuses journées au tribunal de Brits, afin d’accompagner et de tenter de faire libérer des membres du mouvement punis à cause de leurs engagements :

‘« On s’en est payé des audiences et des procès dans ce tribunal de Brits durant les années 1983-1984 : un véritable harcèlement, continu, systématique, épuisant. A chaque fois le même scénario : une interpellation sommaire suivie d’une détention plus ou moins longue et puis la mise en route de la procédure judiciaire […]. Nous avons toujours réussi à protéger nos militants et le soutien des organisations des droits de l’homme ou de l’Eglise ne nous a jamais manqué. Aucun d’entre eux n’a jamais été condamné. Mais ils ont mangé de la vache enragée ceux de la première génération jociste de Oukasie1519 ».’

La répression s’abat à de multiples reprises sur les militants jocistes, notamment lors de la réunion du 1er mai précédemment évoquée1520. A cette période, nombreux sont les jocistes à être fouillés, interrogés, arrêtés, passés à tabac.

Face à de telles intimidations, Jean-Marie Dumortier estime que ces jocistes surent manœuvrer, utiliser les bouts de lois qui les protégeaient, s’entourer d’hommes de loi ou d’hommes d’Eglise, alerter les organismes internationaux (notamment la JOC internationale) et les organisations internationales. Bien encadrés, informés de leurs droits, ils surent donc mener des actions efficaces donc la plus importante sera celle de la mobilisation des travailleurs de l’usine B&S, une entreprise de meubles métalliques.

Notes
1516.

Ibid., p. 20.

1517.

Ibid., p. 22.

1518.

Ibid., p. 16.

1519.

Ibid., p. 69-70.

1520.

En effet, la fête du travail n’est pas reconnue par le pouvoir qui la considère comme d’essence communiste.