2-7 Les liens entre la JOC et l’Eglise catholique sud-africaine

‘« Ce que je vois en Afrique du Sud me montre assez que le clergé catholique n’est pas plus que les autres aux avants-postes de la lutte anti-apartheid 1526».’

Cette prise de position exprimée dès la deuxième page de l’ouvrage de Jean-Marie Dumortier ne prête pas à confusion : le jugement du prêtre vis-à-vis de l’engagement de l’Eglise catholique est fort critique. Comme il me l’a souvent dit, le clergé catholique (à majorité blanche) était souvent passif face aux lois de l’apartheid et à leurs effets. Si la JOC parvint à « atteindre » de jeunes Sud-Africains, c’est parce qu’elle proposa un message engagé, abordant les problèmes sociaux et politiques.

Malgré ce jugement, Jean-Marie Dumortier est tout à fait conscient que dans un contexte de répression, les Eglises chrétiennes sud-africaines jouèrent un rôle de témoin auprès de la population opprimée :

‘« Ma seule force, c’est de me porter témoin de ce qui arrivera […]. L’Eglise a toujours joué ce rôle en Afrique du Sud. Partout, jusque dans les circonstances les plus dramatiques, il y a eu des gens d’Eglise, prêtres, pasteurs, responsables de mouvements qui, du fait de leur lien quotidien avec la population, et de leurs convictions, se sont portés témoins des souffrances du peuple et des exactions du pouvoir. La plupart des rapports sur la répression policière en Afrique du Sud ont été recueillis et diffusés à travers le réseau des Eglises, avant que les organisations de défense des droits de l’homme ne prennent le relais. La population de l’Afrique du Sud le sait ; le gouvernement aussi1527 ».’

Autrement dit, si les Eglises ne se placent pas véritablement en position de contestation vis–à-vis des lois de l’apartheid, elles endossent davantage un rôle de veille dans une société où toutes formes de contestations autres que celles qui s’expriment en leur sein sont rendues très difficiles. Jean-Marie Dumortier fait ici la distinction entre un haut clergé éloigné des réalités sociales et politiques du pays, et des dirigeants de mouvements, organisations chrétiennes beaucoup plus impliqués et capables de servir de « relais » pour une contestation :

‘« Leur rôle n’a pas été politique, au sens restreint du terme, elles ont toujours fait place aux organisations civiques et politiques dès que cela a été possible. Leur rôle a été essentiellement de ramener à la surface tous ces complots de l’ombre afin d’aider les gens à les affronter dans la lumière. Leur action a souvent été efficace1528 ».’

Dans ce contexte, la JOC a malgré tout maintenu des relations sereines avec l’Eglise catholique, notamment par l’intermédiaire de la Conférence épiscopale. Jean-Marie Dumortier a souvent servi de relais entre les deux organisations. Il fut à de nombreuses reprises en contact avec le Père S. Mkhatshwa, secrétaire général de la conférence épiscopale à partir de 1981 et qui s’intéressait à la situation à Oukasie. Ce dernier était militant de longue date impliqué dans la lutte contre l’apartheid et s’est sans doute retrouvé dans le message de la JOC. Le mouvement bénéficia également du soutien de la commission épiscopale « Church and Work » créée en 1978 et qui traitait elle aussi des problèmes rencontrés au sein des entreprises et dans le monde du travail1529.

Jean-Marie Dumortier a également entretenu des rapports privilégiés avec le Délégué apostolique (représentant officiel du Vatican pour l’Afrique australe), Mgr Cassidy1530. En 1982, celui-ci répond même à l’invitation du conseil paroissial qui lui demandait de venir présider les cérémonies en l’honneur de Saint Joseph, saint patron de l’église de Brits. Mgr Cassidy a été rapidement sensibilisé au message de la JOC parce qu’ayant lui même exercé une partie de son ministère en Australie auprès des travailleurs et ayant gardé un très grand intérêt pour les affaires sociales et les revendications populaires. Il profita de sa venue à Brits pour y exposer les bases de la doctrine sociale de l’Eglise.

Globalement, Jean-Marie Dumortier, et à travers lui la branche jociste de Brits/Oukasie, eurent des relations sereines avec l’épiscopat et la représentation vaticane en Afrique du Sud. Jean-Marie Dumortier m’a dit qu’aucune des deux structures n’exerçait un contrôle sur les activités de la JOC, et que grâce aux liens « fraternels » tissés entre le prêtre français et d’autres personnalités sensibilisés à la question sociale (dont Mgr Cassidy et le Père Mkhatshwa), le travail et les activités militantes de la JOC furent vues d’un œil favorable.

Notes
1526.

Ibid., p. 10.

1527.

Ibid., p. 46.

1528.

Ibid., p. 138.

1529.

La commission aida également au financement de la mise en place des premiers syndicats et paya une partie des frais d’avocats lors de procès de jeunes travailleurs impliqués dans leur entreprise.

1530.

Edward Idris Cassidy est né à Sydney en 1924. Il est devenu le délégué apostolique d’Afrique du Sud en 1979.