3-2 Les voyages, les premiers contacts avec la JOC, les actions

Après son expérience italienne, Emmanuel Lafont accomplit son service militaire à bord de la Jeanne d’Arc. Il part pour 7 mois et demi pour un tour du monde et fait des escales, accueilli par des prêtres et notamment par ceux partis dans le cadre de « Fidei donum 1539  ». Emmanuel Lafont voit d’un œil favorable cette expérience qui permet à l’Eglise de s’enrichir au contact d’autres expériences apostoliques.

Le voyage lui permet de découvrir Dakar et sa ségrégation raciale entre bidonvilles africains et riche quartier européen, la Guadeloupe où il découvre qu’en France des enfants fouillent dans des poubelles pour manger, Rio et ses favelas…

‘« Ce fut la première fois que je perçus réellement ce qu’étaient l’injustice et l’inégalité. Ni la France, ni Rome ne m’avaient préparé à cela. J’eus une réaction très forte de refus, confortée alors par la lecture sur le bateau d’une encyclique fondamentale sur le  Développement des Peuples1540 qui dénonce les déséquilibres mondiaux et appelle à la transformation des rapports économiques de la planète. J’ai alors mieux compris la position des évêques du tiers monde que j’avais entendus à Rome1541 ».’

C’est à son retour qu’il entre en contact avec la JOC. Sa prise de conscience et son engagement en tant que prêtre vont alors prendre tout leur sens au sein de l’organisation. Tout comme l’a été Jean-Marie Dumortier, Emmanuel Lafont est séduit par la démarche du « Voir, Juger, Agir » et par l’idée de laisser aux travailleurs la possibilité de décider et d’agir par eux-mêmes. Le pasteur devient alors plus qu’un meneur, un écoutant, l’animateur d’un groupe.

Cette rencontre avec la JOC parachève en quelque sorte une expérience qui avait commencé à Rome au moment du Concile et qui s’était poursuivie par la découverte de l’inégalité et de la pauvreté lors de ses escales en Afrique et en Amérique latine. Sa foi peut alors véritablement prendre corps et devenir acte là où les circonstances le demandent :

‘« Cela m’a mis en prise directe avec les gens en difficulté. On part de leur vie et de leurs problèmes pour comprendre l’Evangile, on en fait une lecture plus terre à terre mais du coup, il n’y a plus de fossé entre la vie et la foi. Ma vision des choses a été transformée, ça m’a donné envie de relire la Bible dans cette perspective, en faisant le lien avec les réalités politiques et sociales qui m’entouraient1542 ».’

Sa première expérience de terrain, Emmanuel Lafont la vivra en juin 1968 auprès des ouvriers de Brest. Il y découvre les problèmes concrets des jeunes travailleurs, leur contexte économique et social. Devant ensuite retourner à Rome pour y finir ses études, il choisit de quitter les murs de sa confortable pension pour aménager dans les quartiers populaires de la ville et poursuivre le travail de la JOC. Il reste à Rome le temps d’être ordonné prêtre et de poursuivre ses études bibliques puis part dans le cadre de la JOC en Israël.

Emmanuel Lafont est de retour en France en 1973. Nommé vicaire à Tours, il s’installe dans une paroisse du centre-ville, dans un quartier relativement populaire. Il se présente immédiatement comme un prêtre proche de ses paroissiens. Dès ses premiers prêches, il part des problèmes raciaux en France, se fait le défenseur de la non-violence et pousse les fidèles à se questionner sur leur engagement en tant que chrétiens, mettant en évidence le fait qu’ils ne peuvent pas occulter les réalités du monde. Pour exprimer cette position, il aime utiliser une citation simple et évocatrice : « L’Evangile et le journal sont dans chaque main, mais les deux mains appartiennent à la même personne. Elle ne doit pas l’oublier ».

Malgré ses prêches impliqués et vivants, Emmanuel Lafont ne parvient pas à sortir la plupart de ses paroissiens d’une certaine « indifférence » comme il la caractérise lui-même. Il choisit alors de s’impliquer davantage au sein de la JOC et se manifeste auprès des jeunes travailleurs dans les rues de Tours. Il choisit de quitter son presbytère et emménage dans une maison avec des étudiants, accueillant tous ceux, étudiants, ouvriers ou sans domicile fixe, à venir pour un temps d’écoute et d’entraide.

C’est à cette époque qu’Emmanuel Lafont entre en contact avec les communistes, appréciant, comme le dit Isabelle Marque dans sa biographie, « leur façon concrète d’aborder la réalité, leur souci de coller aux problèmes des gens, de rester toujours très proches d’eux 1543  ». Il s’engage auprès d’eux notamment pour défendre le droit des familles expulsées de leur HLM. D’après Isabelle Marque, les positions d’Emmanuel Lafont vis-à-vis du marxisme étaient les suivantes :

‘« Du marxisme, il retient des clés d’analyse, comme le poids déterminant des facteurs économiques sur la société toute entière et les individus qui la composent. Mais dans le même temps, à la différence des communistes, il revendique pour son engagement en faveur de la justice une dimension spirituelle1544 ».’

Dans cet esprit et sans aucune « frilosité », il renforce ses liens avec les organisations syndicales et les partis de gauche. Avec la JOC, il créé des comités de chômeurs, agit aux côtés des objecteurs de conscience…

Alors qu’il devient aumônier régional, son engagement s’affine et devient plus concret. Mais Emmanuel Lafont n’évacue en aucun cas la dimension spirituelle de cet engagement. Son expérience française, marquée par un profond militantisme et un message spirituel intense, le prépare en quelque sorte à son engagement futur en Afrique du Sud, engagement qui trouva ses sources dans la même volonté de mettre sa foi en relation avec ses actions.

Notes
1539.

« Fidei donum » (don de la foi) est le titre de la lettre que Pie XII a envoyé à tous les évêques du monde le 21 avril 1957. Le pape les invitait à porter le « souci de tous les Eglises » (2 Cor 11,28), non seulement par la prière et l’entraide, mais aussi en mettant des prêtres à la « disposition » des évêques des pays du tiers monde, et ceci pour une durée limitée.

1540.

Il s’agit de l’encyclique Populorum Progressio.

1541.

Isabelle MARQUE, op.cit., p. 22.

1542.

Ibid., p. 26.

1543.

Ibid., p. 31-32.

1544.

Ibid., p. 32.