4-1 Le travail de missionnaire

Né en 1909, Georges Mabille effectue, envoyé par la Société des Missions Evangéliques de Paris, ses premières années de mission au royaume du Lesotho en 19341569. A la fin de l’année 42, la SMEP l’envoie en Afrique Occidentale où il passera 2 années. Il prend ensuite part, comme aumônier, aux opérations qui amenèrent la libération de la France. A la fin de l’année 45, il séjourne en Côte d’Ivoire quand il reçoit une lettre officielle du président de la Conférence Missionnaire au Lesotho :

‘« Il s’agissait d’un appel pressant pour que je revienne en Afrique du Sud pour occuper le poste de missionnaire de Johannesburg au Transvaal. Depuis plusieurs mois une rébellion mettait en danger l’existence même des églises du Rand et toute l’œuvre missionnaire entreprise parmi les Basotho. Le missionnaire en charge du district avait été amené à quitter son poste, sous la pression des événements1570 ».’

Il arrive avec sa famille à Johannesburg à la fin de décembre 1946. Il travaille ainsi dans les quartiers pauvres de la ville et prend en charge notamment la paroisse de Village Main :

‘« Sa communauté se recrute surtout parmi les travailleurs des mines et parmi les domestiques employés par les Blancs. C’est là, dans le temple relativement grand, que je réunis mon premier Consistoire, composé d’évangélistes et d’anciens d’église ou délégués laïques. La lecture des rapports des différentes églises me fait entrer dans la vie et les activités de nos communautés1571 ».’

Son travail de missionnaire, il le fait comme il peut dans le contexte d’apartheid. Sa fonction de missionnaire le pousse à réfléchir au rôle et à la place des Eglises blanches en Afrique du Sud :

‘« Est-il juste que les Blancs dominent jusque dans les églises édifiées parmi les Noirs et pour les Noirs ? Certes ce sont les Blancs qui ont apporté l’Evangile à l’Afrique et qui l’ont fait bénéficier de la civilisation occidentale, mais n’est-ce pas cette civilisation qui a jeté à bas et détruit les fondations de la société indigène ? Les institutions traditionnelles bantoues qui sauvegardaient la dignité et l’ordre au sein des peuples d’Afrique australe se sont maintenant effondrées1572 ».’

Son statut d’homme d’Eglise ne l’empêche pas d’aborder les natures économiques et sociales du système et ses effets sur la population noire :

‘« Ce sont les Blancs qui ont attiré dans ces zones urbaines des millions de Noirs pour leur fournir une main-d’œuvre abondante et bon marché. Très peu d’hommes sont restés dans les réserves indigènes et les femmes, les vieillards et les enfants sont abandonnés à une disette chronique. La vie de famille est disloquée. La situation des femmes est dangereusement compromise […]. Cette société est faite d’insécurité, de frustration et de cruauté, à cause de toutes les lois iniques et injustes imposées par les Blancs à ceux qui n’étaient, après tout, que leurs esclaves1573 ».’

Se référant ensuite à Alan Paton et à la sortie de son livre Pleure, ô mon pays bien aimé, Georges Mabille regrette, comme l’écrivain, que les Blancs et les non-Blancs ne puissent se rencontrer en des endroits où toutes les traces d’apartheid et de discrimination seraient bannies. Ce propos lui donne l’occasion de rappeler la responsabilité des Eglises dans le maintien de la ségrégation jusque dans les lieux de culte :

‘« Les quelques églises blanches qui, avec une certaine condescendance, autorisent les Noirs à s’asseoir sur les derniers bancs du temple, ne sont pas appréciées des autres églises blanches. Les prières dans les églises des Blancs ne sont pas sincères parce qu’il y a un abîme entre la prédication sur la responsabilité qu’en tant qu’enfants de Dieu nous avons les uns pour les autres et le fait qu’en quittant l’église nous acceptons tous les privilèges des Blancs que nous vaut la discrimination et tout le mal fait aux non-Blancs1574 ».’

Son envie de voir les Blancs et les non-Blancs dans des endroits non ségrégés sera concrétisé lorsque Georges Mabille découvrira la ferme de Wilgespruit près de Johannesburg. Mais avant d’évoquer la participation du pasteur français à la mise en place et au fonctionnement du centre multiracial de Wilgespruit, il me semble intéressant d’évoquer son statut d’observateur éclairé de la situation sud-africaine.

Notes
1569.

Georges MABILLE témoigne de ses années de missionnaire au Lesotho et en Afrique du Sud dans un ouvrage : Un noir + un blanc= une équipe, publié par l’auteur, 1976, 133p.

1570.

Georges MABILLE, Un noir + un blanc….., op.cit., p. 69.

1571.

Ibid., p. 74.

1572.

Ibid., p. 97.

1573.

Ibid.

1574.

Ibid., p. 98.