Troisième partie : la question sud-africaine et la cristallisation des questions concernant l’engagement des églises

Chapitre VII : Questions d’ordre temporel et embarras des chrétiens français

La presse chrétienne fait rapidement écho aux questionnements de la communauté internationale concernant les mesures à adopter en matière économique et commerciale vis-à-vis de l’Afrique du Sud. Les différents groupes de chrétiens étudiés (commission « Justice et Paix », groupe « Afrique du Sud » de la CSEI…) ont traité en leurs seins de ces questions et se sont interrogés eux-même sur le rôle qu’ils pouvaient jouer dans la contestation sur le plan économique. Ces prises de position ont été abordées dans le chapitre IV. Je me concentrerai davantage ici sur le traitement, dans les organes de presse étudiés, des décisions prises à l’échelle internationale concernant les sanctions et boycotts décidés contre le régime de Pretoria. Comment les chrétiens observateurs se positionnent-ils ? Comment présentent-ils ces questions d’ordre économique à un lectorat peu habitué à voir des chrétiens se positionner sur de tels sujets d’ordre « temporel » ?

Aborder la question sud-africaine pour des observateurs s’exprimant dans des organes de presse à « large diffusion » amenait à une autre difficulté, celle-ci de nature idéologique : s’engager contre l’apartheid impliquait en effet de devoir se positionner sur la politique d’un pays qui se présentait lui-même, aux yeux du monde occidental, comme un rempart contre le communisme. Se positionner sur la politique d’un pays n’obligeait-il pas le chrétien à se positionner lui-même politiquement ?

Cette démarche a pu se faire à la lumière du document « Eglise, politique et foi » paru en 19721619. Mgr Matagrin, évêque de Grenoble et président de la commission sociale de l’épiscopat en 1969, y élaborait une série de questionnements sur les rapports entre l’Eglise, la politique et la foi. L’objectif prioritaire consistait à la reconnaissance de la légitimité d’un pluralisme de choix politiques chez les catholiques.

Le document naît dans un contexte particulier, alors que la « secousse » de mai 1968 a atteint de plein fouet l’Eglise catholique et ses institutions et que certains commencent à s’inquiéter d’une « subversion communiste » qui tend à occuper une place grandissante dans les sphères intellectuelles françaises.

La partie du document intitulée « Pour une pratique chrétienne de la politique » tentait de « clarifier » les positions des catholiques vis-à-vis de la politique, demandant que les engagements d’une telle nature doivent demeurer exceptionnels et que « l’influence exercée par la communauté ecclésiale ne soit pas une recherche d’intérêt ou de puissance mais un service de l’homme, des personnes et d’abord des pauvres, du Bien Commun national et international, de la liberté, de la justice et de la paix 1620  ».

Pourtant, il est bien mentionné que l’Eglise ne doit pas négliger la politique car elle appartient aux réalités humaines. Les années 70 marquèrent ainsi en quelque sorte un « tournant » dans la considération de la légitimité, pour les chrétiens, à agir politiquement. Le contexte politique de guerre froide compliquera cependant le rapport des Eglises au monde politique.

Concernant l’Afrique du Sud, la question du « péril communiste » a surtout été présente dans la presse catholique qui, dans les années 50. Autrement dit, si le système d’apartheid était critiqué, la crainte de voir des forces marxistes « s’infiltrer » dans les voies de la libération était omniprésente et tendait à l’emporter... Ce traitement par certains organes de presse fut facilité par le message anti-communiste du régime de Pretoria, message quasi-propagandiste qui trouva facilement sa place dans le contexte historique de la guerre froide. Beaucoup de chrétiens français se posèrent ainsi la question de la justesse de l’information, information qui serait délivrée des jeux de tension politique et idéologique.

Notes
1619.

Mgr Gabriel MATAGRIN, Politique, Eglise et foi. Pour une pratique chrétienne de la politique, Lourdes 1972. Rapports et études présentés à l’Assemblée plénière de l’Episcopat français, Paris, Centurion, 1972. Pour une analyse de l’élaboration du document et de sa réception au sein de l’Eglise catholique voir Denis PELLETIER, La crise catholique: religion, société, politique (1965-1978), Paris, Payot, 2002, pp. 125-129.

1620.

« Pour une pratique chrétienne de la politique » (document adopté par l’Assemblée plénière de l’épiscopat français le 28 octobre 1972), La documentation catholique, n°1620, 19 novembre 1972, col 1011.