« L’alignement » des réformés sur la ligne de conduite du COE mais la conscience d’une particularité française

Quelques jours après les émeutes de Soweto, Bertrand de Luze fait part de ses inquiétudes face à l’urgence de la situation et constate l’inutilité des avertissements exprimés par les puissances internationales.

Le 11 septembre 1976, Réforme publie le texte de la résolution adoptée par le Comité central du COE lors de sa session de Genève alors que se posent les questions du commerce des armes et du danger de prolifération du risque nucléaire, deux domaines dans lesquels la France est directement impliquée. Si les chrétiens français s’expriment avec prudence sur la question des désinvestissements, souvent en préférant donner la parole à ceux qui les défendent, le Comité, lui, est clair dans ses prises de position :

‘« Le Comité central du Conseil œcuménique des Eglises […] prie instamment les Eglises membres, dans les pays qui entretiennent des relations militaires et économiques avec l’Afrique du Sud, de faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu’ils mettent un terme à cette collaboration1628 ».’

La mention de cette décision du Comité central du COE dans Réforme témoigne assurément de l’alignement de l’Eglise réformée française sur cette position.

Concernant la question des interventions du COE vis-à-vis de la question des banques, la presse réformée rapporte soigneusement les prises de position successives du Comité, et ceci à partir des années 801629. Ainsi, Le christianisme au XXème siècle, dans son numéro du 5 octobre 1981, propose aux lecteurs un historique de la question du COE et des banques1630. Quelques jours plus tard, Réforme fait de même et reproduit les propos d’André Bieler (docteur en sciences économiques) qui estime que les Eglises doivent proposer aux banques deux options évangéliques : la pauvreté et la gestion responsable d’autre part, « une gestion dominée par l’éthique chrétienne originale et nécessairement critique à l’égard des pratiques courantes… 1631  ». Daisy de Luze profite de cette occasion pour réaffirmer que « les chrétiens sont confrontés là avec un signe contraignant, obligeant une fois de plus à réfléchir à ce que signifie, en quoi consiste, notre engagement 1632  ». Par cette phrase, Daisy de Luze justifie et défend les prises de position du COE sur la question des banques. Quelques semaines auparavant, un BIP rapportait également la décision du COE de mettre fin à ses relations avec trois banques en rapport avec l’Afrique du Sud1633. A cette occasion, sont rappelés les cinq critères qui doivent être étudiés auprès des banques qui sont en relation avec le COE1634. Un tel BIP témoigne bien de la volonté de la FPF d’informer ses Eglises membres de la mobilisation du COE en matière économique et sur la question plus particulière des banques. Quelques jours plus tard, un BIP/SNOP reproduit les réflexions théologiques des commissions tiers-monde des Eglises catholique et nationale protestante suisses à propos de la décision du COE prise en février 1981.Cette réflexion met en évidence l’obligation des chrétiens de prendre en compte des critères d’ordre éthique et politique, tout en reconnaissant bien que cette prise de position peut être « risquée et discutable » mais surtout que lorsque l’on prétend ériger « en absolu un régime social reposant sur une disqualification raciale et où l’on pense, de plus en plus, le légitimer par des argumentations religieuses, la protestation des chrétiens n’est plus une question d’options politiques mais elle découle directement de la confession de foi au Dieu libérateur 1635  ». En choisissant de rapporter la mobilisation du COE autour de la question des banques, il est permis de penser que l’Eglise réformée se reconnaît dans cette action et soutient une telle décision. Elle souscrit ainsi à la conclusion des Eglises suisses, non sans précautions :

‘« C’est pourquoi la décision du COE n’a pas à être lue comme un mot d’ordre mais comme la volonté de rendre compte publiquement d’un choix, avec toutes les ambiguïtés et les risques que cela peut comporter. Elle ne devrait pas non plus être lue comme un jugement sur quiconque, mais comme la résistance à un ordre avec lequel le COE a cru ne pas pouvoir transiger 1636». ’

Notes
1628.

« Pour le COE, l’Afrique australe, objectif prioritaire », Réforme, n°1642, 11 septembre 1976, p. 4.

1629.

Dès 1972, la session d’Utrecht demande au Comité financier et au directeur financier du COE de vendre toutes les part présentes et de ne plus entreprendre d’investissements dans les entreprises qui entretiennent des investissements ou des rapports commerciaux avec certains pays, dont l’Afrique du Sud. En même temps, il est demandé aux Eglises membres, aux organisations chrétiennes et aux chrétiens en dehors de l’Afrique du Sud d’entreprendre tout ce qui est en leur pouvoir pour pousser les entreprises à retirer leurs investissements de ces pays et à cesser tout commerce avec eux.

En 1975, la Vème assemblée du COE, réunie à Nairobi, prie les Eglises membres d’œuvrer notamment en faveur du retrait des investissements et de l’arrêt des prêts bancaires. En février 1981, le Comité exécutif du COE adopte cinq critères pris en compte afin de décider de l’avenir des relations bancaires du COE (si la banque a un établissement en Afrique du Sud ; si elle intervient comme gestionnaire de prêts et/ou d’émissions d’obligations à l’égard de l’Afrique du Sud ; si elle a continué d’accorder des prêts après les émeutes de Soweto ; si elle accorde des prêts servant directement ou indirectement à des fins militaires ; si elle accorde des prêts qui profitent à l’industrie nucléaire).

1630.

« Le COE et les banques : historique de la question », Le christianisme au XXème siècle, 5 octobre 1981, p3.

1631.

« Le COE, les Eglises, l’apartheid, l’argent et les banques », Réforme, 24 octobre 1981, p. 10.

1632.

Ibid.

1633.

« le COE met fin à ses relations avec trois banques en rapport avec l’Afrique du Sud, BIP/SNOP, 16 septembre 1981.

1634.

Les cinq critères sont énumérés dans la note 9.

1635.

« Réflexion théologique au sujet de la décision du COE de retirer des fonds de deux banques suisses qui entretiennent des relations avec l’Afrique su Sud », BIP/SNOP, 23 septembre 1981.

1636.

Ibid.