La réunion de Massy (1978) comme catalyseur

Le 18 novembre 1978, le même journal consacre un long article au récent congrès organisé par le mouvement anti-apartheid à Massy autour de la question du boycott des oranges Outspan1637. Comme Laurent Roumegoux le mentionne dans l’introduction de son article, le 3ème congrès du mouvement, quatre ans après sa création, s’est surtout intéressé à la collaboration économique et financière qui se développe alors entre la France et l’Afrique du Sud.

« Votre argent est utilisé pour la défense de l’apartheid  1638 » : le titre de l’article est choc et vise clairement à susciter une réaction chez les lecteurs et à les conduire à se poser des questions sur la responsabilité de chacun concernant le soutien de la France au régime d’apartheid. Là encore, Laurent Roumegoux rappelle les liens économiques qui unissent les deux pays en insistant sur ces liens :

‘« Notre pays a une politique d’aide à l’Afrique du Sud qui, si elle est relativement faible par rapport à celle de la Grande-Bretagne, est par contre située dans des domaines stratégiques et permet le renforcement de l’apartheid : domaine militaire, télécommunication, énergétique…1639 ».’

Le journaliste semble déplorer que d’une manière générale, les Français n’aient guère l’habitude des campagnes de boycott, tout en informant que la campagne de boycott contre les oranges Outspan a permis une diminution de 30% des importations. Si pour lui le moyen d’action est utile, il pose la question suivante : « une action est-elle possible ? » :

‘« En France, une campagne de boycott des banques est rendue plus difficile non seulement parce que les Français s’y prêtent mal mais aussi parce que les banques sont dans leur majorité nationalisées. C’est donc le gouvernement français qui encourage ces prêts […]. Les difficultés sont très grandes mais l’utilisation de notre argent par les banques nous engage et il vaut la peine de lutter contre tout ce qui renforcera l’apartheid 1640».’

C’est donc la question de la position des banques françaises qui est soulevée ici. Le journaliste propose divers moyens d’actions possibles : retraits de fonds, interventions auprès des assemblées générales, action concertée avec les syndicats des banques… Si Laurent Roumegoux ne parle pas des actions qui pourraient venir des chrétiens plus spécifiquement, il est clair que le traitement de cette question dans cet article vise surtout à mobiliser les lecteurs réformés et à susciter une prise de conscience, particulièrement chez ceux qui avaient des placements dans les banques impliquées avec l’Afrique du Sud par l’intermédiaire des prêts.

Pour renforcer son propos, le journaliste mentionne que « parmi les noirs d’Afrique du Sud, tous ceux qui combattent pour leur liberté et l’égalité des droits sont en faveur d’un boycott et de l’arrêt total des investissements et des prêts 1641  ».

Des prises de position sont également nées chez plusieurs chrétiens sud-africains comme ceux réunis au sein de l’Institut chrétien. En France aussi, une mobilisation apparaît :

‘« Des autorités comme Mgr Ménager, président de la Commission « Justice et Paix », et comme le Conseil œcuménique des Eglises, demandent aux particuliers et aux Eglises d’être responsables de l’utilisation qui est faite de leur argent1642 ».’

Il est donc implicitement suggéré que les réformés français doivent bien prendre le pas sur les positions des catholiques réunis au sein de la commission « Justice et Paix » et sur celles du COE exprimées tout au cours des années 70 dans diverses déclarations1643.

Dans les années 80, les questions demeurent sur l’attitude à adopter :

‘« L’Afrique du Sud est, pour le reste du monde dit libre, d’un intérêt stratégique et économique si vital que ce dernier ne peut envisager de la perdre1644 »’

Ce préambule à l’article paraissant dans Réforme le 28 septembre 1985 donne le ton… Mettant en évidence les nombreux liens économiques entre l’Europe et l’Afrique du Sud, et alors qu’un mouvement s’exprimant en faveur des sanctions tend à émerger, Eric Meyer précise que la réalité est plus nuancée, particulièrement en France :

‘« On assiste aujourd’hui à un fait nouveau, peut-être une première historique mondiale : la mise au ban des nations de Pretoria, par le biais de sanctions. En France, et ailleurs, les médias suggèrent généralement que les démocraties, excédées de la survivance du régime raciste, auraient soudainement – et ensemble – décidé d’en finir ; le cheminement des douze pays européens prouve que la réalité, tout en restant honorable, est à la fois plus subtile et moins morale 1645».’

La réalité des nombreux liens économiques entre la CEE et l’Afrique du Sud rend ainsi la réalité plus complexe avec, d’un point de vue international, des hésitations de certains pays (Allemagne, Grande-Bretagne) à adopter les sanctions. A un moment où les 12 pays membres de la CEE prennent conscience de la nécessité d’une action commune, des questions demeurent concernant la nature des sanctions à adopter. Les Douze décident d’opter pour une « double stratégie 1646  » : adopter des sanctions symboliques mais communes qui reviendraient « en fait à une simple menace de sanctions 1647  », ou négocier secrètement l’appui européen en échange de l’ouverture d’un dialogue avec la communauté noire.

Notes
1637.

Laurent ROUMEGOUX, « Congrès de Massy, campagne anti-Outspan : votre argent est utilisé pour la défense de l’apartheid », Réforme, n°1756, 18 novembre 1978.

1638.

Ibid.

1639.

Ibid.

1640.

Ibid.

1641.

Ibid.

1642.

Ibid.

1643.

En 1972, le Comité central du COE décide d’appliquer la règle de conduite définie lors de l’Assemblée D’Uppsala en 1968 et de mettre fin aux investissements auprès d’institutions qui perpétuent le racisme. En 1975, lors de l’Assemblée de Nairobi, un appel est lancé aux Eglises membres, les priant instamment de s’associer aux campagnes en vue d’arrêter le trafic des armes et d’œuvrer en faveur du retrait des investissements et de l’arrêt des prêts bancaires.

Pour plus d’informations sur le COE et les banques : Daisy DE LUZE, « Le COE, les Eglises, l’apartheid, l’argent et les banques », Réforme, 24 octobre 1981, p. 10 et Breaking down the walls, statements and actions on racism (1948-1985), special report by the World Council of Churches, Genève, 1985, 107 p.

1644.

Eric MEYER, « Sanctions : en teintes douces », Réforme, n°2111, 28septembre 1985, p. 4.

1645.

Ibid.

1646.

Jean DUQUESNE, « Hors de propos…l’Afrique du Sud », La Croix, 4 août 1971.

1647.

Ibid.