1-3 Une position en pointe, celle d’Anne-Marie Goguel

En tant qu’observatrice particulièrement impliquée vis à vis de la question sud-africaine, Anne-Marie Goguel va prendre position sur le thème des sanctions économiques. Si elle soutient avec vigueur et d’une façon naturelle l’idée que des pressions économiques et diplomatiques peuvent être efficaces, elle considère que la mobilisation de l’Occident doit aller plus loin :

‘« Il faut bien sûr appuyer toutes les pressions d’ordre économique et diplomatique venues de l’extérieur qui peuvent contribuer à créer les conditions d’un changement, mais il faut aussi nous mettre à l’écoute des chrétiens qui là-bas, luttent par les armes de la non-violence, rester en communion avec eux par la prière et par l’échange, prendre conscience de notre propre « co-responsabilité1661 ».’

Si la prise de position dans le champ diplomatique et économique est claire, Anne-Marie Goguel met cependant en avant son identité chrétienne et considère la question sud-africaine et le sort des populations non-blanches sous un angle profondément humain, dans un esprit de solidarité et de communion. Plus qu’une question d’ordre économique, la prise en compte de l’apartheid est envisagée sous un angle chrétien.

Anne-Marie Goguel revient sur le nécessaire engagement des chrétiens dans un article de Réforme le 11 mars 1989 , engagement non-violent « qui demande discipline, maîtrise de soi, fidélité et persévérance 1662  ». Pour elle, un engagement non-violent peut se manifester par l’adoption de sanctions économiques et financières :

‘« Engagement non-violent dont vient également de faire preuve, à l’échelle modeste de la Fédération protestante, en demandant aux Eglises membres de s’adresser aux banques – le Crédit lyonnais et Indosuez – qui s’apprêtent à renouveler les créances en devises fortes dont l’économie sud-africaine à le besoin le plus urgent. Ce que le message du Conseil nous demande de dire à ces banques, c’est qu’il faut assortir le renouvellement des crédits de conditions qui obligent le gouvernement sud-africain à s’engager dans le démantèlement de l’apartheid et dans une négociation avec ses « adversaires » 1663».’

Par la mention de la décision de la Fédération protestante d’agir auprès des banques, Anne-Marie Goguel témoigne bien du fait qu’un engagement des chrétiens est possible dans le champ économique. Loin d’isoler le pays, une telle position doit aider à l’amorce d’un dialogue entre les différentes communautés.

Anne-Marie Goguel livre le même sentiment dans un article de Réforme en août 1985. Elle reconnaît qu’il est heureux que le gouvernement français ait pris l’initiative de recommander l’arrêt de tout nouvel investissement, tout en précisant bien qu’il ne s’agit pas encore de suspendre les relations commerciales entre les deux pays. L’action économique venue de l’extérieur conjuguée à une résistance organisée à l’intérieur pourraient ainsi, selon Anne-Marie Goguel, mener à une transformation du système. Mais comment le chrétien peut-il se positionner dans cette évolution ?

‘« Mais il ne suffit pas d’applaudir aux « condamnations » et aux sanctions. Il pourrait y avoir là un singulier pharisaïsme de notre part, si, en même temps, nous n’étions attentifs aux voix prophétiques de ceux qui, Blancs et Noirs, sont en lutte contre l’apartheid 1664».’

Je reviendrai sur le « pharisaïsme » si souvent évoqué par Anne-Marie Goguel. Elle insiste ici sur la nécessité, pour les chrétiens français, certes d’applaudir aux décisions politiques et économiques prises par la France, mais surtout d’entrer en communion avec ces « voix prophétiques » sud-africaines, parmi elles celles de Beyers Naudé, Alan Boesak ou Desmond Tutu.

Le 20 juin 1988, Le Christianisme au XXème siècle aborde de nouveau la question des sanctions et surtout le risque de la « spirale de l’exclusion 1665» dans laquelle risque d’être engagée l’Afrique du Sud :

‘« Les nations civilisées rétorquent en mettant l’Afrique du Sud au ban du monde économique : encore l’exclusion. Les Eglises réformées pratiquent aussi les sanctions. On exclut - pardon on suspend - l’Eglise réformée blanche de sa qualité de membre de l’Alliance réformée mondiale. Les Blancs, nos frères aussi » osait écrire récemment Anne-Marie Goguel dans Réforme. Ne serait-ce pas s’évader de la spirale infernale des exclusions que de tendre à la fois une main d’amitié fraternelle à nos frères blancs comme à nos frères noirs d’Afrique du Sud ? 1666».’

Jacques Poujol, comme l’a fait Anne-Marie Goguel, parle de la nécessité chrétienne de ne pas exclure ni repousser. Au contraire, il place la nécessité de maintenir le dialogue comme l’une des seules issues possibles à la spirale de violence et de répression dans laquelle peut s’engager le pays. En cela, sa position est également identique à celle qu’exprimera à plusieurs reprises Anne-Marie Goguel, notamment dans l’article de Réforme du 11 mars 19891667.

En mai 1989, le pessimisme est de nouveau de mise, André Ecalle jugeant les sanctions contre l’Afrique du Sud totalement inefficaces « sauf qu’elles renforcent l’autonomie du pays 1668  ». Cependant, André Ecalle voit d’un œil plus favorable les sanctions lorsqu’elles touchent au sport, puisqu’elles ont un impact symbolique plus fort.

Notes
1661.

Anne-Marie GOGUEL, « Editorial », le christianisme au XXème siècle, N°30, 26 août 1985.

1662.

Anne-Marie GOGUEL, « Une victoire de la non-violence », Réforme, 11 mars 1989, p. 4.

1663.

Ibid.

1664.

Anne-Marie GOGUEL, « Au-delà de la violence, le « saut de la foi » », Réforme, n°2105-2106, 17-24 août 1985, p. 4.

1665.

Jacques POUJOL, « Croix huguenote sous croix du Sud. Au pays de l’interdit », Le christianisme au XXème siècle, n°169, 20 juin 1988, p. 4.

1666.

Ibid.

1667.

Anne-Marie GOGUEL, « Une victoire de la non-violence » (1989), op.cit.

1668.

André ECALLE, « Les chemins rocailleux du post-apartheid », Réforme, 20 mai 1989, p. 3.