Les débats des réformés français lors de la commémoration du tricentenaire de l’arrivée des huguenots français en Afrique du Sud

La presse réformée, tout comme la CSEI au sein de la FPF, est conduite à traiter, en 1988, la commémoration en Afrique du Sud de l’arrivée des huguenots français dans le pays 300 ans plus tôt.

Marianne Cornevin consacre un article à l’événement dans Le journal des missions évangéliques (numéro d’avril-juin 1988)1676. Elle y retrace l’histoire de ces protestants français arrivés en 1688 et qui représentaient un an plus tard 20% de la population européenne du Cap. Dans le même numéro, Anne-Marie Goguel livre un sentiment beaucoup plus personnel sur les enjeux d’une telle commémoration, en se questionnant sur la participation des protestants français à l’événement :

‘« Ne faut-il pas se souvenir que l’évocation historique en cette matière n’est pas innocente et qu’il s’agit d’une opération de « relations publiques » de grande envergure visant à resserrer les liens entre le régime minoritaire de Pretoria et ses alliés potentiels à l’Occident, au détriment, faut-il le dire, des sentiments de l’immense majorité des « non-Blancs » de ce pays ?1677 ».’

La participation d’une délégation protestante française à cette commémoration en avril 1988 revêt un aspect politique majeur. Quelques semaines plus tard, Anne-Marie Goguel renouvelle ses mises en garde dans un article de Réforme alors que les cérémonies ont eu lieu au Cap quelques jours plus tôt. Après y avoir fait un historique de la présence française en Afrique du Sud, elle revient sur les cérémonies commémoratives, indiquant que peu nombreux ont été les protestants français à avoir répondu à l’invitation du gouvernement sud-africain. Etaient présents notamment le pasteur Georges Mabille, Jacques Poujol (secrétaire général de la Société du Protestantisme Français), Thierry du Pasquier (président du Comité protestant des amitiés françaises à l’étranger), Robert Charbonneau (président régional de l’ACFA, « une association française soutenant le régime de Pretoria 1678  »). Anne-Marie Goguel précise vaguement qu’ils représentent tous « un éventail de personnes dont les objectifs ou les réserves à l’égard de l’Afrique du Sud sont assez variés 1679  ». D’une manière plus précise et incisive, Anne-Marie Goguel ajoute :

‘« Aucun membre de la Fédération protestante de France ou des Eglises qui la composent n’avait semble-t-il reçu d’invitation officielle. Quant aux journalistes, l’ostracisme qui les frappait en général n’avait pas épargné la presse protestante1680 ».’

Pourtant, c’est le pasteur Mabille qui va prononcer un discours au nom de la Fédération protestante, tout en abandonnant l’idée de parler d’Allan Boesak alors qu’il était prévu de le faire, puisque la mention de son nom et de celui de Desmond Tutu par exemple « provoquent aussitôt des réactions passionnelles qui les rendent pour le moment imprononçables 1681  ». Cet article démontre la décision de participer aux cérémonies n’a pas été unanime au sein du protestantisme et que parmi les participants eux-mêmes, il fallut faire quelques « concessions » afin de ne pas froisser l’Afrique du Sud en évitant d’aborder l’implication de certains chrétiens dans la lutte contre l’apartheid. Ce fait est d’ailleurs rappelé par Jacques Poujol dans un BIP :

‘« Attaquer de front les tabous, dire les mots que seuls certains initiés peuvent prononcer, c’est agiter un chiffon rouge devant un public installé dans ses certitudes. Conscient de cette donnée fondamentale, le pasteur Mabille, lisant devant les centaines de sud-africains blancs rassemblés à Franskoek le message de la Fédération protestante de France a cru devoir sauter dans son message la mention du nom d’Allan Boesak1682 ».’

En mars 1988, le pasteur J. Stewart, alors président de la Fédération protestante, adresse un message au conseil des Eglises sud-africaines (SACC) à l’occasion du tricentenaire de l’arrivée des huguenots français en Afrique du Sud. Il évoque la nécessité, en cette occasion, de manifester le soutien de la Fédération aux « voix prophétiques qui viennent d’Afrique du Sud 1683»… Cette commémoration redonne donc l’occasion à la FPF d’exprimer son soutien aux chrétiens sud-africains mobilisés.

Le protestantisme français a donc été représenté lors des cérémonies du tricentenaire de l’arrivée des huguenots. Mais comme l’a précisé Anne-Marie Goguel, les participants ne représentèrent qu’une certaine partie du protestantisme, notamment au travers d’organismes proches du régime de Pretoria1684. Si le pasteur Georges Mabille était loin de cette branche du protestantisme et était davantage présent aux cérémonies en tant que représentant de la Fédération protestante, il dut cependant, sans doute malgré lui, « édulcorer » quelque peu son discours en évitant de faire référence aux « voix prophétiques » auxquelles fait référence Jacques Stewart dans sa lettre envoyée au SACC.

Notes
1676.

Marianne CORNEVIN, « Le tricentenaire de l’arrivée des huguenots en Afrique du Sud », Le journal des missions évangéliques, avril-juin 1988, p. 65-74.

1677.

Anne-Marie GOGUEL, « Afrique du Sud : l’enjeu d’une commémoration historique », Le journal des missions évangéliques, avril-juin 1988, p. 75-77.

1678.

Anne-Marie GOGUEL, « Botha en appelle à Marie Durand », Réforme, 30 avril 1988, p. 6.

1679.

Ibid.

1680.

Ibid.

1681.

Ibid.

1682.

« Interdits, tabous, dits et non-dits », BIP, n°1099, 1er juin 1988, p. 11.

1683.

« Troisième centenaire de l’arrivée des huguenots français en Afrique du Sud : message de la FPF au conseil des Eglises sud-africaines », BIP, n°1089, 9 mars 1988.

1684.

Je reviendrai sur l’ACFA (Amis français des communautés sud-africaines) créée en 1977 avec l’aide financière de Pretoria.