1-5 Des chrétiens partagés sur la question des liens économiques et diplomatiques entre la France et l’Afrique du Sud

Les articles étudiés reflètent ainsi une diversité de positions en ce qui concerne les questions d’ordre économique et diplomatique. D’une manière générale, il est intéressant de noter que les réformés s’exprimèrent plus souvent sur la question que les catholiques. D’une manière générale, les chrétiens mobilisés ne parvirent pas à l’unanimité sur la question. Si le plus souvent l’adoption de sanctions économiques fut comprise et soutenue, nombreux furent les observateurs qui soulignèrent les faits suivants : soit les sanctions ne suffisent pas, soit elles sont inefficaces, cette dernière opinion étant la plus fréquemment exprimée. On peut aussi penser que la réception faite à l’idée du boycott témoigne du peu d’affinité avec cette forme d’action dans la culture catholique, au contraire de la culture protestante lié au monde anglo-saxon.

Si certains observateurs chrétiens isolent la question économique, d’autres l’abordent sous un angle plus symbolique et plus global, les considérant comme la manifestation d’un soutien direct de la France au régime d’apartheid. Enfin, d’autres observateurs comme Anne-Marie Goguel ou Jacques Poujol abordent la question sous un angle plus chrétien et « spirituel », mettant en évidence qu’au delà des sanctions, c’est le maintien du dialogue qu’il faut privilégier, dans un esprit de « communion ».

Les réformés, dans leurs organes de presse, traitent donc des questions économiques et diplomatiques sans véritablement de gêne ni de frilosité. La considération et le traitement d’une telle question ne semblent donc pas relever d’un « tabou » idéologique.

Il n’en est pas tout à fait de même du côté catholique où une certaine frilosité peut apparaître concernant ce type de questions. Si un journal comme La Croix traite régulièrement des décisions et résolutions prises à l’échelle internationale, peu nombreux sont les journalistes catholiques à utiliser leurs plumes pour se positionner clairement en faveur ou contre les sanctions économiques. Lorsqu’ils le font, c’est souvent pour présenter les sanctions économiques comme étant inefficaces ou pire, comme étant une arme à double tranchant dont les Noirs seraient les premiers à pâtir. Si les réformés peuvent exprimer parfois cette même idée, c’est sans doute notamment grâce à l’impact d’un discours comme celui de Desmond Tutu qui n’eut de cesse, particulièrement à partir de 1984, de prôner l’adoption de sanctions.

D’autre part, il est évident que les journalistes s’exprimant dans des journaux catholiques (La Croix en tête) à la diffusion plus large que les journaux protestants bénéficiaient peut-être d’une liberté éditoriale plus « réduite ».

A une époque où l’Afrique s’engouffre dans la spirale de la violence et de la répression à partir de la moitié des années 80, il n’était pas possible pour les observateurs de ne pas traiter de la question des liens économiques entre la France et l’Afrique du Sud, liens considérés souvent comme moralement condamnables. Mais parler de l’apartheid revenait également à traiter d’un régime symbolisant un capitalisme exacerbé et se présentant comme un rempart contre le « péril rouge » menaçant.

Au delà des questions d’ordre économique et diplomatique, comment des chrétiens purent-ils se positionner face à un tel contexte politique, pris dans un jeu de tensions nord-sud omniprésent ?