2 Les difficultés d’une mobilisation lorsqu’il est question de propagande et d’idéologie

2-1 L’obstacle du communisme dans la revue Fides

Les revues catholiques françaises avaient en général comme source les informations délivrées par les bulletins de l’agence Fides, bulletins qui avaient pour but de communiquer à la presse les nouvelles missionnaires catholiques. Les communiqués étaient ainsi envoyés à la presse par l’intermédiaire d’un Bureau national établi sous la direction de la Propagation de la Foi basé à Paris. A partir du début des années 50, l’Agence Fides commença donc à rendre compte des événements se déroulant en Afrique du Sud. Ce sont donc globalement sur ces informations que se basèrent les grands journaux catholiques français pour délivrer une information sur l’Afrique du Sud.

Quelques mois avant l’arrivée au pouvoir du Parti national et la mise en place officielle du système d’apartheid, Fides consacre un article à la situation avec le titre évocateur suivant : « La menace communiste en Afrique du Sud 1685». Il ne s’agit donc pas encore de parler de l’apartheid mais du danger communiste qui menace (avant tout) le catholicisme en Afrique du Sud. La « menace » est évoquée à l’occasion de la réunion du comité de « l’association des professeurs et instituteurs catholiques sud-africains » à Witbank (Transvaal) :

‘« Ce n’est un secret pour personne que les agents de Moscou essayent, par tous les moyens et toutes sortes de promesses, de soulever la population noire contre la religion et contre l’Etat pour propager le communisme athée1686 ».’

Quelques semaines plus tard, un article rappelle le rôle des écoles dans la lutte contre le communisme1687 et le financement par le gouvernement des écoles catholiques… Avant même que le système d’apartheid ne régisse l’ensemble de la société sud-africaine, le danger relevé est avant tout celui du communisme susceptible de porter atteinte à l’influence des Eglises catholiques.

Le sujet est abordé une nouvelle fois dans un long article qui paraît en septembre 1949 sous le titre : « Le communisme en Afrique méridionale 1688  ». Sans évoquer le système d’apartheid et ses effets sur les populations non-blanches, l’article « se contente » de dire que la situation est un « champ fertile à la propagande communiste 1689  ». Pourtant, l’article reconnaît qu’alors que 8 Millions de noirs vivent comme des « primitifs », le Parti communiste est « le seul parti qui accueille tout le monde et qui prône l’égalité, qui travaille à renverser les barrières entre les races 1690  ». Malgré cela, l’influence du communisme sur les populations noires reste relative :

‘« Seuls les métis et les indiens ont répondu jusqu’ici à la propagande communiste […]. On se rend parfaitement compte que la besogne des agents du communisme est facilitée du fait que les conditions économiques, en particulier parmi les non-Européens, sont loin d’être satisfaisantes. Des mesures en vue d’améliorer ces conditions sont à l’étude. Mais tout délai apporté à leur exécution signifie un appui donné à la propagande communiste1691 ».’

Avant que le Parti communiste ne soit banni une année plus tard (Suppression of Communism Act 1692 ), l’existence du parti est évoquée à de multiples reprises dans Fides. Le parti est présenté davantage comme un danger pour l’Eglise catholique que comme une force libératrice.

Le communisme est évoqué également dans les déclarations des évêques sud-africains, en juillet 1957 et en février 1960.

Dans leur déclaration de juillet 1957, si les évêques appellent les Blancs du pays à changer leur politique, ils précisent bien que le changement doit être graduel « sous peine de provoquer un désastre 1693  ». Ils livrent ainsi leur crainte de voir une « Révolution » naître chez les populations noires et en présentent les risques éventuels sur un ton quelque peu catastrophiste :

‘« Le chaos qui suivra, l’écroulement de l’ordre public, la disparition de la société dans l’holocauste et peut-être leur propre disparition ne les arrêtera pas, et ceci est vrai en particulier pour tous ceux qui puisent dans le communisme athée leurs aspirations présentes et fondent sur lui leurs espoirs pour l’avenir1694 ».’

Les évêques sud-africains, s’ils reconnaissent que des changements progressifs sont nécessaires, expriment implicitement qu’un système instaurant une stricte séparation des races est toujours préférable au communisme qui accompagnera la libération… Encore une fois, les évêques craignent surtout que l’apparition d’une force communiste porte atteinte à la présence catholique en Afrique du Sud…

Lorsque la lettre pastorale suivante (27 février 1960) « exhorte tout le monde à tenir compte de l’enseignement des évêques pour que l’étude des problèmes exposés par eux se fasse à la lumière de la doctrine du Christ 1695  », on peut se demander si les évêques ne demandent pas une réaffirmation des principes évangéliques, certes face à un système discriminatoire, mais aussi face à l’émergence d’un mouvement communiste donc par définition anti-chrétien.

Cette « pression » communiste que semblent ressentir plusieurs membres de la hiérarchie catholique est une nouvelle fois exprimée en 1960 par Mgr Boyle alors que le nombre de missionnaires catholiques en Afrique du Sud ne cesse de diminuer, leurs entrées étant rendues de plus en plus difficile par le gouvernement. Ses propos sont partiellement reproduits dans le numéro de Fides du 22 octobre 1960 :

‘« Aujourd’hui, l’Afrique du Sud traverse une crise : si elle n’est pas conquise par le Christ, elle le sera par le Communisme ou l’Islam1696 ».’

Face à cette menace, il semble important que l’Eglise catholique se renforce en assurant une meilleure formation à son clergé et en privilégiant l’apparition d’un clergé autochtone. C’est l’idée qu’exprime Mgr Hurley alors qu’il participe au 24ème congrès des organisations catholiques qui se réunit à Manzini (Swaziland) :

‘« Nul doute que dans une Afrique du Sud où bouillonnent des passions capables de l’entraîner vers le communisme ou vers un nationalisme exagéré, l’Eglise a besoin de dirigeants compétents et sûrs1697 ».’

L’enjeu pour l’Eglise catholique sud-africaine est donc de renforcer son encadrement des populations non-blanches par un clergé autochtone et par la mise en place d’un système éducatif qui permette de prendre en charge les enfants noirs, par des œuvres sociales qui témoigneront de la présence réelle de l’Eglise catholique, force capable de « contrer » celle du communisme.

En août 1978, les évêques sud-africains adressent une lettre au premier ministre après l’arrestation de plusieurs membres de la JOC dont celle de Simon Magane, premier président noir du mouvement. L’assimilation du mouvement catholique au communisme est claire puisque les arrestations ont lieu en vertu du « Suppression of Communism Act », loi interdisant le parti communiste. La lettre des évêques sud-africains témoigne de leur solidarité totale avec le mouvement jociste et son message :

‘« M le Premier ministre, vous êtes très inquiets devant la menace du communisme. Le meilleur antidote contre le communisme n’est pas la répression. C’est la justice. Pour cette raison, les JOC sont parmi vos meilleurs alliés. Mais ceci ne peut être compris tant que demeure cet état d’esprit qui considère que toute tentative pour améliorer la condition sociale et politique des Noirs en Afrique du Sud est communiste […]. Désirer ardemment l’égalité, la libération, la reconnaissance de ses droits, n’est pas du communisme. La possession de ces choses est la plus grande sauvegarde contre le communisme1698 ».’

Autrement dit, lorsque l’Eglise catholique, ou un mouvement qui en est issu, est attaquée et taxée de communiste, la hiérarchie s’exprime afin de mettre en évidence que ce sont les lois ségrégationnistes elles-mêmes qui provoquent la violence et non le communisme. Des mouvements (tels que la JOC) qui luttent contre la ségrégation n’agissent pas au nom du communisme et les évêques signalent que la JOC, mouvement apolitique, est sur la « même ligne » que le gouvernement de Pretoria concernant la lutte contre le communisme.

Dans les années 50 et 60, Fides traite donc de la question du communisme en le présentant comme un danger réel pour l’Afrique du Sud, abordant plus souvent la question sud-africaine sous l’angle de ce danger. Cet organe de presse tend à « édulcorer » la réalité du système d’apartheid et de considérer l’apparition d’éventuels mouvements de libération comme un danger plus grand que celui de l’apartheid. En relayant cette idée que la « citadelle » sud-africaine est en danger, la revue Fides tend à se situer du côté du régime de Pretoria et à présenter un régime ségrégationniste comme préférable à la montée en puissance du communisme…

Dans les années 70, la position change puisque la hiérarchie catholique sud-africaine se positionne du côté des militants jocistes eux-mêmes taxés de communistes. Elle en profite cependant pour préciser que tous luttent contre le même danger mais que la répression reste inefficace et à comme effet d’attiser les tensions et les insurrections…Dans les années 80, Fides ne fait pratiquement plus mention du danger communiste.

Quel put être l’impact sur la presse catholique française (la plupart abonnée à Fides) de ces articles ? Autrement dit, la presse catholique (étudiée dans le cadre de ce travail) a t-elle rendu compte avec tant d’intensité d’un éventuel danger communisme susceptible d’apparaître avec les mouvements contestataires au régime ?

Notes
1685.

« La menace communiste en Afrique du Sud », Fides, 21 février 1948, NF 56/48.

1686.

Ibid.

1687.

« L’Eglise en Afrique du Sud », Fides, 5 juin 1948, NF 180/48.

1688.

« Le communisme en Afrique méridionale », Fides, 3 septembre 1949, NF 254/49.

1689.

Ibid.

1690.

Ibid.

1691.

Ibid.

1692.

En fait, le parti communiste s’est sabordé avant que la loi ne soit entrée en vigueur.

1693.

« Les évêques et le problème racial », Fides, 27 juillet 1957, NF 253.

1694.

Ibid.

1695.

Ibid.

1696.

« Exposition en faveur des vocations », Fides, 22 octobre 1960, NF 403.

1697.

« Le 24ème congrès des organisations catholiques », Fides, 24 janvier 1962, NF 47.

1698.

« Lettre ouverte des évêques au Premier ministre », Fides, 2 août 1978.