2-3 Lorsque les Eglises chrétiennes sud-africaines sont « accusées » de mener un combat politique

Nombreuses sont les revues, catholiques et protestantes, qui traitent du combat et de l’implication des Eglises chrétiennes sud-africaines. Si la mobilisation est souvent évoquée par l’intermédiaire de celle de ses militants (Desmond Tutu, Beyers Naudé…), les revues françaises font également un tableau plus global de la mobilisation des Eglises chrétiennes et surtout des difficultés qu’elles rencontrent au titre du combat qu’elles mènent contre les lois de l’apartheid. Les articles rapportent ainsi les accusations (émanant du gouvernement de Pretoria) adressées aux Eglises de mener un combat d’ordre davantage politique que religieux. Ces articles apparaissent en effet dans la presse chrétienne française alors que l’Afrique du Sud est en plein état d’urgence et qu’il ne reste plus que les Eglises pour lutter…

Les titres des articles paraissant sur ce thème sont significatifs. Ainsi, dans son numéro du 15 mars 1987, l’ARM titre un article de la manière suivante : « l’Eglise peut-elle rester en dehors de la politique ? 1710  ». L’article rapporte la réaction du nonce en Afrique du Sud demandant la prudence du clergé en matière de politique… Un an plus tard, la même revue traite, une nouvelle fois, des frontières floues entre implication de nature politique et rôle spirituel. L’article reproduit la pétition signée par Desmond Tutu et par 25 hommes d’Eglise. Le propos de la lettre était le suivant :

‘« Nous n’innovons pas lorsque nous apportons la parole de Dieu comme nous la voyons s’appliquer à la situation dans laquelle nous sommes impliqués. Les prophètes qui disaient « Ainsi parle le Seigneur » aux dirigeants et aux puissants de leur temps sont nos prédécesseurs1711 ».’

Pieter Botha répond de la manière suivante à cette pétition, réponse témoignant des accusations que le gouvernement de Pretoria adressa aux dirigeants des Eglises :

‘« Vous devez à tous les chrétiens une explication, car nous sommes des adultes et le temps du bluff ou du jeu est passé. Agissez-vous au nom du Royaume de Dieu ou du Royaume promis par l’ANC et le Parti communiste d’Afrique du Sud ? Si c’est de celui-ci qu’il s’agit, dites-le et ne vous cachez pas derrière la structure et le manteau de l’Eglise chrétienne. Le christianisme et le marxisme sont inconciliables1712 ».’

Cette réponse du Premier ministre sud-africain est révélatrice du climat de tension existant entre le pouvoir politique et les Eglises mobilisées. Elle témoigne aussi de l’accusation récurrente adressée aux Eglises et à quelques-uns de ses membres de mener une lutte similaire à celle des marxistes.

6 mois plus tard, preuve de l’intérêt de la revue pour la mobilisation chrétienne en Afrique du Sud, l’ARM consacre un dossier de 9 pages à cette question. L’auteur de ce dossier n’est autre que Philippe Denis qui a choisi d’écrire en utilisant le pseudonyme de Xavier Desjardins. Si Philippe Denis retrace l’historique de la mobilisation des chrétiens face aux lois de l’apartheid, il prend position affirmant que « la neutralité est impossible 1713  ».

Rapportant les tensions et les questionnements qui traversent les Eglises chrétiennes, il met en évidence deux thèse : l’une indiquant la nécessité pour les Eglises de prendre position sur la scène politique. Cette thèse est celle de Desmond Tutu, qui estime que « le rôle des Eglises est de remplacer les mouvements d’opposition laïc réduits au silence 1714  ». L’autre thèse, opposée à la première, considère que l’Eglise n’a pas à diriger le combat contre l’apartheid.

Dans l’éditorial du Christianisme au XXème siècle, Philippe Liard met également en évidence le difficile combat des Eglises et la difficile relation avec le pouvoir politique qui les accuse de « faire le jeu du communisme international 1715». Dans le numéro du 9 juin 1986, Philippe Liard revient sur la question alors que la violence s’aggrave et que la répression s’accroît :

‘« Il faut rappeler, une fois de plus, à ceux qui défendent inconditionnellement les positions blanches en Afrique du Sud que depuis plus de 35 ans, les Eglises ont crié casse-cou, sans être entendues ; ou, le plus souvent, en se voyant soupçonnées de communisme […]. L’on ne prie pas pour ou contre des idéologies ou des systèmes. Mais pour des hommes, tous les hommes dressés face à face1716 ».’

Le journaliste précise ainsi que le combat des Eglises reste un combat profondément humain et ne prend pas la forme d’un engagement pour le compte d’un parti politique. Les Eglises agissent surtout au nom d’un combat humain et éthique.

Ces différentes mentions, autant dans la presse catholique que réformée, démontrent un positionnement des chrétiens français du côté des Eglises sud-africaines mobilisées contre l’apartheid. En aucun cas les observateurs ne jugent négativement cette mobilisation qui est considérée comme étant légitime, ne relevant pas d’un combat politique et donc n’ayant rien à voir avec le communisme. Les observateurs français se sentent ainsi solidaires. Ce regard est assez compréhensible dans une presse catholique française influencée par le discours de Vatican II désireuse de voir l’Eglise davantage impliquée dans la société et dans le monde1717. Du côté de la presse réformée, les observateurs, beaucoup plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’évoquer la place des Eglises dans la société, soutiennent encore plus clairement les Eglises chrétiennes sud-africaines dans leur combat et mettent en évidence que le rôle des Eglises est bien de s’engager auprès des hommes et non dans un combat pour un parti politique.

Notes
1710.

« L’Eglise peut-elle rester en dehors de la politique ? », ARM, 15 mars 1987, n°43, p. 7.

1711.

« Royaume de Dieu ou Royaume de l’apartheid ? » (1988), op.cit.

1712.

Xavier Desjardins, « Apartheid : chrétiens, encore un effort », ARM, 15 novembre 1988, p. 26.

1713.

Ibid.

1714.

Ibid.

1715.

Anne-Marie GOGUEL, « Le christianisme au XXème siècle » (Une), n°30, 26 août 1985, p. 1.

1716.

Philippe LIARD, « 16 juin : journée de prière et de jeûne pour l’Afrique du Sud », Le christianisme au XXème siècle, n°71, 9 juin 1986, p. 6.

1717.

Il est évident que le regard aurait été tout autre dans une revue catholique plus « conservatrice »…