« Quelle pagaille dans notre attitude vis-à-vis de nos frères… »

[« Quelle pagaille dans notre attitude vis-à-vis de nos frères1745… »]

Plus que des liens réels, les liens religieux furent plutôt des liens symboliques. L’évocation de ce noyau huguenot, vite assimilé aux colons hollandais, a souvent fait l’objet d’articles au sein de la presse réformée française1746. Au delà de cette évocation historique et religieuse, plusieurs observateurs étrangers, à partir de ce fait, justifièrent une action vis-à-vis de la situation sud-africaine.

C’est ce que Christian Piton met en évidence dans un article de Réforme en août 1971 :

‘« N’oublions pas – les chrétiens d’Afrique du Sud me l’ont dit- que les protestants français ont une responsabilité particulière à l’égard de leurs coreligionnaires d’Afrique du Sud, à cause de l’attachement sentimental des réformés hollandais au souvenir des réfugiés huguenots qui vinrent grossir le nombre des colons du Cap […]. Les réformés français n’ont-ils pas un devoir tout particulier de dénoncer une idéologie qui ose se réclamer des dogmes calvinistes de la prédestination et du salut par la foi ?1747 ».’

Noël Christol interpelle lui-aussi les lecteurs du journal Le christianisme au XXème siècle en mai 1971, interpellation en direction des protestants blancs en particulier, « puisque parmi les Blancs de ce pays, nombreux sont les descendants de huguenots qui partirent pour le Cap pour fuir la persécution 1748  ». Une telle filiation doit ainsi obliger les protestants français à entendre « le cri des populations noires sud-africaines froidement, indignement exploitées, car ainsi le veut « l’intérêt matériel » de leurs maîtres 1749  ».

La foi calvinisme unissant réformés de France et réformés d’Afrique du Sud conduit ainsi plusieurs observateurs français à ressentir un sentiment de responsabilité et même de culpabilité. Daisy de Luze laisse apparaître un tel sentiment dans un nouvel article de Réforme en février 1976 :

‘« Un proverbe sud-africain dit : « tu ne sais pas combien pèse le fardeau que tu ne portes pas ». Cette petite phrase douloureuse nous interpelle, nous les chrétiens d’Europe occidentale, et nous invite à la solidarité avec les peuples d’Afrique australe qui luttent pour leur libération, c’est à dire pour être libérés de tout ce qui déshumanise, et dont l’apartheid est un exemple épouvantable1750 ».’

« Quelle pagaille dans notre attitude vis-à-vis de nos frères 1751  » : c’est ainsi que Paul Ollier caractérise la situation, tout en précisant bien que la condamnation aveugle ne suffit pas :

‘« Nous bramons ici notre fierté d’avoir gardé notre indépendance et ce sont pourtant nos cousins qui ont créé l’apartheid pour aussi la conserver. Là, également, si cet apartheid est scandaleux, nous ne pouvons pas, comme on le fait allégrement dans certains milieux chrétiens français rejeter tout simplement « les démons ». Nous avons l’obligation charitable de chercher à comprendre 1752».’

En novembre 1987, à la suite, le 17 octobre, de la visite en France d’Allan Boesak (invité par le Service protestant français de Missions et de Relations internationales), la pasteur Claudette Marquet exprime dans une lettre1753 les raisons pour lesquelles elle souhaite continuer de parler de l’Afrique du Sud :

‘« Comme protestante réformée, je me sens solidaire de la grande famille réformée mondiale. Les accrocs faits au témoignage évangélique me posent question, d’où qu’ils viennent. Mais encore plus lorsqu’ils sont l’œuvre d’Eglises très proches de la mienne, c’est le cas des Eglises réformées néerlandaises d’Afrique du Sud. De plus, je sais que ce sont nos aïeux huguenots qui au XVIIème siècle sont partis en Afrique du Sud, préférant l’exil au reniement de leur foi. Je sais enfin que c’est un pasteur qui, il y a 40 ans, a fondé bibliquement la doctrine du développement séparé connue sous le nom d’apartheid. Je me sens donc en famille, ce qui donne la liberté de laver ensemble son linge sale. Alors je ne peux pas faire comme si je n’avais pas entendu les cris et les plaintes d’un peuple […] en butte à un autre peuple, les blancs sud-africains, chrétiens à 100% et protestant à 90%. N’y a-t-il pas en effet de quoi être déroutée en apprenant que ce sont des chrétiens qui s’affrontent là-bas ? Que de part et d’autre, on lit la Bible, on prie, on demande à Dieu sa force pour le triomphe de sa cause ? »’

Ce sentiment de responsabilité, cette culpabilité latente induisent ainsi plusieurs observateurs chrétiens à se poser la question de la nécessité d’une action et l’abandon d’un statut « confortable » de simple spectateur. Cette idée sera particulièrement développée par la réformée Anne-Marie Goguel.

Notes
1745.

Paul OLLIER, « L’Afrique du Sud à la croisée des chemins », Le christianisme au XXème siècle, n°11, 13 mars 1975, p. 5.

1746.

Voir chapitre I, 1.

1747.

Christian PITON, « La résistance à l’apartheid » (1971), op.cit., p. 8.

1748.

Noël CHRISTOL, « A propos de l’Afrique du Sud », Le christianisme au XXème siècle, n°19, 13 mai 1971, p. 16.

1749.

Ibid.

1750.

Daisy DE LUZE, « Afrique du Sud : la fin des certitudes », Réforme, n°1614, 28 février 1976, p. 4.

1751.

Paul OLLIER, « L’Afrique du Sud à la croisée des chemins » (1976), op.cit.

1752.

Ibid.

1753.

Il m’a été impossible de savoir quels ont été les destinataires de cette lettre et quelle en a été la diffusion au sein du protestantisme.