Le rejet de tout pharisaïsme par Anne-Marie Goguel

La réformée Anne-Marie Goguel, spécialiste de la question sud-africaine et membre du groupe CSEI intervient à de nombreuses reprises dans Réforme et Le christianisme au XXème siècle. Ses articles traitent tous de la perversion du système d’apartheid, de l’aggravation de la répression (particulièrement à partir du milieu des années 80) et des fondements religieux de l’apartheid…

Ainsi, dans un article du Christianisme au XXème siècle consacré notamment au combat des Eglises chrétiennes d’Afrique du Sud. Anne-Marie Goguel met en évidence la « co-responsabilité 1754   » commune aux chrétiens français et sud-africains, et surtout la nécessaire d’une action, au delà d’une condamnation passive :

‘« Notre tâche de chrétiens et de protestants aujourd’hui, c’est d’aller plus loin que la simple « condamnation morale » du racisme institutionnalisé de là-bas – qui risquerait fort d’être teintée de pharisaïsme -, il faut bien sûr appuyer toutes les pressions d’ordre économique et diplomatique venues de l’extérieur qui peuvent contribuer à créer les conditions d’un changement, mais il faut aussi nous mettre à l’écoute des chrétiens qui, là-bas, luttent par les armes de la non-violence, rester en communion avec eux par la prière et par l’échange, prendre conscience de notre propre « co-responsabilité » dans le maintien des structures injustes et trouver nous aussi et pour notre propre vie le chemin « d’un changement rapide, radical et pacifique vers une société fondée sur les voies du Christ » auquel appelait l’Institut Chrétien dans son « Manifeste » de 1974, qu n’a rien perdu de son actualité 1755».’

Si Anne-Marie Goguel défend la nécessité des pressions économiques et diplomatiques, sa prise de position ne se « limite » pas à une prise de position « temporelle ». Elle place sa réflexion sous un angle plus moral et spirituel. Le rejet d’une attitude pharisaïsme vis-à-vis de l’Afrique du Sud sera une notion récurrente chez Anne-Marie Goguel. Par la référence aux pharisiens, parti religieux caractérisé par un zèle très apparent et ostentatoire vis-à-vis du culte de Dieu et à un attachement à la lettre de la loi plus qu’en la justice et en l’amour de Dieu, Anne-Marie Goguel dénonce les manifestations hypocrites et l’obéissance stricte à des codes rituels qui ne seraient pas suivis d’actes pour la justice sociale. Autrement dit, et concernant la question sud-africaine plus particulièrement, il s’agit de dépasser le simple stade de la condamnation afin d’adopter des mesures en accord avec les principes évangéliques. Elle conclut sa réflexion par un passage du « Manifeste » de l’Institut chrétien qui prône une participation active des chrétiens pour un changement de la société.

Le même propos fait également l’objet d’un article à la même période dans Réforme :

‘« Mais il ne suffit pas d’applaudir aux « condamnations » et aux sanctions. Il pourrait y avoir là un singulier pharisaïsme de notre part, si, en même temps, nous n’étions attentifs aux voix prophétiques de ceux qui, Blancs et Noirs, sont en lutte contre l’apartheid […] 1756». ’

Anne-Marie Goguel réclame « qu’il nous soit donné, à nous aussi, de comprendre à temps par quelle conversion matérielle et spirituelle nous avons à passer pour pouvoir nous associer à l’acte de foi d’Alan Boesak 1757  », ce dernier réclamant une action des chrétiens contre l’inhumanité et la discrimination.

C’est l’image d’une Eglise « à la pointe même du combat civique 1758  » que la même Anne-Marie Goguel cherche à imposer dans un autre article quelques jours plus tard, la vision d’une Eglise « à la pointe » du combat social afin qu’elle garde sa crédibilité auprès des jeunes et des travailleurs. En juin 1987, alors que l’Afrique du Sud traverse une période de répression intense entraînant le bâillonnement de la plupart des opposants à l’apartheid, Anne-Marie Goguel continue à demander à ce que soit propagé en France le message de chrétiens sud-africains :

‘« Il nous faut nous garder de la tentation du « pharisaïsme » dans la condamnation du « racisme » des autres, et bien plutôt nous rendre attentifs aux voix des Sud-Africains et des Sud-Africaines, faire connaître leur témoignage autour de nous afin que leur combat ne soit pas défiguré et caricaturé, porter dans la prière et l’action solidaire ceux qui s’efforcent de préserver les chances d’un avenir « non racial » et aussi participer aux campagnes de pressions sur les compagnies françaises1759 engagées en Afrique du Sud1760 ».’

Encore une fois, Anne-Marie Goguel ne « fragmente » pas action d’ordre politique et implication chrétienne. Elle cherche à proposer aux lecteurs français le visage d’Eglises chrétiennes sud-africaines qui savent lier prière et action pour la justice sociale. Les « voix  prophétiques », qu’elles émanent de personnalités noires ou blanches, doivent être entendues.

Ne pas condamner aveuglément reste le leitmotiv de la réformée française qui est amenée à se questionner particulièrement sur l’attitude des Blancs sud-africains. Noël Christol avait déjà exprimée cette volonté de non-jugement dans un article du journal Le christianisme au XXème siècle, et ceci dès 1971 :

‘« Ceux qui ont édicté ces lois, les Blancs de là-bas, ils sont nos frères eux-aussi, des frères égarés, eux-mêmes victimes d’antiques conceptions, de tragiques préjugés. La lutte contre l’apartheid doit les libérer eux-aussi 1761».’

Si le propos de Noël Christol est ici teinté d’un jugement moral, il n’en est pas de même pour Anne-Marie Goguel qui réfléchit aussi à l’attitude à adopter vis-à-vis des réformés sud-africains blancs. Cette réflexion fait l’objet d’un article dans Réforme le 30 avril 1988 :

‘« Ce dont ont besoin nos frères afrikaners, comme toutes les autres composantes du peuple sud-africain, c’est de notre respect, de notre amour, de notre prière en même temps que d’un rejet ferme et intransigeant des forces de mort à l’œuvre parmi eux et qui emprisonnent encore beaucoup d’entre eux dans la spirale suicidaire de la répression et de la violence. Nous n’avons pas à nous comporter envers eux en « pharisiens » et en donneurs de leçons » mais en témoins du pouvoir libérateur de l’Evangile, tel qu’il est porté par le message prophétique d’hommes comme Beyers Naudé […]1762 ».’

Si Anne-Marie Goguel réclame une action concrète pour venir en aide au peuple noir, sa prise de position est teintée du principe spirituel et évangélique. Le chrétien doit ainsi agir au nom de sa foi, au nom de la solidarité envers des membres de la « famille » protestante, qu’ils soient noirs ou blancs. C’est le message libérateur et juste de l’Evangile qui doit être annoncé à tous, sans esprit de division et de condamnation.

Notes
1754.

Anne-Marie GOGUEL, « Editorial », Le christianisme au XXème siècle, n°30, 26 août 1985, première page.

1755.

Ibid.

1756.

Anne-Marie GOGUEL, « Au delà de la violence, le « saut de la foi » », Réforme, n°2105-2106, 17-24 août 1985, p. 4.

1757.

Ibid.

1758.

Anne-Marie GOGUEL, « Afrique du Sud : l’engagement non-violent de l’Eglise », Réforme, n°2108, 6 septembre 1985, p. 3.

1759.

Anne-Marie GOGUEL fait principalement référence à Total et à son implication avec l’Afrique du Sud. En effet, à la fin du mois de juin 1987, une campagne de sensibilisation des automobilistes partant en vacances à été organisée afin d’informer des liens économiques unissant la compagnie Total et l’Afrique du Sud.

1760.

Anne-Marie GOGUEL, « Femmes d’Afrique du Sud : victimes d’Afrique du Sud », Réforme, 27 juin 1987, p. 3.

1761.

Noël CHRISTOL, « A propos de l’Afrique du Sud » (1971), op.cit.

1762.

Anne-Marie GOGUEL, « Les Blancs, nos frères aussi », Réforme, n°2246, 30 avril 1988, p. 7.