1-3 Lorsqu’il s’agit pour l’Eglise réformée de prendre position dans le champ politique…

Une situation inconfortable

‘« Les chrétiens sont appelés à obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, même si cela implique la désobéissance aux autorités civiles, la résistance passive ou la violation des lois anti-chrétiennes, et même si les solutions qu’ils proposent sont impopulaires1771 ».’

Cette référence à Actes V,29 dans le Manifeste publié en 1974 par l’Institut chrétien (et repris par Anne-Marie Goguel) témoigne bien d’un engagement d’une partie des chrétiens sud-africains en faveur d’une désobéissance à un régime politique lorsque celui-ci est de nature tyrannique. Les moyens de contester un tel régime peuvent paraître comme étant « impopulaires » mais justifiés dans une telle situation. D’une manière globale et comme nous avons pu le voir tout au long de ce travail, les observateurs réformés français s’exprimant dans la presse et au sein des groupes mobilisés dans la CSEI ou à l’intérieur de la Cimade, témoignèrent de la légitimité d’une désobéissance face à un régime qui va à l’encontre des principes évangéliques. Cela ne fut cependant pas sans susciter un certain nombre de débats. En effet, l’étude de l’engagement d’un certain nombre de chrétiens dans une société en crise, même si cet engagement se manifesta dans un contexte politique autre que celui de la France, a entraîné des questionnements sur la place du chrétien dans le champ politique et social :

‘« L’attitude des chrétiens a été incertaine, tiraillée entre les habitudes séculaires de relations privilégiées avec l’ordre établi, et l’ordre impératif de l’Evangile de se tenir du côté des pauvres et des opprimés. Il aura fallu des atrocités répétées, des lois discriminatoires inacceptables, pour que l’indignation soulève les Eglises et que leurs autorités protestent de plus en plus fermement 1772».’

Daisy de Luze fait ici référence aux positions « inconfortables » et parfois floues des chrétiens sud-africains, partagés entre une tradition de positionnement « discret » dans la société et un impératif évangélique d’aide et de soutien aux pauvres et aux opprimés. Ces difficultés sont universelles et traversèrent (et traversent encore) les familles chrétiennes françaises.

Une autre difficulté spécifiquement française est mise en évidence par Ariane Bonzon dans Réforme en mars 1987 :

‘« Les « professionnels » du protestantisme, en particulier ceux du bureau de la Fédération protestante de France, lorsqu’ils font une déclaration pour l’Afrique du Sud, doivent naviguer entre deux écueils : ne pas risquer l’éclatement d’une fédération qui connaît actuellement un certain effacement des conflits confessionnels et ne pas perdre sa spécificité chrétienne en faisant des déclarations identiques à celles d’un parti politique ou d’une organisation humanitaire 1773».’

Jacques Stewart, président de la Fédération protestante à la fin des années 80, m’a confirmé cette difficulté. Par crainte de voir émerger des tensions entre les Eglises et groupes membres de la Fédération, les déclarations du conseil de la FPF furent relativement peu nombreuses. Lorsque la FPF se positionna, ce fut souvent en reproduisant des déclarations d’organismes internationaux comme le COE. Elle laissa sinon le soin au groupe racisme de la CSEI de travailler et de réfléchir à la question de l’apartheid et aux moyens d’actions possibles.

Notes
1771.

Anne-Marie GOGUEL, « Au delà de la violence, le saut dans la foi » (1985), op.cit.

1772.

Daisy DE LUZE, « la fin des certitudes », op.cit.

1773.

Ariane BONZON, « Les protestants et l’apartheid : en France, les clivages habituels », Réforme, 28 mars 1987, p. 7.