L’ambiguïté de l’aide du COE : la vision de l’ECAAL

Réforme consacre un article entier à l’implication du COE. Le titre et le sous-titre de l’article sont évocateurs : « L’aide du COE aux mouvements de libération, une déclaration ambiguë 1804  ». En guise d’introduction, Bertrand de Luze parle de la nécessité d’aborder le sujet avec précaution :

‘« J’espère que la publication d’une telle motion sera accompagnée d’une notice explicative, montrant dans quelles limites elle doit être comprises. Autrement, elle sera immédiatement utilisée par les partisans de l’apartheid et de la domination blanche. Ce n’est pas ce qu’a voulu le Consistoire supérieur ; mais c’est ce qui a beaucoup de chances d’arriver1805 ».’

La résolution en question, reproduite dans l’article, est celle adoptée par le consistoire supérieur de l’ECAAL (Eglise de la confession d’Augsburg d’Alsace et de Lorraine). Si le consistoire reconnaît bien que « le racisme est un péché contre Dieu et contre nos semblables » et « condamne à nouveau le principe et la pratique de l’apartheid en Afrique australe 1806  », il déplore le caractère ambigu de l’aide du COE. L’ECAAL demande au COE de « manifester plus clairement que toute violence est contraire à l’esprit de l’Evangile » et qu’il cesse « tout soutien unilatéral de caractère politique, de promouvoir au contraire les aides aux blessés, aux malades, aux affamés quels qu’ils soient et où qu’ils soient 1807».

Bertrand de LUZE (qui n’appartient pas à l’ECAAL) critique ces résolutions qui portent un coup important à l’action du PLR. Il déplore surtout qu’aucune explication précise ne soit donnée aux accusations portées contre le COE. Autrement dit, Bertrand de Luze s’interroge sur le sens des mots employés, particulièrement les mots « politique » et « unilatéral ». Pour le premier terme, Bertrand de Luze juge utile de rappeler les deux orientations majeures du programme, au travers du Département d’entraide des Eglises (qui prend en compte les critères humanitaires) et du Fonds spécial (qui aide financièrement les mouvements et organisations de lutte contre l’apartheid).

Si, comme le dit le secrétaire adjoint du COE Kontad Raiser, « toute aide à un poids politique 1808  », conception que semble partager Bertrand de Luze, ce dernier admet que « l’aide du Fonds spécial est obligatoirement plus politisée que celle du Département d’entraide 1809 […]. Mais est-ce possible de refuser une action parce qu’elle a un poids politique ?  1810 ». Il est évident que l’observateur réformé français répond par la négative à cette question. Il s’arrête également sur le sens du mot unilatéral :

‘« Que veut-on dire par là ? Si cela signifie que seules peuvent être aidées les actions non violentes, c’est en contradiction avec les idées exprimées au cours du débat ; si cela signifie que l’aide doit être donnée avec discernement, c’est une évidence1811 »’

Bertrand de Luze se plaint du manque de précision des termes employés dans la résolution. Il livre ainsi ses interrogations devant un texte qui condamne toute lutte contre le racisme tout en condamnant ce dernier :

‘« La logique n’est guère respectée ! Cette motion signifie en réalité que le COE doit aider tous ceux qui participent à la lutte anti-apartheid, sans distinction entre eux, qu’ils collaborent ou non avec les autorités en place1812 ».’

Pour clore son analyse, Bertrand de Luze déplore que la résolution ait été votée 5 minutes avant la clôture, « en remplacement d’un paragraphe positif qui demandait au COE d’accorder son aide uniquement à des projets de caractère humanitaire » :

‘« Il est dommage, et un peu triste, que nos Eglises acceptent encore de voter à la hâte des motions proposées au dernier moment, sans que les mots en aient été pesés ni les conséquences envisagées. Sur un tel sujet, c’est grave… 1813».’

Cet « épisode » témoigne du fait que les Eglises réunies au sein de la Fédération protestante réagirent de façon différente aux actions du COE et plus particulièrement aux aides financières accordées aux mouvements de libération. L’ECAAL se déclare ainsi en défaveur d’une mobilisation jugée comme trop « politique », exprimant implicitement une adhésion à une lutte au caractère idéologique marqué. La réaction de Bertrand de Luze témoigne de son adhésion (et plus globalement de celle de la rédaction de Réforme) aux actions du PLR, ces dernières étant considérées comme totalement légitimes car relevant d’une lutte contre le racisme et un système discriminatoire.

Le débat lancé par l’ECAAL fait encore l’objet d’un article dans Réforme en décembre 1978 1814 . L’article reproduit une lettre de Ph. Bieber, membre du Consistoire supérieur de l’ECAAL, et, comme il le dit, est « mis en cause comme « promoteur de la phrase 1815  »». Cette lettre lui permet d’exprimer le refus de l’ECAAL d’entrer dans des affaires d’ordre politique :

‘« Notre refus est celui d’entrer nous-mêmes dans la bataille (dans la « croisade ») qui à l’heure qu’il est ne se résume plus du tout à une lutte des noirs contre les blancs, mais tourne déjà en une effroyable mêlée concurrentielle des Noirs entre eux pour la conquête des futurs pouvoirs avec comme arrière fond les Russes et les Cubains qui attendent leur moment d’arbitrer1816 ».’

La question du communisme est donc centrale dans la « répulsion » de l’ECAAL vis-à-vis de l’aide apportée par le COE. Ph. Bieber évoque aussi le fait que le Programme de lutte contre le Racisme vient en aide à des programmes mis en place par des mouvements de libération et peut refuser d’apporter son aide financière à des programmes d’Eglises. C’est en cela qu’il estime que de tels choix relèvent du domaine politique1817.

Notes
1804.

Bertrand de LUZE, « L’aide du COE aux mouvements de libération, une déclaration ambiguë », Réforme, n°1757, 25 novembre 1978, p. 3.

1805.

Ibid.

1806.

Ibid.

1807.

Ibid.

1808.

Ibid.

1809.

En effet, selon la résolution, « le fonds spécial a une action plus politisée que celle du Département d’entraide puisqu’il prend nettement parti en luttant contre l’apartheid. Ainsi, en juillet 1978, il a fait parvenir un don de 85 000 dollars US au Front patriotique du Zimbabwe et a refusé d’aider les mouvements de l’évêque Muroewa et du pasteur Sithole, qui ont choisi de collaborer avec le gouvernement Smith » in « Une déclaration ambiguë », op.cit.

1810.

Ibid.

1811.

Ibid.

1812.

Ibid.

1813.

Ibid.

1814.

Bertrand de LUZE, « le COE et l’aide aux mouvements de libération : un témoignage impossible ? », Réforme, 9 décembre 1978.

1815.

Il s’agit de la phrase contenant les idées de soutien politique et au caractère unilatéral.

1816.

Ibid.

1817.

Rappelant les faits, Bertrand de Luze parle du refus du PLR d’aider le programme humanitaire du pasteur Sithole et de l’évêque Murozewa qui, avant l’indépendance du pays, acceptèrent le règlement interne proposé par Ian Smith, soit une participation au gouvernement. Le COE estima que seul le Front patriotique menait une lutte pour la libération des Rhodésiens…