2-4 Des positions spécifiques face au Programme de Lutte contre le Racisme

Les archives de la Fédération protestante de France conservent plusieurs lettres échangées entre différents membres du bureau de la FPF et du COE.

La première lettre date du 30 juin 1971, soit quelques mois après la création du PLR. Elle est signée par Baldwin Sjollema, alors directeur du Programme. Le destinataire en est Albert Nicolas, secrétaire de la commission d’entraide de la FPF. Ce dernier, alors que le Comité anti-apartheid a contacté le Programme pour obtenir des fonds, veut s’assurer du soutien de la FPF au Comité. La réponse, quelques jours plus tard, affirme le soutien du Conseil de la FPF aux travaux du Comité.

Cet échange conduit à plusieurs conclusions :

Une autre série de lettres apporte davantage de renseignements sur les positionnements de certaines Eglises membres de la FPF. En effet, le 19 octobre 1970, le pasteur Nicolas adresse une lettre aux membres de la Commission d’Entraide de la Fédération Protestante de France. L’objet de la lettre est le suivant :

‘« Je souhaite avoir la réaction des membres de la Commission d’Entraide à cause d’un débat auquel je suis mêlé personnellement comme Vice-président du Comité de la Division d’Entraide du COE, mais ceci sur une question qui déborde largement cette responsabilité ».’

La lettre vient en réaction aux « remous provoqués par la décision du Comité exécutif du COE, réuni en Allemagne en septembre 1970, et qui a décidé d’affecter 200 000$ à différents organismes engagés dans la lutte contre le racisme, à la suite de la décision générale du Comité central du COE de Canterbury en août 1969 ». Le pasteur Nicolas demande ainsi aux Eglises membres de se pencher sur une question essentielle :

‘« Le Conseil œcuménique peut-il soutenir financièrement des mouvements ou des organisations, chrétiennes ou non, dont le but est de lutter contre l’oppression raciale, par tous les moyens ? Ou bien le Conseil œcuménique ne doit-il soutenir que des mouvements excluant l’usage des armes ? ».’

Le but est de réfléchir aux moyens d’actions possibles et à la façon dont le sujet peut être traité au sein des Eglises françaises, le pasteur Nicolas se proposant ensuite de transmettre le fruit de la réflexion au directeur de la Division d’Entraide du Conseil œcuménique.

Plusieurs des Eglises membres répondent à la lettre du pasteur Nicolas. Il me semble intéressant de faire un tableau succinct de quelques-unes des Eglises membres. Ainsi, le 22 octobre 1970, le président de l’Eglise évangélique luthérienne de France répond à la question de la façon suivante :

‘« Je pense, en tout état de cause, qu’il est impensable que des fonds réunis par les Eglises chrétiennes puissent être utilisés de quelque manière que ce soit pour soutenir des actions fondées sur la violence. Je suis bien persuadé de la grande difficulté qu’il y a distinguer entre les entreprises et les mouvements qui se préoccupent de la lutte contre le racisme quant aux méthodes qu’ils utilisent mais il m’apparaît que cette règle devrait être le fondement même de toute distinction ».’

Les diaconesses de Strasbourg réagissent également sans véritablement répondre à la question : s’il est impensable que l’argent provenant des Eglises puisse servir à l’achat d’armes, il faut se demander si les mouvements utilisant la violence ont d’autres choix…

Le pasteur Crapoulet, directeur de la Mission populaire évangélique de France, réagit par contre sans demi-mesure à la circulaire :

‘« A l’unanimité de ses 22 membres notre Comité a approuvé l’initiative du Conseil œcuménique en faveur des mouvements antiracistes […]. Chaque fois que dans l’Eglise on entre activement dans les combats pour la paix, la justice et la liberté, il y a toujours des risques à courir, en particulier le risque de se compromettre avec des organismes dont on ne peut prétendre assurer le contrôle. Nous voyons les Eglises et les chrétiens se salir tellement les mains en acceptant l’inacceptable : racisme, justice sociale, guerres impériales, régimes d’oppression… qu’il ne faut pas trop faire la fine bouche lorsqu’elles se compromettent dans l’autre sens, ce qui est plus rare ».’

Dans la même lignée, la Cimade défend un engagement clair dans sa réponse datée du 22 octobre 1970 :

‘« J’estime que nous participons tous à un monde de violence et que vouloir échapper à ce monde de violence en y introduisant les distinguos subtiles que trop souvent les Eglises ont faits, n’est en définitive qu’une hypocrisie ou un alibi pour refuser un engagement clair. En effet, je ne vois pas de différence fondamentale entre fournir des armes à des combattants dans le cadre d’une lutte de libération au Vietnam ou en Afrique, ou fournir du matériel médical et sanitaire pour soigner des combattants blessés et donc les remettre en état de reprendre les armes… ».’

La distinction entre aide aux mouvements de libération et aide aux organisations à but humanitaire n’est ainsi pas faite au sein de la Cimade, cette dernière estimant que les deux se confondent… Cette position n’est pas étonnante lorsque l’on sait que la Cimade, en son propre nom, est venue en aide de manière régulière aux programmes de la SWAPO notamment1838.

L’Eglise réformée plus particulièrement, a apporté son soutien au Programme de Lutte contre le Racisme. La presse réformée s’est globalement faite l’écho de ce soutien. Il est également exprimé dans une lettre datée du 5 juillet 1973 adressée à Baldwin Sjollema du PLR. Tout en précisant que la FPF est une Fédération d’Eglises, Jean Courvoisier exprime l’adhésion spécifique de l’Eglise réformée au Programme de la manière suivante :

‘« Nous savons que vous souhaiteriez une approbation sous forme plus officielle de votre programme venant de la Fédération Protestante de France. Je me permets de vous rappeler que la FPF groupe des Eglises qui ne sont pas toutes membres du COE. C’est à chacune des quatre Eglises membres qu’il faudrait donc vous adresser pour cette approbation officielle. Vous avez déjà cette approbation de la part de l’ERF. Il ne vous serait sans doute pas difficile de l’obtenir d’autres Eglises également ».’

Jean Courvoisier ne fait aucune distinction, dans sa lettre, aux dons accordés aux mouvements de libération, ou ceux plus spécifiques accordés aux programmes humanitaires. Même si, comme nous avons pu le voir dans la presse, la distinction fut souvent faite dans la presse réformée, une nouvelle affirmation d’une frontière floue existant entre aide aux mouvements de libération et aide humanitaire est établie dans Réforme en juin 1986 :

‘« L’ERF par exemple a contribué au fonds spécial de lutte contre le racisme (dons affectés) du COE. Le COE accorde également une aide à l’ANC, organisation anti-apartheid interdite. Ces aides sont attribuées selon des règles très strictes et ne « peuvent servir que des causes humanitaires ». Mais ne nous leurrons pas, ces soutiens ont « évidemment des conséquences politiques, puisque le but de ces mouvements est bien la libération politique1839 ».’

Les dirigeants réformés français, dans leur ensemble, n’ont donc pas vu d’un œil particulièrement critique les activités du COE effectuées dans le cadre du PLR. Ils ont ainsi été conscients que la mobilisation exprimée, même si elle ne devait servir que des causes humanitaires, était aussi d’ordre politique puisqu’elle impliquait une position claire vis-à-vis des actions et de l’idéologie exprimés au sein de mouvements oeuvrant pour la libération. En effet, s’il a toujours été précisé que les fonds recueillis ne devaient pas servir à financer des achats d’armes, mais des projets de type éducatif et humanitaire, il était évident que l’aspect moral d’un tel soutien débordait sa portée matérielle. Il n’était ainsi pas évident que tous les réformés comprennent que lorsque le Fonds venait en aide à l’ANC, se n’était pas pour financer la lutte armée mais bien ses projets humanitaires et son travail d’information en direction de l’opinion internationale. L’existence d’un tel programme et les questionnements concernant la destination des fonds recueillis poussa les réformés à se questionner sur l’aide à apporter à l’Afrique du Sud et plus globalement, sur le regard à poser sur la légitimité du recours à la violence. Les débats portèrent ainsi sur les relations que l’Eglise réformée entretient avec le COE et son Programme de Lutte contre le Racisme. D’autres questionnements sur ces relations vont faire surface à une autre occasion, alors qu’il s’agit de commémorer le 10ème anniversaire des émeutes de Soweto, en juin 1986.

Notes
1838.

Voir chapitre V, 2.

1839.

Ariane BONZON, « Les protestants français et l’apartheid : une épine dans le pied ? », Réforme, 21 juin 1986, p. 3.