3-3 Après la commémoration…

Il m’a été difficile de savoir quel fut l’effet de la journée de commémoration chez les fidèles réformés. En effet, comment savoir si ces derniers furent sensibles à la cause sud-africaine, particulièrement en cette journée du 15 juin 1986 ? Cependant, une lettre d’Anne-Marie Goguel donne une indication de l’adhésion des fidèles. En effet, dans cette lettre du 9 septembre adressée au pasteur Michel Wagner, Anne-Marie Goguel informe des fonds recueillis par le DEFAP et la Cimade en direction des Eglises d’Afrique du Sud (par l’intermédiaire du SACC) dans leur effort pour venir en aide aux familles des emprisonnés : 19 440 Frs par le DEFAP et « nettement plus pour la Cimade 1850  »(le montant n’est alors pas connu d’Anne-Marie Goguel). La lettre nous donne plus d’informations sur l’adhésion des pasteurs à la journée de commémoration. La présentation de la situation est plutôt claire et sans nuances :

‘« Des paroisses ont organisé des réunions d’informations ; d’autres des débats ; à Lyon (peut-être ailleurs ?) il y a eu un culte œcuménique ; mais il y aussi des cas ou des pasteurs se disant « de gauche » avec des paroissiens « de droite » ont mis au panier tout l’envoi en pensant que « cela ne passerait jamais 1851».’

La commémoration passée, Anne-Marie Goguel estime nécessaire d’informer les paroissiens du montant recueilli pour l’occasion et surtout de ce qu’est le « comité de soutien aux familles des détenus ». Un effort d’information doit également être fait sur un autre point :

‘« Informer sur la situation présente en Afrique du Sud en mettant l’accent sur les 300 prêtres et pasteurs emprisonnés, et en montrant bien la dimension « Eglise » de tout ce qui se produit là-bas, y compris le problème des divisions et de ce qui rassemble malgré tout ; et montrer que l’Afrique du Sud n’est pas seulement « une charge » à ajouter à mille autres « soucis » mais un lieu de témoignage prophétique dont nous avons de grands bénéfices spirituels à recueillir dans nos présents désarrois1852 ».’

La journée de commémoration et ses suites doivent donc donner l’occasion aux pasteurs et membres actifs du protestantisme de prendre conscience de l’ampleur de la question sud-africaine, cette dernière devant susciter un vrai questionnement sur le rôle que les Eglises doivent jouer dans la société.

En conclusion de la lettre destinée au pasteur Wagner, Anne-Marie Goguel laisse apparaître sa déception face à une mobilisation des réformés français qu’elle juge insuffisante. A partir de cette constatation, Anne-Marie Goguel comprend qu’une mobilisation plus « axée » en faveur du boycott de Total serait plus que délicate. Elle exprime sa pensée d’une manière directe et percutante :

‘« Autre problème : la campagne de boycott de l’essence Total qui va être lancée dans quelques mois par le mouvement anti-apartheid en raison de la présence de Total en Afrique du Sud et de la fourniture d’essence à l’armée et à la police. Il nous semble – à notre grand regret qu’on ne peut demander à la Fédération protestante de s’engager comme telle à soutenir ce boycott étant donné la difficulté qu’il y a eu à mobiliser réellement les membres des paroisses pour quelque chose d’aussi peu « politique » qu’un jeûne, une prière, une action de solidarité financière ; mais peut-être est-ce un manque d’audace ? Qu’en pensez-vous ? En tous cas, la question devrait être mûrement réfléchie, et le travail d’information activement poursuivi avant de lancer des mots d’ordre qui risqueraient tragiquement de rester en l’air. Voilà ; nous sommes des tièdes, mais heureusement, même pour les tièdes, l’invitation au réveil et à l’accueil de l’Etranger qui frappe à la porte subsiste ! 1853».’

La campagne de boycott contre Total fut en effet difficile à mener au sein de la Fédération protestante. Anne-Marie Goguel, partisane d’une implication de l’Eglise réformée (au moins) dans une sphère plus large que celle strictement religieuse se rend ainsi compte, lors de cette journée de commémoration, que les réformés, peu réceptifs au message exprimé ce jour là, ne sont sans doute pas prêts à adhérer à un boycott qui les poussera à se positionner politiquement et économiquement.

La commémoration des émeutes de Soweto révéla ainsi divergences et questionnements concernant la mobilisation à exprimer à cette occasion. L’année 86 marqua en quelque sorte un « pic » concernant l’expression de tendances divergentes au sein de la Fédération, ces divergences touchant principalement à différentes conceptions concernant l’engagement de la FPF dans la société et dans le monde. Par l’intermédiaire d’une personnalité réformée majeure, une contestation apparut et s’exprima notamment au sein de l’ACFA (Amis français des communautés sud-africaines) en 1980.

Notes
1850.

Lettre d’Anne-Marie Goguel au pasteur Wagner, 9 septembre 1986.

1851.

Ibid.

1852.

Ibid.

1853.

Ibid.