Une question avant un repli frileux des institutions religieuses ?

Si l’Afrique du Sud et l’apartheid ne furent pas au premier plan des préoccupations françaises, son appréhension en tant qu’objet de militance a permis de mettre en évidence différents types d’engagements. Concernant l’Afrique du Sud, on peut alors parler d’engagement de solidarité vis-à-vis de population opprimées et exploitées et, dans une moindre mesure, d’engagement de conscience puisque les chrétiens s’insurgèrent aussi au nom de l’Evangile contre un système lui-même basé sur des fondements religieux. Si les effets de la mobilisation furent assez restreints, l’existence de « micro-groupes » a témoigné de la possibilité, au sein des structures religieuses, d’exprimer des positions progressistes concernant l’implication des Eglises dans le champ politique et social et, dans une moins grande mesure, de mettre l’accent sur une certaine apathie de la masse des fidèles. Ces faits se situent au début d’un processus plus global que connaît l’Eglise catholique depuis la disparition de « modèles mobilisateurs » comme ont pu l’être les guerres coloniales (Indochine, Algérie…). Concernant la « baisse d’influence » des chrétiens de gauche dans la société actuelle, Henri Tincq déplore la chose suivante : «L époque est au repli frileux et à la défense des intérêts des intérêts particuliers. Ces catholiques qui veulent changer leur Eglise sont devenus impuissants face à ce que les philosophes appellent la « privatisation » ou la désinstitutionnalisation de la foi 1959  ».

Paul Valadier, dans entretien accordé au quotidien La Croix, aborde la question des droits de l’homme qui a cessé de mobiliser les catholiques dans une société sécularisée: « L’engagement des catholiques en faveur des droits de l’homme n’est jamais acquis, ne serait-ce que par l’histoire de ces droits qui n’est jamais finie. Aujourd’hui, je crois que l’Eglise vit une période de repli. Il y a une sorte de retour vers un « religieux » pur et pour certains catholiques, le sujet devient secondaire. Par ailleurs, les autorités ecclésiales, qui exaltent plus que tout ces droits de l’homme, ne les respectent pas toujours à l’intérieur de l’Eglise 1960  ». L’engagement de l’Eglise est donc à l’image de ce que vivent les sociétés industrialisées actuelles marquées par un repli sur soi et la primauté de la conscience individuelle de chrétiens qui, lorsqu’ils s’engagent, le vivront davantage comme une expérience subjective, ne suivant plus les enseignements d’une Eglise qui ne parvient plus à mener son projet d’encadrement de la société.

D’autre part, une grande partie de la période prise en compte dans cette thèse a été celle qui a vu la disparition partielle d’une génération de militants chrétiens politisés qui, après s’être mobilisée avec vigueur autour des combats pour la décolonisation par exemple, se trouve vieillissante et surtout sans héritier. Les actions collectives tendent également à disparaître alors qu’émergent les groupes charismatiques (qui importent au sein du catholicisme le modèle du réveil pentecôtiste apparu aux Etats-Unis au début du XIXème siècle), nés de la volonté de différenciation à l’intérieur d’une Eglise jugée comme trop intellectuelle, politisée et versant trop dans l’action sociale.

De plus, les chrétiens se trouvent à la fin d’un cycle de militantisme correspondant à la fin de certaines utopies politiques dont l’une d’elles s’incarnait dans le communisme. Tous ces facteurs n’ont pu que contribuer à la place discrète qui fut laissée à l’Afrique du Sud dans la deuxième moitié du XXème siècle.

L’Afrique du Sud, terrain étranger pour des chrétiens français si éloignés des réalités de l’apartheid et de la théologie élaborée dans un contexte de lutte et d’oppression propre au terrain sud-africain. L’Afrique du Sud est ainsi, peut-être, la preuve de la difficulté intellectuelle, sensible, psychologique de se « projeter » dans la réalité de l’autre.

Aujourd’hui, le terrain sud-africain reste toujours aussi lointain, par ses réalités politique, économique et social. Des spécialistes de diverses disciplines continuent à porter leur regard sur la société post-apartheid, attirés par cette « efflorescence de vie 1961» après un demi siècle de régime d’apartheid. Les Sud-Africains continuent cependant de vivre dans un contexte de mort et de crise : agressions, délinquance, criminalité, trafics… Si les médias informent de ces difficultés, rares sont ceux qui évoquent les racines de ces fléaux, fruits de l’ancien système ségrégationniste.

Face à l’un de ces fléaux, le Sida1962, des Eglises sont présentes sur le terrain, actives, dans la prévention comme dans le soin apporté aux malades. Qu’en savent les chrétiens français ? Sur ce terrain aujourd’hui touché par l’épidémie, les Eglises français pourraient s’inspirer du message de certaines Eglises sud-africaines et de structures évoquées dans l’introduction de ce mémoire (PACSA, Diakonia) qui se trouvent aujourd’hui confrontées à de nouveaux enjeux. Mais là encore, la réalité et l’ampleur du Sida en Afrique du Sud ne sont pas les mêmes que celles vécues en France. Le « nous » et le « eux » évoqué par André Brink dans une saison blanche et sèche 1963 demeure.

Notes
1959.

Henri TINCQ, Les catholiques, Pars, Grasset, 2008, 372 p.

1960.

Paul VALADIER, « l’engagement concret des chrétiens rend crédible le discours de l’Eglise », La Croix, 7 décembre 2008.

1961.

Xavier FAUVELLE-AYMAR, Histoire de l’Afrique du Sud, op.cit., p. 419.

1962.

Entre 1990 et 2004, le pays a connu les plus forts taux de croissance de l’épidémie. En 2004, il touchait environ 6 millions de Sud-Africains (sur une population totale d’environ 50 millions).

1963.

André BRINK, Une saison blanche et sèche, op.cit.