c. L’éventualité de Manille

Un an après la fermeture du Collège général, le procureur des Missions Étrangères à Macao, Claude Letondal26, commença à militer sans relâche en faveur de sa réouverture, convaincu de son utilité. Ses fonctions de procureur lui permettaient d’avoir une vue d’ensemble, n’étant pas attaché à une mission en particulier, dont il eût défendu les intérêts. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles sa volonté de rétablir un Collège général n’était pas unanimement partagée. Plusieurs vicaires apostoliques jugeaient, au contraire, cette institution trop dispendieuse et même superflue. Le voyage des élèves loin de leur mission d’origine et leur entretien durant le temps des études coûtaient cher. De plus, les missions avaient leurs propres séminaires, qui suffisaient à la formation du clergé local. De tels arguments furent régulièrement repris, tout au long de l’histoire du Collège général, par ses détracteurs. Cependant, à cause des persécutions religieuses anti-chrétiennes, il arrivait que les vicaires apostoliques dussent déplacer leurs écoles ; à qui confier, en ce cas, les élèves ? C’est pourquoi Claude Letondal reçut le soutien de vicaires apostoliques qui avaient dû, comme Jacques Longer27 (évêque de Gortyne), au Tonkin, fermer momentanément leurs séminaires locaux. Il importait donc d’établir le nouveau Collège général dans une région sûre. Depuis le début du XVIIIe siècle, dès les premières tribulations siamoises, l’éventualité de Manille avait été considérée sous un jour favorable. Sous contrôle espagnol, Manille était catholique. Claude Letondal s’y rendit par deux fois, pour sonder les intentions des autorités espagnoles mais aussi, en 1798, pour glaner l’aide financière dont la Révolution, en France, venait de priver les missions. Il ne tint aucun compte de l’opinion adverse qu’avait exprimée le coadjuteur du vicaire apostolique du Sichuan28, Mgr de Saint-Martin29 (évêque de Caradre) :

‘Chassé de Chine, il se trouvait à Manille en 1786, et voyait de plus près et plus exactement les choses, exposa en une longue lettre les motifs propres à faire abandonner ce dessein : dépenses considérables, antipathie des Espagnols pour les Français, dangers pour la moralité des écoliers, obligation des études à l’université, difficulté des relations avec la Chine30. ’

Mais il fallait, pour rouvrir le Collège général à Manille, obtenir l’assentiment du roi d’Espagne. En 1802, alors qu’il se trouvait à Mexico, Letondal écrivit au nonce apostolique à Madrid, afin qu’il appuyât les démarches entreprises auprès de Charles IV :

‘Nous avions deux collèges dans le royaume du Tonkin et un autre existait dans la Cochinchine septentrionale soumise au prince moteur de la dernière persécution. Nous désirerions ramasser les débris de ces collèges, réunir les élèves qui les composaient et les envoyer à Manille pour y finir tranquillement leurs études. Si nous obtenions ce petit établissement, dans peu d’années, on pourrait obtenir la permission pour un collège général que nous sollicitions autrefois. L’édification que ne manquera pas de donner le petit séminaire des Tonkinois rendra la ville favorable à l’établissement d’un séminaire plus considérable31. ’

Le cardinal Borgia, préfet de la Propaganda Fide, émit les plus sérieuses réserves sur l’issue des négociations qu’à la demande des Missions Étrangères, il avait engagées avec Madrid au sujet de l’installation du Collège à Manille. Sans désemparer pour autant, Claude Letondal demandait au gouvernement de Manille l’autorisation d’ouvrir « un hospice pour une quarantaine des étudiants les plus avancés qui sont dans nos petits collèges des missions. » Le 24 décembre 1805, le gouverneur de Manille fit prendre copie des délibérations et les adressa à la Cour d’Espagne, assorties d’un avis favorable. Mais la résolution ultime ne pouvait venir que de Madrid. En 1807, la cour d’Espagne ne s’était toujours pas prononcée. Face aux lenteurs de l’administration espagnole, d’autres possibilités avaient été recherchées et l’on avait suggéré d’implanter le Collège général dans une possession récente de la couronne britannique : l’île de Penang.

Notes
26.

À partir de Claude Letondal, et pour tous les missionnaires ayant enseigné au Collège général de Penang.

27.

Jacques Longer, 1752-1831.

28.

On trouve, dans les correspondances, le nom de cette région orthographié de plusieurs façons : Setchuan, Set-Chuan, Se Tchoan. J’ai opté pour l’orthographe en usage actuellement dans les ouvrages sur la Chine.

29.

Jean de Saint-Martin, 1743-1801.

30.

A. Launay, op cit.

31.

Vol. 339, C. Letondal, 1802.