c. Repli : les années de guerre et l’occupation japonaise de Penang

Les directeurs du Collège étaient-ils informés de tous les événements qui, entre les deux guerres, bouleversaient le monde en général et l’Asie en particulier282 ? Probablement. Ils lisaient la presse locale, écoutaient la radio. De plus, par les publications internes des Missions Étrangères, des comptes rendus détaillés de l’actualité circulaient, nourris de témoignages en provenance des missions283. Or, il est frappant de constater que ni les correspondances ni les procès-verbaux du Conseil, ne font allusion à la situation internationale, en tous cas jusqu’à l’occupation de la Malaisie. Au dernier trimestre de 1931, alors que le Japon envahit la Mandchourie, le Conseil s’interroge sur la division de l’année scolaire, envisage la construction de maisons pour les domestiques mariés du Collège. En 1933, année particulièrement funeste en Europe, les procès-verbaux se bornent à évoquer la promulgation solennelle du nouveau règlement du Collège, en présence du Délégué apostolique d’Indochine, Mgr Dreyer. En septembre 1937, pendant que les Japonais, qui ont occupé Pékin en août, prennent le contrôle des côtes chinoises, ruinant concomitamment leurs relations diplomatiques avec les Américains, le Conseil « prend note de l’installation des cabinets à chasse d’eau pour les élèves à Mariophile. » En 1939, enfin, nulle allusion à l’invasion de la Pologne. Le 25 septembre, le Conseil, « considère l’opportunité de changer le manuel de philosophie. » Le choix du nouvel auteur, Bayer, est mis aux voix et approuvé. Il ne reste plus qu’à obtenir l’autorisation de la Propagande. Les nouvelles d’Europe arrivent pourtant bien, puisque le 20 février de cette même année, le Conseil, « prend note de la fin du Souverain Pontife Pie XI le 9 février. Au reçu de cette nouvelle le Collège a fait sien le deuil de l’Église. » La communauté se réunit aussitôt à l’église pour prier, les classes sont interrompues. Le 6 mars suivant, « le conseil se réjouit de l’élection du pape Pie XII et décide d’accorder un jour de repos à la communauté le lundi 13 mars. » On ne pouvait ignorer, à Penang, ce qui se passait dans le reste du monde. Or, nous avons déjà constaté le peu de place occupé, dans les correspondances, par les questions politiques ou militaires, par exemple pendant la Première guerre mondiale. Serait-ce un déni de la réalité ? N’est-ce pas plutôt que les Pères jugeaient peu souhaitable de mêler les affaires extérieures et celles touchant au gouvernement du Collège. Il y aurait peut-être aussi une autre explication. Les Pères, qui eux-mêmes surveillaient le contenu de la correspondance des élèves, craignant qu’on en usât ainsi avec leur propre courrier, se seraient en quelque sorte imposé un prudent devoir de réserve. D’ailleurs, les règlements et les instructions insistaient fréquemment sur la discrétion que chacun se devait d’observer vis-à-vis du monde extérieur284. Au commencement de la guerre, Mgr Devals, évêque de Malaisie depuis 1934, écrivit à ses missionnaires : « N’oubliez pas que nous ne sommes pas des politiciens mais des missionnaires : nous ne travaillons pas pour une nation ou une autre, mais pour le Roi du ciel. » Par chance, j’ai retrouvé à Penang, en 2006, un document inédit extrêmement intéressant : c’est un journal, tenu entre 1938 et 1945 par l’un des directeurs du Collège. Ce document, où se côtoient descriptions d’événements majeurs et récits de la vie quotidienne, fourmille d’informations285. Sur la période de l’avant-guerre, je retiendrai seulement l’entente secrète, conclue en septembre 1938 entre le Collège et le gouvernement britannique de l’île, qui permettait à ce dernier de « faire les installations provisoires que la défense de l’île rendraient nécessaire »,sur le terrain de Mariophile, situé au bord de la mer. Le journal apporte de nombreuses précisions au sujet des opérations militaires du début de la guerre, dont on suit le déroulement jour après jour. Le 3 septembre 1939 : « Déclaration de guerre. Personne ne bouge tant que les ordres n’arrivent pas. » Les contacts avec la France deviennent rares, la poste fonctionnant de plus en plus mal. Mais les missionnaires ont déjà, si l’on en croit cette lettre, clairement choisi leur camp :

‘J’ai reçu des lettres plus récentes du 8 décembre datées de Paris. Elles sont rendues presque illisibles par la censure allemande. Mais j’ai quand même compris ce que le P. Robert voulait dire, car les boches ont mal fait les coupures. Cela se résume à ceci : en France on manque de tout, principalement de nourriture. L’Allemagne souffre terriblement des raids de la RAF. On espère de plus en plus dans la victoire anglaise. On doit commencer à faire à Hongkong des émissions françaises de radio. Le comité a comme Chairman le P. Vircondelet, car les Anglais ont tenu à ce qu’un français soit à la tête. Dès que je saurai les heures de ces émissions et l’onde je vous aviserai. Le Père me dit encore que le gouvernement lui passe souvent des documents intéressants à distribuer à titre de propagande. Le chef d’État Major va quelquefois dîner à la Procure. Il termine sa lettre par ces lignes : Vous voyez que nous ne sommes pas de ceux qui n’ont pas confiance en la victoire anglaise. Qu’est-ce que nous deviendrions si jamais Hitler était vainqueur286 ? ’

Rien ne se passe encore en Malaisie et les seules conséquences immédiates de la guerre concernent les élèves chinois, qui ne peuvent rentrer dans leur mission, occupée par les Japonais. Entre septembre 1939 et décembre 1941, Penang connaît sa « Drôle de guerre » et l’on commence des préparatifs de défense passive contre les bombardements, « la situation semblant devenir dangereuse pour la Malaisie. » Des travaux sont entrepris à Mariophile, sous la conduite du supérieur. Le Père Rouhan, docteur en théologie, qui s’est battu pendant trois ans, entre 1915 et 1918, avec le grade de sous-lieutenant, dirige lui-même la manœuvre. Une sorte de tranchée est creusée, et des abris cimentés sous de gros rochers, élèves et missionnaires mettant la main à la pâte. Mais on ne sait toujours pas à quoi s’en tenir :

‘Il ne faut pas s’en faire avec la menace des Japs, moi je reste bien tranquille, et je ne pense pas que jamais le Japon se lance contre la Malaisie, surtout contre Singapore. Comme l’Italie sera probablement à bout dans quelques semaines, les Japs réfléchiront et jureront qu’ils n’ont jamais eu l’intention qu’on leur prête. Les précautions qu’on prend, on fait bien de les prendre. Si vis pacem para bellum. C’est de plus en plus vrai287.’

Malheureusement, la réalité fut bien différente. Le Conseil décida, à tout hasard, que le Collège se replierait à Mariophile, où les élèves s’apprêtaient à passer les vacances de Noël :

‘Au 15 octobre 1941, le nombre de nos élèves était de 64, appartenant à douze missions. Craignant que les hostilités qui ravageaient déjà l’Europe et qui apparaissaient de plus en plus menaçantes en Extrême-Orient ne viennent empêcher le départ des élèves proches de la fin de leurs études, nous embarquons ceux de Birmanie. Mgr Devals vient faire des ordinations, les examens oraux de fin d’année ont lieu le 4 décembre, avancés en raison des circonstances et le 5 décembre la communauté va prendre ses vacances à Mariophile288. ’

Parallèlement, les autorités britanniques ont entrepris de fortifier l’île, érigeant la « Penang Fortress », car elles redoutent un débarquement venant de Thaïlande. L’approvisionnement alimentaire siamois est coupé et le cours du riz s’envole, conséquence douloureuse de la dépendance économique invétérée de l’île. L’année 1940 se passe en préparatifs défensifs, alors que la guerre fait rage ailleurs. À la fin de l’année 1941, la menace se précise : l’Angleterre envoie des troupes indiennes en renfort à la frontière Thaï. À Penang, l’état d’urgence est déclaré le 5 décembre. Deux jours plus tard, on entend les premiers coups de canon, et le 8 décembre, « au début de la messe de communauté on entend le raid aérien japonais. Nous nous disons, cette fois c’est pour de bon. On gagne les abris. À partir de ce jour, black-out tous les soirs. » Le même jour, l’aviation japonaise anéantissait l’escadre américaine de Pearl Harbour. La vie continue ; on se rassemble pour voir entre amis les traditionnels combats de chiens, tandis que se déroulent, au dessus des têtes, des duels aériens entre chasseurs anglais et japonais. À Mariophile, une équipe « contra incendium » est constituée : même en pleine guerre, on maintient l’usage du latin ! Le 11 décembre, l’auteur du journal écrit : « Journée noire pour la Malaisie. Désastre naval anglais sur la côte Est (le Prince of Walles et le Repulse coulés). » Ces deux bâtiments de la flotte britannique avaient bien été lancés au-devant des Japonais, dont les troupes débarquaient simultanément à Hong-Kong, au Siam (à Singora) aux Philippines et en Malaisie, sur les plages de Kota Bahru : le 9 décembre, ils étaient envoyés par le fond au large des côtes du Pahang289. À partir de ce moment là, la succession des événements s’accélère, car la poussée japonaise est irrésistible. Georgetown est déclarée ville ouverte le 16 décembre par les Anglais, qui évacuent l’île de Penang, sous les tirs meurtriers et aveugles de la chasse japonaise. Les images de ces quelques jours ne sont que trop familières, hélas ! Les Anglais, en partant, détruisent leurs installations, de nombreux civils sont tués : « Vers 11h 20, une forte formation aérienne japonaise bombarde le quartier de Chulia Street. Beaucoup de tués, dont le boy et le jardinier du P. Jouhart, dans le car de ce dernier, qui est carbonisé. 2 chrétiens aussi sont tués. » Tandis que la population s’enfuit vers les campagnes, en ville, le pillage commence : d’abord autorisé pour les denrées alimentaires, très vite, il se généralise. Il n’y a plus d’électricité. Le journal signale un autre fait intéressant : « L’éditeur du Pinang Gazeth, M. Savarana Muthu, prend le pouvoir en attendant l’arrivée des Japonais. » Certains notables ont-ils cru pouvoir tirer leur épingle du jeu et composer avec le futur occupant ? Le 18 décembre, au cours d’un raid, l’aviation japonaise jette des tracts, exprimés dans un anglais plus que boiteux, que le journal retranscrit fidèlement ! Les forces japonaises se veulent rassurantes. Elles prétendent se soucier du bien-être des populations locales, nul ne devant se sentir obligé de fuir du fait de sa nationalité. Mais toute forme de résistance sera punie de mort : « Making resistance or taking the hostile actions against the Japanese Armed Forces in any manner leads the whole native land into the ashes 290 . » Chacun doit vaquer à ses occupations habituelles, se plaçant sous la protection des troupes d’occupation, sans craindre de voir verser « even one drop of blood 291 . » Précisons tout de même qu’au moins 1 500 personnes seraient mortes à Penang sous les mitraillages japonais en dix jours, entre le 8 et le 18 décembre… Seront exécutés tous ceux qui contribueront à perturber les activités économiques et la vie sociale de l’île : en revanche, les autorités japonaises récompenseront ceux qui les informeraient de menées hostiles. Bienveillance benoîte envers les habitants loyalistes, menace de représailles implacables et massives en cas d’insubordination, appel à la délation, on retrouve ici la rhétorique habituelle d’une force d’occupation. Le 19 décembre, quelques centaines de soldats japonais sont en ville. Les Européens reçoivent l’ordre de rester chez eux ; l’occupation de Penang a commencé. Le 31 décembre, à Mariophile, « la petite cérémonie des souhaits a lieu comme à l’ordinaire, après le souper. » Au sujet des opérations militaires, le journal mentionne encore de façon laconique la chute de Singapour le 15 février 1942. Effectivement, ce jour là, les 88 000 hommes du Général Percival tombent aux mains des Japonais, après un intense bombardement et en dépit de l’envoi, trop tardif, de renforts britanniques. Le gouvernement anglais aurait, semble-t-il, surestimé les défenses de Singapour. Dès leur arrivée, les troupes japonaises d’occupation procèdent au contrôle et au tri des populations. Les européens reçoivent un « passe-partout », qui leur permet de circuler : « Visite du P. Michel qui, muni de son passe, peut à présent venir, à pied, à Mariophile. Son passe est un rectangle de papier, pendu au cou par une corde, avec un cercle rouge et une inscription mi-chinoise, mi-japonaise. » En mai, le Collège est sommé de faire parvenir aux autorités un document en anglais, présentant les professeurs, les élèves, le programme des cours et les ressources financières292. Puis, en juillet, la communauté doit se rendre au commissariat de police pour se faire enregistrer et retirer un badge qu’il faudra porter au bras. Les japonais ont réparti la population en trois catégories : « La 1 ère catégorie, puissance de l’Axe, 2 e catégorie, puissance en guerre contre l’Axe ou ayant rompu les relations diplomatiques. » L’un des prêtres européens, le Père Michel, s’était vu confier la charge de garder le Collège, à Pulo Tikus, en l’absence de la communauté. Malheureusement, d’origine belge, il était donc ressortissant d’un pays en guerre contre l’Axe (deuxième catégorie). Sa situation se détériore assez rapidement. Il subit tout d’abord des brimades, dès le début de l’année 1943 : « Le P. Michel (Belge) reçoit un badge et une planchette portant en caractères chinois et japonais la mention : ici habite un sujet ennemi en liberté sous serment. » En décembre, la situation empire brusquement : « Arrestation et internement du P. Michel à la prison de Penang en raison de sa nationalité (ennemi, alien)… En même temps étaient aussi internées des femmes anglaises ou américaines avec leurs enfants, des juifs, des arabes. » En janvier 1944, il est déporté, avec les autres détenus, vers le camp de concentration de Singapour. Il n’en revint qu’en septembre 1945 :

‘Pendant la prière du soir, les cloches du Collège se mettent en branle, après qu’on a entendu un bruit de car et un klaxon et des voix bruyantes résonnent vers la porte de la Procure. C’est le Père Michel qui revient. Vingt mois de captivité ! Les journées les plus dures auront été les six premières à la prison de Penang. Trois jours sans manger, couché à même le ciment, traité comme des prisonniers de droit commun. Voyage de trois jours, très dur, ensuite.’

La troisième catégorie, à laquelle appartiennent les Pères et les élèves annamites, est celle des « axis partners », partenaires de l’Axe. Les élèves thaïs, classés dans la catégorie des puissances de l’Axe, n’ont pas besoin de badge293. À Singapour, juste avant l’arrivée des Japonais, trente missionnaires français avaient été renvoyés en Indochine. En revanche, les seuls français restant à Penang sont des religieux : les missionnaires, des sœurs de la Congrégation de Saint-Maur et des frères de La Salle. On ne sait ce que devinrent les autres Européens dont parle le journal :

‘Comme autres Européens il y a des Danois (Hansen et sa famille ; M. Long, Consul du Danemark, de l’Eastern Asiatic C°), le Rév. Scott, Anglais, qui était jusqu’à l’arrivée des Nippons en charge de Butterworth, est resté, a obtenu un laissez-passer, s’est installé à St Nicholas comme s’il en avait charge, puis fut interné ; le Major Harvey de l’Armée du Salut, en prison ; le médecin chef de l’hôpital St Evans, interné à l’hôpital comme auxiliaire seulement, qui a trouvé la solitude trop pesante et a demandé à rejoindre le camp de concentration de Singapour ; encore quelques vieux Anglais comme un certain M. Wills ; le manager du « Fun » à Tanjong Bungah, un Suisse, est là aussi ; un Hongrois et sa femme, appartenant à l’orchestre d’un hôtel local et tout près de là un Européen marié à une Chinoise. ’

Les Japonais semblent plutôt bien disposés envers les Européens jusqu’au printemps 1942. Mais en juin, quelques actions militaires désespérées ont été tentées :

‘20 juin : Des bateaux sont coulés près de Penang. Les British, avec peu d’avions, ont essayé de bombarder l’airfield vers 3 pm, mais les fighters locaux les en ont empêchés. Les British ont jeté leurs bombes dans le bled derrière l’hôpital de Bedong et ont filé. Le black out, qui avait été supprimé en ville, est rétabli avec sévérité. Émotion en ville, exode des gens vers la campagne malgré l’opposition des autorités. ’

Or, en juin 42, la victoire américaine de Midway marque la fin de l’expansion japonaise en Asie. Ce revers de fortune explique probablement le net durcissement de l’attitude des troupes d’occupation : « Tous les neutres (Européens, Arabes, Français, Indiens, Annamites) sont convoqués pour une admonestation. On n’est pas content d’eux, ils ne se sont pas montrés reconnaissants du traitement de faveur accordé aussi la protection spéciale sera à l’avenir retirée. » En octobre 42, le journal rapporte les faits suivants :

‘Arrestations en ville ; tout le monde a dû comparaître pour examen devant la police. Les gens étaient rassemblés dans des bâtiments publics. On permettait de laisser un gardien pas maison, d’habitude une vieille femme. Il paraît qu’on recherchait des communistes venus en cachette de la péninsule.’

La chasse aux communistes était lancée. Il y eut effectivement des guérillas communistes dans la jungle, dès la chute de Singapour294. Le bombardement de Rangoon par les Anglais, en février 43, exacerbe les tensions. Les japonais entreprennent de fortifier l’île, « la ville est bondée de soldats », on craint des raids aériens, et une nouvelle population d’origine européenne fait son apparition : « 28 juin : pas mal d’Allemands en ville ; on les rencontre par groupes dans les rues en civil. Ce sont des techniciens venus travailler ici dans les ateliers de torpilles. » Ils se battent au côté des pilotes japonais, « 13 janvier 45. Le journal ne dit pas grand’chose sur le raid du 11. Dix B 29 auraient survolé Penang […] deux pilotes allemands et un japonais auraient essayé d’intercepter les raiders. » À la fin de la guerre, ce fut à leur tour d’être emprisonnés : « Les Allemands stationnés à Penang sont conduits à Singapore et, selon les dires de l’un d’entre eux, doivent y être parqués dans un hôtel puis internés dans un camp à la capitulation de l’Allemagne. » Le déroulement des opérations en Europe a aussi de lourdes conséquences pour les Européens. En septembre 43, six sœurs italiennes sont arrêtées à Penang et déclarées « sujets ennemis » : l’Italie venait tout juste de quitter l’Axe295. En octobre, « À la suite des accords intervenus entre les Anglo-américains et le Portugal au sujet des Açores, les Pères portugais de Malacca et de Singapour sont internés.» De même, au moment du débarquement en Normandie, le cas des Français est réexaminé : « Au déclenchement de l’invasion anglo-américaine en France on nous fait préciser notre statut et fournir une déclaration de nos biens. » Puis survinrent la libération de Paris et la fuite de Pétain ; la place des français dans le jeu des alliances devenait plus que nébuleuse296 :

5 octobre : après le transfert du Maréchal Pétain et de son gouvernement dans le sud de l’Allemagne, les Allemands et les Japonais affectent de considérer ce gouvernement comme le seul vrai gouvernement français et le proclament ami de l’Axe. De plus, le gouvernement de l’Indochine française a été déclaré indépendant et ici nous pouvons espérer être assimilés aux Français d’Indochine.

Quelle fut l’attitude des Japonais à l’égard des autres populations de l’île ? Nous avons vu que les élèves chinois du Collège n’avaient pu regagner leurs missions, à cause de la guerre sino-japonaise. Les Japonais considéraient les Chinois comme des ennemis. À plusieurs reprises, la villégiature de Mariophile, où le Collège s’est replié, est inspectée. Le 15 octobre 43, la police militaire y trouve, lors d’une fouille des dortoirs, plusieurs objets compromettants :

‘Colère en découvrant dans le pupitre de Paschal une boite d’allumette vide avec un soldat chinois sur le couvercle et une inscription patriotique chinoise (marque de fabrique de ces allumettes). On prend le nom du propriétaire et la boite est emmenée comme pièce à conviction. Une carte de Birmanie trouvée dans la chambre d’un Père est confisquée.’

La condition des Chinois pendant l’occupation fut d’autant plus dure que les Japonais utilisèrent à leurs propres fins les inimitiés qui existaient entre les différentes populations, comme le montre cet incident, en juillet 1942 :

‘Les Frères de Taiping qui avaient été internés sont dirigés vers une destination inconnue. Leur internement avait eu lieu à la suite du baptême à l’hôpital d’un jeune Chinois communiste qui s’était converti : dénonciation par un Malais, accusation de relation avec les communistes. On sait qu’ils sont en prison à Kuala Lumpur. ’

Les Japonais se servirent fréquemment de la police malaisienne contre la résistance chinoise. Le journal donne cependant des exemples de collaboration entre des Chinois de l’île et les troupes d’occupation. Lors d’une perquisition, en octobre 1942, « Vers 11 h ½ un officier japonais de la military police vient en auto à Mariophile et monte à l’étage des Pères. Il cause aimablement ainsi que l’inspecteur de police chinois qui l’accompagnait. » En novembre 1943, lors d’une visite qu’ils ont rendue au chef de la police, « Keimubu-Cho », le supérieur du Collège assiste à une scène burlesque : « Le secrétaire de la police, un Chinois méthodiste lit au Keimubu-Cho un passage de Saint Paul recommandant aux chrétiens la soumission aux pouvoirs constitués. Le chef de la police est content et se fait relire le passage. » Une autre fois, en 1943, c’est un policier indien au service de l’Occupant qui vient à Mariophile : « 18 juillet. Dans la matinée, un inspecteur indien de la Police secrète vient demander à nous voir. Il veut se rendre compte si nous sommes là, tous les Européens du Collège, demande quelques renseignements et se retire. » En janvier 1945, le supérieur du Collège est arrêté par une patrouille. On le libère sur la foi du témoignage d’un Malais. L’on sait pourtant que les Japonais, dans leur typologie raciale, tenaient les Malais pour un peuple inférieur… En général, lorsque les populations locales sont mentionnées dans le journal, c’est plutôt pour évoquer les souffrances qu’elles eurent à subir. En janvier 1944, les Japonais imposent le travail obligatoire aux hommes de 16 à 40 ans. Désignés par le « Self defense corps, ou Jikeidan », ils forment un « labour corps ». D’autres formes de déportations pour le travail sont évoquées : en février 44, « Les catholiques Eurasiens et Chinois de Syonan (Singapour) sont dirigés par groupes successifs vers le Catholic Agricultural settlement de Bahau. » Les populations locales sont pressurées : « 27 août. On annonce la levée d’une contribution de : 500 000 $ pour la part des Eurasiens, 2 millions pour les Malais, 10 millions pour les Indiens, 20 millions pour les Chinois. » En mars 1945, le journal signale des arrestations massives de Chinois et d’Eurasiens : « 96 familles eurasiennes sont à la prison. Celle-ci est pleine. 45 personnes sont entassées dans un couloir. » À la libération, les missionnaires voient se former, comme en Europe, des files interminables d’anciens détenus, preuve de l’ampleur de la déportation :

‘18 octobre. Le P. Aloysius dit que l’État Major japonais est resté en liberté… Il dit aussi que dix mille travailleurs indiens qui avaient été amenés au Siam par les « Japs » et qui n’avaient pas eu davantage patience d’attendre qu’on les rapatrie en Malaisie s’étaient mis en marche et que la tête de la colonne avait atteint Sungei Patani. Ils laissent un long sillage de cadavres sur la route et la plupart de ceux qui sont arrivés à S. Patani sont morts d’épuisement peu après. Le P. Vendergon qui était descendu vers Malacca pour prendre du repos a été forcé par l’autorité militaire à rebrousser chemin pour aller s’occuper de cette marée humaine déferlant sur le Kedah nord. ’

Quel contraste avec les grands principes émancipateurs énoncés par la propagande japonaise ! Lors d’une perquisition à Mariophile, en 1944, un officier japonais « reproche aux élèves indiens de ne pas s’être engagés dans l’armée pour la libération de l’Inde. » Quelques jours plus tard, après avoir répondu à un interrogatoire serré sur l’Église, les directeurs du collège sont invités à contribuer à la transmission des idées libérales et pacifiques de la diplomatie japonaise :

‘7 Janvier. Mori San revient escorté d’un autre officier japonais. Il visite le 2e dortoir et la chapelle puis il monte chez les Pères et pendant deux heures pose des questions sur l’Église, notre dépendance vis à vis des autorités ecclésiastiques, nos ressources. Il nous expose les principes directeurs de la politique nippone (paix universelle, liberté des peuples d’Asie, faire que tous les Asiatiques soient de vrais citoyens de la plus grande Asie). Nous devons coopérer à cela, et quand nous lui répondons que nous ne faisons pas de politique, il reprend que maintenant le mot politique a pris un sens nouveau et qu’aussi sûrement nous voudrions travailler à la paix du monde. ’

La propagande japonaise prétendait libérer les peuples asiatiques de l’emprise européenne. En réalité, le Japon bâtissait son propre empire colonial. Il s’agissait d’instiller la propagande japonaise dans les têtes, tout en diffusant la culture nippone. Déjà, les habitants de Penang avaient dû se mettre, littéralement à l’heure japonaise : « Quoique l’heure de Tokyo soit imposée comme légale (1 h ½ d’avance sur celle de Singapour), nous conservons l’heure ancienne et suivons le soleil. » Puis, à partir de janvier 43, dans les rues, les panneaux indicateurs sont traduits en japonais : « Les noms de rue inchangés sont affublés de caractères japonais katakana et il en est de même pour toutes les inscriptions publiques. » Les établissements scolaires font l’objet d’une immédiate attention :

‘6 juillet 1942. L’orphelinat des sœurs et l’institution des petits aveugles, pris à leur charge par les Japonais sont sous la direction de deux Eurasiennes catholiques, miss d’Oliviera et miss D’Mello. Les sœurs, six indigènes, sont avec les orphelins. ’

Dès leur arrivée, les Japonais s’étaient enquis, nous l’avons signalé, du programme des cours au Collège général. Par la suite, ils s’immiscèrent directement dans les affaires pédagogiques du Collège. Les Pères furent invités à prendre le relais de la propagande politique du Japon. Ils durent se mettre à l’enseignement de la langue et de la culture japonaise et accepter l’intrusion de conférenciers étrangers au Collège :

‘5 janvier 1944 : Le chef de l’éducation, Mori San, arrive à Mariophile. Tout d’abord il fait continuer la classe puis interrompt et parle aux élèves par l’interprète. Il n’est pas content parce que les élèves ne parlent guère japonais et que nous employons l’heure locale. Il fait trois propositions : nous laisserons expliquer aux élèves le sens de la grande guerre d’Asie (Mai toa senso) ; les élèves étudieront le Nippon Go pendant deux heures par semaines ; à l’occasion, nous laisserons un conférencier de l’extérieur donner des conférences sur divers sujets. Nous disons ne pas y voir d’inconvénient et qu’il est bon que les élèves sachent davantage le Nippon Go… Nous nous mettons sans plus tarder à l’heure de Tokyo.’

Les relations avec l’occupant étaient alors si tendues que les Pères n’avaient guère le choix. Mgr Devals leur avait fait part de ses craintes : on redoutait que les Japonais ne décidassent l’internement de tous les étrangers. L’enseignement du japonais fut confié à l’un des élèves, pour faire bonne figure, sans non plus faire de zèle297. Soulignons au passage qu’au Collège, les cours se sont déroulés pratiquement sans interruption pendant toute la guerre. En janvier 1942, le Conseil des directeurs décide que « les classes auront lieu le matin seulement ou le soir seulement selon que les circonstances le rendront opportun. » Le Procès-verbal du 23 février 1943 indique : « Reprise des cours avec les mêmes horaires que l’an passé. » On étudie la philosophie, la théologie spéciale, dogme ou morale, la liturgie, l’écriture sainte. Le reste du temps, les élèves participent aux travaux d’entretien et de jardinage. Sans doute convient-il de nuancer ce tableau optimiste. Dans le compte rendu adressé à Paris en août 1945, on peut lire : « Les études souffrirent inévitablement de l’application du principe primum vivere, nos élèves se ressentiront toujours à ce point de vue, des effets de la grande catastrophe. » Durant toute l’occupation japonaise, les offices religieux ont été librement célébrés chaque jour à Mariophile : « Que nous ayons eu assez de farine et de vin pour la célébration quotidienne des Saints Mystères est un autre motif de louange et de gratitude », lit-on dans le compte rendu adressé à Paris après la fin des hostilités. Le registre des procès-verbaux du Conseil porte, à la date du 10 novembre 1942, la mention d’un vœu à saint Joseph, décidé par la communauté, pour obtenir la protection des bâtiments du Collège. Le vœu consistait en actions de grâce, messe solennelle, jeûnes, salut au Saint-Sacrement. Le 3 décembre 1943, la Saint-François-Xavier est célébrée avec faste. Le dimanche, la messe est fréquentée par les chrétiens du voisinage et même, quelquefois, par des militaires : « 22 novembre 43. En ville, davantage d’Allemands. Il en est arrivé paraît-il 200 de plus, des techniciens. Ils défilent en uniforme, chantant par les rues, certains viennent à la messe le dimanche. » À leur arrivée, les Japonais s’étaient montrés plutôt conciliants en matière de religion : « l’exercice de la religion est permis s’il ne fait pas obstacle à l’administration militaire. » Mais très vite, survinrent des manifestations d’intolérance. Le 4 octobre 1942, « les Japonais brisent la croix en ciment au-dessus du porche de l’Assomption. » En ville, les religieux perdent le droit d’enseigner, ils doivent quitter leurs tenues ecclésiastiques, on veut les remplacer par des maîtres laïcs, introduire la mixité dans leurs écoles, tout un train de mesures anticléricales qui ont probablement réveillé chez les Pères quelques douloureux souvenirs298 :

‘6 avril 1943. Sérieuse alerte au sujet du Collège. Le Département de l’éducation veut y concentrer les 4 écoles actuellement à Pulo Tikus, en faire une école mixte, déloger les Sœurs. Déjà précédemment, à l’occasion des épreuves de langue japonaise, les Sœurs et un peu les Frères, s’étaient vus éliminées en partie, remplacées par des maîtres laïques. L’intention du gouvernement devient de plus en plus évidente. Le n° 2 du Département, un Japonais, semble acharné contre les Sœurs. Nous tombons d’accord : les Sœurs ne quitteront le Collège que chassées de force. Nous faisons appel au pape par l’intermédiaire de l’évêque si le gouvernement veut passer outre. Le n° 2 devant cette attitude déclare après une séance orageuse au Collège, qu’il va en référer à son n°1. ’

Les sœurs de Saint Maur ne furent jamais expulsées. Au contraire, il semblerait même que leurs relations avec les Japonais se fussent finalement apaisées : le 20 septembre 1944, le nouveau Commandant en chef, « le gouverneur Shinohara, vient visiter les sœurs au Collège et se montre très bien disposé, serrant la main à toutes. De même au noviciat des frères. » Leur école ayant été réquisitionnée par la marine japonaise au début de l’occupation, les sœurs avaient été hébergées, à partir du 30 juin 1942, à Pulo Tikus, dans les bâtiments du Collège restés inoccupés depuis l’installation de la communauté à Mariophile 299. Le Collège abrita donc les religieuses et leurs élèves. Ensuite, les Japonais y imposèrent la présence d’élèves d’autres écoles de Penang dont les bâtiments avaient été eux-mêmes réquisitionnés ou détruits par les bombardements. En août 1943, le Collège était devenu une école gouvernementale, comptant près d’un millier d’élèves. Le directeur était un laïc chinois, les professeurs étaient des laïcs, des frères, dont le noviciat était voisin du Collège et les sœurs300. Des cloisons avaient été posées, dans les anciens dortoirs, pour aménager des salles de classe, les statues et images pieuses mises à l’abri. Mais on célébrait tous les jours la messe à la chapelle :

‘18 mars 1945. C’était un curieux spectacle que le Collège, les jours où le Pulau Tikus Governement Primary School, une des 4 grandes écoles de Penang, se tenait dans les bâtiments du Collège, rez de chaussée et premier, dans la partie depuis le portier jusqu’au bout du bâtiment de l’étude, dortoirs et grande salle divisés par des cloisons. Il y avait 300 enfants environs, filles et garçons jusqu’à 18 ans, mais surtout des petits, enseignés par des frères, des sœurs, des maîtres et des maîtresses laïques. Beaucoup de jeux dans la cour, des jardins d’écoliers devant la façade, des équipes de gamins arrosant les légumes sous la direction d’une maîtresse, des garçonnets manœuvrant à la militaire sous le commandement d’un Frère.’

Des menaces pesaient depuis la fin de l’année 1944 sur la petite communauté de Mariophile. Des officiers Japonais étaient venus visiter les terrains attenants, une première fois sous prétexte d’y cultiver des plantes médicinales pour l’hôpital301, puis à cause d’une dénonciation, parvenue entre les mains à la police : on aurait accusé les Pères de cacher des soldats ennemis dans leurs bois. Brusquement, le 11 février 1945, l’ordre d’évacuer était donné : « Peu après la Grand’messe, le Bunkyo Kacho, Hirano San, s’amène et nous annonce que Mariophile doit être complètement évacué par nous, car la Marine veut toute la position pour la défense. » Les Pères organisent le déménagement, et regagnent Pulo Tikus, où il leur faudra désormais cohabiter avec les sœurs302. La description de la vie quotidienne au Collège pendant ces quelques mois est assez cocasse. Les Pères et les séminaristes ont pris leurs quartiers dans une des ailes du collège, séparés des sœurs par des paravents. Tous les matins, les élèves et les professeurs laïcs font, dans la cour du Collège, leur gymnastique éducative suédoise (Taiso), au son d’un piano :

‘L’école du gouvernement marche régulièrement. Il y a dans les 500 élèves occupés surtout à chanter, à faire des exercices physiques et du jardinage. Déjà, bon nombre de grandes filles de vingt ans font dans la cour des exercices physiques qui, pour ne pas être de très haute école, ne laissent pas cependant d’intéresser sensiblement nos séminaristes. ’

Auparavant, les couleurs ont été amenées, et les élèves ont chanté l’hymne au drapeau, « à la place du Kimigayo qui n’est plus chanté que dans les grandes occasions. » Par leur souplesse de caractère et leur sens de la diplomatie, les Pères sont habilement parvenus à éviter tout affrontement avec les autorités japonaises, sans pour autant se compromettre, usant toujours, en cas de litige du même argument : la « supranationalité » des missionnaires. Ils ne se sont heurtés frontalement aux militaires qu’une seule fois, au sujet du projet d’expulsion des sœurs, sortant de leur réserve et menaçant d’en appeler au pape. Sinon, dans la plupart des cas, le journal fait souvent état de la courtoisie des policiers, de leur prévenance, lors des convocations en ville ou des perquisitions, les missionnaires français étaient relativement protégés par leur statut « d’Axis partners ». On s’enquiert si les Pères ne manquent de rien, on loue la bonne tenue de leur jardin, en maintenant toutefois une surveillance constante, dans un climat de menaçante suspicion. On a l’impression, à la lecture du Journal, d’un jeu du chat et de la souris, comme lors de cette descente de la police militaire, en février 1945 :

Au moment où nous allons partir, un jeune officier nous aborde. Il parle très bien l’anglais et un peu le français. Il fait quelques politesses puis se lance dans des lieux communs de propagande japonaise et déblatération contre les anglo-américains, en y mêlant des ragots de mauvaise philosophie, identifiant l’empereur avec le Christ, Dieu et la nature, l’équivalence de toutes les religions, disant que les Japonais ne pouvaient prouver tout cela mais le croyaient fermement, et que d’ailleurs nous chrétiens ne pouvons prouver notre religion scientifiquement, par exemple pour la naissance du Christ d’une vierge. On discute un peu, il dit qu’il viendra causer au Collège et on se quitte bons amis.

Plusieurs fois, au contraire, c’est précisément leur état de prêtres catholiques qui procura aux missionnaires la protection de hauts personnages. En août 43, ils reçoivent plusieurs visites :

‘Visite d’un officier japonais catholique d’Osaka ; visite d’un soldat japonais chrétien ; son frère, ancien élève de la Propagande, est le P. Paul Imamura de Goto. Visite du Dr Kawabe, catholique, professeur à l’Université de Tokyo et attaché d’ambassade à Bangkok. Il promet de s’occuper du retour de nos élèves thaï…’

Un jour, un médecin catholique, bactériologiste à l’hôpital, se rend à Mariophile et vaccine toute la communauté contre la typhoïde et le choléra. Ce geste est loin d’être anodin, si l’on pense à la situation sanitaire calamiteuse de l’île pendant l’occupation. Et même s’ils ne sont pas chrétiens eux-mêmes, les officiers marquent du respect pour les religieux : « Un médecin des Marines était venu à Mariophile se rendre compte des locaux ; il était revenu avec un docteur militaire. Très aimables, ils ont déclaré : this is a holy place, we won’t disturb you. Ils sont en quête d’un local pour l’hôpital. » Mais la rencontre la plus émouvante, presque romanesque, eut lieu en mars 1945. Lors d’une des multiples inspections des locaux du Collège (à Pulo Tikus), un officier sert d’interprète, « Il est très discret et s’excuse de devoir faire ce qu’il fait et remercie à chaque instant. » Son frère est catholique, lui-même connaît Marseille et aime la bouillabaisse ! Le soir, il revient en compagnie du capitaine Hidaka. Celui-ci se dit porteur d’un message de la marine : les missionnaires français pourront rester au Collège tant qu’ils ne se mêleront pas de politique : 

‘Ils doivent s’engager à ne rien faire qui puisse gêner la stratégie nippone. Nous remercions et nous engageons à nous conduire ainsi. Nous pensons que les Philippines étant tombées, les Japonais craignent un débarquement américain en Indochine et prennent leurs précautions303.’

Le journal s’interrompt brièvement peu après ce récit, et reprend sur un autre cahier. Il semble alors que des liens plus intimes se soient tissés entre-temps avec le capitaine :

‘Le capitaine Hidaka nous offre le café. Il parle anglais mais lentement. Nous le remercions de la bonté qu’il nous manifeste. Il nous encourage à passer par lui pour toutes les demandes que nous avons à faire au gouvernement. Il a déjà arrangé que nous puissions avoir de la viande chez le fournisseur de la marine. Il nous dit avoir eu une audience de Pie XI à Rome en 1935. Il a été à Kwong Tche Wan pendant cette guerre-ci et y a été en relation avec un missionnaire du Japon qui y était mobilisé et servait d’interprète, autrefois à Hokodate.’

Les missionnaires français eurent l’occasion, par la suite, de lui rendre sa protection. En octobre 1945, le capitaine Hidaka est aux côtés d’un amiral lors de la reddition de la marine japonaise, à Sungei Patani. À l’issue de la cérémonie, raconte la presse locale, Hidaka s’évanouit. Nous retrouvons sa trace, une dernière fois, en novembre :

‘Nouvelles du capitaine Hidaka par le P. Vong. Il était à Kulim, bien traité par les Anglais, ayant un car à lui. Il envoyait au frère James son souvenir reconnaissant et ses remerciements d’avoir parlé en sa faveur. Il devait se rendre bientôt au camp de prisonniers de Batu Pakat.’

Les gestes généreux faits en faveur des missionnaires et de leurs élèves, touchaient à deux domaines, essentiels en période de guerre et d’occupation : la nourriture et la santé. L’occupation japonaise eut des conséquences économiques désastreuses. L’industrie fut désorganisée, les plantations laissées à l’abandon, la population des villes sous-alimentée pendant plusieurs années. Les Malais semblent avoir moins souffert que les Chinois, car ils vivaient en autarcie familiale sur leurs petites exploitations de subsistance304. Dès l’arrivée des Japonais, les Pères avaient pris des précautions, s’attendant probablement à ce qui allait suivre. De la farine australienne est mise en bocaux et emmagasinée, pour la fabrication des hosties. On agrandit le potager, confié aux soins des élèves, qui ne manquent pas d’ingéniosité pour améliorer l’ordinaire : « Les élèves ayant construit un grand piège à singes, en capturent cinq d’un coup. Grand régal de carry de singe à la suite de cet heureux coup. » Une grande plantation de dourians est préparée en juin 43 ; celles de bananes et d’ananas « sont déjà très prospères. » Il y a également quatre vaches dans la propriété. Le prix du riz ne cesse d’augmenter (20 $ le sac, 40 à Singapour). Celui du pain aussi (8 cents pour un gros pain ordinaire). À partir de septembre 1942, le riz, le sucre, le sel et les allumettes sont rationnés : au Collège, on ne mange plus de riz qu’une fois par jour, à midi. Seul luxe, les Pères s’accordent un verre de Clairet par repas ; les bouchons de mauvaise qualité ne garantissant pas la bonne conservation des bouteilles. Le tapioca est le fond de l’alimentation : « Tubercules bouillies avec un peu de sel. Certains craignent beaucoup le poison contenu dans le tapioca et en souffrent. » On manque d’eau, car les canalisations sont crevées. Les élèves font de l’huile d’éclairage avec des cocos, l’électricité étant souvent coupée à cause du couvre-feu. À partir de la fin de 1942, l’alimentation est distribuée par des chefs de groupes de familles, au lieu d’être vendue dans les magasins, ce qui ne manque évidemment pas de susciter abus et injustices. En juin 1943, la population est incitée à cultiver des lopins de terre pour assurer sa propre subsistance. La situation économique se dégrade de mois en mois. Inévitablement, des vols se produisent. Le verger de Mariophile est visité à plusieurs reprises ; les élèves et les Pères sont contraints d’organiser des tours de garde, jour et nuit. Une nuit, ils surprennent, dans la cuisine, le fils d’un de leurs domestiques, occupé à piller le garde-manger305. La population vit désormais dans la misère la plus noire :

‘20 mars 1945. Les gens courent après les moindres choses : il faut voir quand il y a eu une bourrasque comment les gens des environs viennent ramasser au fur et à mesure qu’elles tombent les branches des cocotiers. Quant aux bouses de vache qui viennent pâturer au bord des routes et sur notre terrain, c’est une bande de gamins qui, armés de pelles et de sceaux, les ramassent littéralement au sortir de l’animal ! ’

La réquisition de Mariophile par la marine s’avéra donc catastrophique, puisqu’elle privait la communauté de ses moyens de subsistance. Aussi les Pères négocièrent-ils pied à pied, mais sans succès, l’octroi de compensations alimentaires. À peine de retour à Pulo Tikus, les élèves aménagent un nouveau jardin potager et pêchent, le Collège présentant l’avantage d’être en bord de mer, « Nous avons beaucoup de lignes de fond, avec de nombreux hameçons. Nous prenons des sembilangs et des duris. » En septembre 1943, l’auteur du journal écrit : « Les santés sont bonnes, mais presque tous sont amaigris. » Mais on lit, dans le compte-rendu d’août 1945, cet effrayant constat :

‘1945. L’état sanitaire de la population avoisinante devient pitoyable. L’affaiblissement consécutif aux restrictions alimentaires fait de beaucoup une proie facile à la malaria et à la dysenterie. Les ulcères que le manque de vitalité des sujets rend incurables envahissent pieds et jambes surtout. Quant au Béri-béri, il est à peu près partout. La population malaise du village en grande partie établie sur notre propriété de Mariophile qui comptait 1600 âmes avant la guerre a diminué de près de moitié.’

Les missionnaires et leurs élèves furent relativement épargnés par la maladie. En 1944, sept élèves sont malades : typhoïde, malaria306. L’un d’eux reçoit l’extrême onction. En janvier 1945, Mgr Devals meurt à l’hôpital de Seramban, des suites d’une morsure d’araignée, après avoir été amputé d’une jambe. Les autorités japonaises assistèrent à ses obsèques… Les proches du Collège sont touchés : « Notre ancien dhoby, Mah Hoa, meurt de tuberculose sur le terrain de l’église, en face des cabinets du Collège. Il est baptisé in articulo mortis. » Les hôpitaux sont totalement démunis : les médecins sont réquisitionnés par la marine, on ne leur distribue plus de quinine. Il faut se résoudre à chercher d’autres médicaments :

‘17 avril. Nous achetons aussi quelques bouteilles d’arack comme médecine en cas de choléra. Il ne semble pas que les cas signalés dans Kedah aient compromis la santé publique de ce côté-ci mais il y a comme une épidémie de grippe intestinale dont plusieurs personnes meurent.’

La communauté, quoique très affaiblie par la faim, a moins souffert qu’on aurait pu le craindre, ce dont le compte-rendu d’août 1945 se réjouit :

‘Nous rendons grâce pour l’évidente protection qui fut accordée au Collège. Point de perte de personnel, point de destruction, point de pertes matérielles importantes, point d’épidémie de choléra, peste ou variole, et nous pouvons remercier Dieu que la lutte se soit arrêtée à point, car tout était prêt pour une attaque de vive force sur Penang, au déclenchement de laquelle il n’eût été que mort et dévastation.’

À partir de mars 1945, les signes de l’effondrement du Japon sont de plus en plus perceptibles. On parle d’effrayants bombardements à Kuala Lumpur ; la presse est muette, « Depuis huit jours le journal ne donne plus de communiqué d’Europe et presque rien sur la situation dans le Pacifique » ; mais on apprend tout de même la débâcle de l’Allemagne, « Le Rhin est passé partout », l’entrée des Américains dans Leipzig, celle des Russes dans Vienne, la chute du gouvernement à Tokyo. L’approche des troupes anglaises commence à être palpable. On sait que des sous-marins sont entrés en contact avec des pêcheurs, des tracts sont lancés qui recommandent à la population de s’éloigner des objectifs militaires. Rangoon est encerclée, apprend-on. Le 8 mai, la nouvelle de la capitulation allemande est connue, « le bruit court que les Anglais entrent au Siam par 5 endroits », on sait également que Mac Arthur est installé à Balik Papan avec les troupes américaines et, le 13 juillet, des B-29 survolent Penang, « l’avance sur la Malaisie s’accélère. » Pendant ce temps, les Japonais poursuivent imperturbablement leurs préparatifs défensifs ; des pièces d’artillerie sont déployées, à Mariophile, ils creusent un tunnel à coup de mine. Mais on trouve parfois des anecdotes qui laissent pantois. Le 18 juin, alors que « la bataille fait rage à Okinawa », deux soldats Japonais aident les Pères et leurs élèves à la récolte des mangoustans : en revanche, aucune allusion n’est faite aux bombardements nucléaires des 6 et 9 août... Le 12 août, la nouvelle de la capitulation du Japon parvient au Collège. Les Anglais ne libèrent Penang que quelques semaines plus tard ; ils entrent dans l’île le 3 septembre, sans coup férir. En dépit de leur retour, la situation de l’île, comme celle de l’ensemble de la région, reste confuse. La distribution de nourriture a repris dès la mi-septembre, ainsi que les services postaux et le chemin de fer ; le pillage et même la piraterie sévissent partout : « 8 novembre. La série de meurtres en plein jour et de gang robberies décide les autorités à faire de nombreuses arrestations. » Les troupes patrouillent dans les rues pour prévenir les vols. Les circonstances sont de plus en plus périlleuses, les troubles à l’ordre public de plus en plus fréquents. Il semble que la pénurie d’argent ait rendu la condition des familles plus précaire que pendant l’occupation japonaise, le coût de la vie montant sans répit. Pour couronner le tout, une épidémie meurtrière de Malaria se répand. Le journal évoque de graves troubles à Taiping, réprimés par l’armée qui tire sur la foule. À ces désordres causés par la misère s’adjoignent ceux imputables à la guérilla communiste. Dans l’ensemble, les forces britanniques avaient été bien accueillies par la population. Il s’agissait pourtant du retour du colonisateur. D’importantes réformes avaient été opportunément annoncées, un mois après le départ des Japonais : « On annonce que la Malaisie sera désormais une sans la triple dénomination du passé ; Straits Settlements, Federated Malay State, Confederated Malay State. » La British Military Administration avait bien compris que le retour pur et simple à l’état antérieur n’était pas envisageable. Il faudrait tenir compte du désir d’autonomie de la population. La résistance chinoise tenta de s’attribuer tout le mérite de la libération sur le plan local, sans convaincre. Elle chercha ensuite à déstabiliser l’administration anglaise, se livrant à des attentats : « Il faut cinq jours pour aller à Singapore et il est difficile d’obtenir un passeport. Les communistes dévissent les boulons de la voie et parfois il faut faire une vingtaine de milles à pied. » Le journal cite également des tracts en plusieurs langues, placardés dans les rues : « To relieve the poor and to stabilize the livehood of the civilians : the Malay Communist Party 307 . » L’école du gouvernement ferme. Les frères restent encore quelques temps au Collège, leur couvent ayant été détruit par les bombes. Puis ils partent à leur tour et la communauté reprend sa place : « 12 octobre. Messe votive solennelle d’actions de grâce en l’honneur de saint Joseph pour notre réunion au complet après les séparations de ces dernières années. » Les aumôniers militaires anglais et hollandais sont reçus au Collège, des soldats et des infirmières militaires assistent aux offices ou viennent se confesser. L’affluence de religieux, hollandais notamment, semble toutefois donner quelque motif d’inquiétude : « Les Hollandais envahissent de plus en plus Penang : beaucoup de Pères hollandais, 5 jésuites, 1 séculier, 14 encore de divers ordres, Capuçins, Picpus. » Le journal s’achève sur ces mots : « 25 décembre. Splendide Noël, célébré en grand avec un temps magnifique. La cérémonie à l’Assomption, avec de très nombreux soldats, a été particulièrement réussie. Au Collège, en raison du tout petit nombre d’élèves et de leur fatigue, pas de messe chantée le jour. » Quel bilan peut-on dresser de cette période de l’histoire du Collège général ? Les Pères et leurs élèves ont évité le pire. Pas de maladies ni de blessures graves ; mieux encore, la communauté sort affermie de l’épreuve, comme en témoigne cet hommage rendu aux élèves :

‘Il est consolant de constater que durant cette période d’incertitude et d’épreuves, l’esprit des élèves fut excellent, leur dévouement a été malgré privations et pénibles travaux, au-dessus de tout éloge. Leur généreuse détermination d’aider la communauté à se maintenir coûte que coûte a été évidente et ils se sont solidarisés constamment avec leurs directeurs, même lorsqu’il était dangereux de montrer telle fidélité, dont un officier japonais dit ouvertement son étonnement.’

Les liens se sont resserrés, et si les études, deux fois interrompues, n’ont pas donné entière satisfaction, la piété y a gagné : « Les dangers furent un stimulant pour la piété, et l’évidente nécessité d’implorer le secours d’en haut fit beaucoup pour maintenir la ferveur. » Les bâtiments du Collège, à Pulo Tikus comme à Mariophile, ont été épargnés par les bombes. Aucune destruction n’est à déplorer, et les bâtiments n’ont pas trop souffert de leur occupation par l’école gouvernementale ou par la marine japonaise. Les relations des Pères avec l’occupant, jamais compromettantes, ne pouvaient leur valoir d’être inquiétés à la libération. D’ailleurs, les cours reprennent au Collège dès janvier 1946, comme si rien ne s’était passé : « Reprise des cours avec programme complet depuis le 10 Janvier. Les modifications temporaires du règlement sont supprimées à savoir : fin du petit déjeuner ad libitum, toutes les récréations libres, travail manuel de nouveau obligatoire de 5 h à 6 h ½. » En Malaisie, les choses ont profondément changé. Les idées d’indépendance nationale et de décolonisation se répandent. Il faut compter, désormais, comme en Chine et en Indochine, avec le communisme. Le mythe de l’invulnérabilité de l’homme blanc s’est écroulé ; les populations locales aspirent à se gouverner elles-mêmes, à prendre en main leur destin.

Notes
282.

Dés la fin des années vingt, sous le ministère Tanaka, le Japon entra dans une économie de guerre. En septembre 1931, Moukden était occupée et bientôt toute la Mandchourie, placée sous protectorat Japonais. Autre signe inquiétant, le Japon quitta la SDN en 1933, conclut, en 1936, le pacte anti-Komintern avec l’Allemagne nazie, puis occupa successivement Pékin, Nankin, Canton et la plupart des régions côtières de la Chine, se rapprochant inexorablement du Sud-Est de l’Asie. Dépourvu de ressources naturelles, il convoitait les minerais d’Indochine et le pétrole des Indes néerlandaises.

283.

Comptes Rendus (CR), à partir de 1871.

Annales de la Société des Missions Étrangères et de l’Œuvre des Partants (AME), 1898-1940.

Bulletin de la Société des MEP (BME), 1e série 1922-1941/ 2e série 1948-1961.

Échos de la Rue du Bac (EC 1 & EC 2), 1921-1967/ 1967-1992.

Échos Missionnaires d’Extrême-Orient (ECO), 1941 (n° 2 &-3).

Échos Missionnaires (ECM), 1942-1947.

284.

Déjà, les Instructions de 1659 recommandaient aux missionnaires de se tenir éloignés de la politique et des affaires des états. De nombreuses encycliques ont, par la suite, rappelé cette règle, notamment celle de Pie XII, Summi Pontificatus, en 1939.

285.

« Journal du Collège général, 1938-1945 », CG 063, carton 10. Je ne suis pas parvenu à en identifier l’auteur. Peut-être s’agit-il du Père Rouhan, supérieur du Collège ? Mais cette hypothèse supposerait qu’il parlât quelquefois de lui à la troisième personne, ce qui est très peu probable. Voir aussi le résumé adressé à Paris en 1945 : « Compte rendu des années de guerre, à Nosseigneurs les Évêques supérieurs des missions », 15 août 1945.

286.

P. Ouillon au P. Rouhan, 16 février 1941, DB 460-10.

287.

P. Ouillon au P. Rouhan, 16 février 1941, op. cit., DB 460-10.

288.

In « Compte rendu des années de guerre », op. cit.

289.

Jacques Dupuis, Singapour et la Malaysia, op. cit., p. 52-55.

290.

« Faire de la résistance ou prendre part à des actions hostiles aux forces armées japonaises de quelque manière que ce soit, aura pour conséquence de réduire la terre natale en cendres. »

291.

« La moindre goutte de sang. »

292.

Document de présentation du Collège aux autorités japonaises en 1942 (16 may 2603), Carton 3, CG007.

293.

Le régime de Pibul Songgram s’était montré favorable aux Japonais, parce qu’ils promettaient de délivrer les peuples d’Asie du joug colonial. En 1941, la Thaïlande avait donc ouvert ses frontières aux troupes japonaises, conclut un accord avec Tokyo et déclaré la guerre à la France et à la Grande-Bretagne. En échange, elle obtint, entre autres territoires, le Nord de la Malaisie Britannique.

294.

Les deux principales organisations de résistance chinoise furent la Malayan People’s Anti Japanese Army et la Malayan People’s Anti Japanese Union.

295.

Badoglio signe l’armistice secret avec les Alliés le 3 septembre, la nouvelle est connue le 8, Mussolini, libéré par les Allemands, fondait la République de Salo le 15 septembre, les sœurs italiennes sont arrêtées à Penang le 16…

296.

29 août : « Nous apprenons la prise de Paris par les Alliés et l’arrivée de De Gaulle avec son comité de libération dans la capitale. Nous nous demandons s’il va y avoir des conséquences pour nous. Il y a quelques jours, on apprenait que l’Indochine Française avait reçu le statut d’état indépendant avec l’amiral Decoux comme chef suprême, investi de pouvoirs dictatoriaux. Serons-nous censés nous y rattacher ? Le gouvernement français du Maréchal Pétain a quitté Vichy pour se réfugier plus à l’est. Nous fera-t-on prêter serment d’obéissance à ce gouvernement ? »

297.

« Nous commençons les classes de Nippon Go (japonais), ¼ d’heure chaque jour. C’est un sénateur eurasien de Penang, V. de Souza qui fait répétiteur en attendant l’arrivée du maître annoncé par le Directeur de l’Éducation. »

298.

22 septembre 42 : « Frères et Sœurs ne peuvent plus enseigner ; on leur demande d’enseigner comme teachers isolés, sans costume, dans n’importe quelle école du gouvernement). »

25 février 43 : « Les Japonais retirent la permission d’enseigner le catéchisme qui avait été précédemment accordée. Ils déclarent qu’ils ne peuvent admettre la formule « religion d’abord ». Ils défendent tout enseignement en latin aux Frères. »

299.

10 novembre. « Le Conseil prend note de l’arrivée des sœurs au Collège le 30 juin 1942 et de l’accord intervenu avec elles le même jour dont teneur suit :

Accord conclu entre le Couvent de Penang et le Collège Général de Pulau Tikus au sujet de l’occupation temporaire d’une partie des bâtiments du Collège par le couvent :

Le Couvent de Penang d’une part et le Collège général d’autre part conviennent que la communauté des dames de St Maur pourra occuper les bâtiments du Collège de Pulau Tikus à l’exception des pièces que le Collège se réserve pour son usage pendant une période indéterminée, aux conditions suivantes :

Le couvent se retirera et laissera entièrement libres les bâtiments du Collège à la demande de ce dernier dans le délai d’un mois à partir de la communication de cette demande. Si toutefois les autorités imposaient au personnel du Collège l’obligation de quitter ses installations actuelles dans un délai déterminé, le couvent devrait se retirer en temps utile pour permettre le retour du Collège à Pulau Tikus dans le délai prescrit.

Le couvent permettra au personnel du Collège d’avoir accès aux pièces que le Collège s’est réservé.

Le couvent payera une rente nominale de $ 0.10 par mois.

Le couvent remboursera au Collège la totalité des taxes payées pour l’eau et l’électricité pendant la période de son occupation.

Le couvent fera son possible pour empêcher les dégâts des fourmis blanches dans la maison.

Le couvent gardera à son service tant qu’il occupera le Collège, le domestique qui en assurait la garde avant cette occupation. »

300.

6 mars 1945. « L’école semble fonctionner normalement. Les élèves sont assez nombreux ; ce sont surtout les frères et les sœurs qui enseignent et s’occupent des jeux et des travaux des élèves. Il y a aussi des maîtres laïques. Le headmaster, un Chinois qui était avant la guerre headmaster d’une école anglaise ne crée aucune difficulté et renvoie toute affaire à son assistante, Catherine Loh, la sœur de notre ancien élève Michael Loh, mort de la poitrine à Penang. Le subheadmaster est M. Gim Boon, un converti qui loge avec sa famille dans la fabrica des élèves. »

301.

Le Procès-verbaux du 29 avril 1944 porte la signature d’un contrat de location de 50 acres du terrain de Mariophile, à la marine japonaise, afin d’y planter des herbes médicinales, pour un durée de…cinq ans !

302.

8 avril 45 : « Les sœurs s’enhardissent et circulent plus librement dans le rez de chaussée de nos quartiers qu’auparavant, même après souper le soir ; bien qu’on leur ait demandé de quitter cette zone à partir de la fin de la prière des élèves. Il y aurait à réagir contre cette promiscuité à la tombée de la nuit. » Le journal signale tout de même que la cuisine des sœurs est appréciée de tous !

303.

La reconquête de l’archipel des Philippines, commencée par la bataille de Leyte, fut menée par Mac Arthur d’octobre 1944 à juillet 1945. Manille fut reprise le 23 février 1945.

304.

Cf. Jacques Dupuis, Singapour et la Malaysia, op. cit.

305.

« La surveillance des abords de la cuisine par un père et cinq élèves amène à la capture, un peu après minuit, du voleur de l’avant-veille qui se trouve être une vieille connaissance, le plus jeune fils de notre ancien cuisinier Ah Kong, Norbert Loh dit Anthony. Après un coup de trique bien asséné, il fait le mort, mais on le ligote, l’interroge et l’enferme gardé à vue dans une chambre près de la cuisine. Au jour, on le fait repérer par tout le personnel pour qu’on l’ait à l’œil à l’avenir et on le livre à la police où il attrape tout d’abord un passage à tabac », Journal, 2 mars 1945.

306.

« La malaria fait des ravages à Tanjong Bungah (village proche de Mariophile) et les familles de nos domestiques sont très éprouvées », 17 mars 1945.

307.

« Pour relever les pauvres et stabiliser le niveau de vie des citoyens : le parti communiste malais. »