b. L’Aggiornamento : les rapides effets du concile de Vatican II

Presque insensiblement, de menus changements avaient commencé de se produire, au Collège, pendant les années cinquante. On les devine, au fil de la lecture des procès-verbaux. Le règlement est assoupli, par petites touches. Les élèves malaisiens dont les parents habiteraient à Penang, sont désormais autorisés à les visiter une fois par trimestre :

‘3 avril 1959. Il a été décidé que les élèves de Malaisie ayant à Penang soit leurs parents soit des frères et sœurs, seront autorisés à les visiter une fois par trimestre. La permission de visiter des oncles et tantes ne sera donnée que pendant les vacances à Mariophile, ou par faveur en certaines circonstances exceptionnelles. ’

Les concessions ne se font pas sans quelques restrictions. Les élèves sont autorisés à prendre l’autobus seuls, à s’acheter à boire et à manger, mais seulement pendant les vacances :

‘3 juin 1960. Au sujet de l’usage de l’argent personnel par les séminaristes, il est précisé que pendant les vacances ils peuvent prendre un autobus s’ils font une longue sortie. Ils peuvent aussi acheter à manger et à boire. Pendant l’année, il est défendu sans la permission de M. le Sup. de prendre un bus pour aller à Mariophile ou revenir. Cependant les jours de pluie on pourra prendre le bus si le Père de semaine donne ad libitum. Il n’est jamais permis d’acheter ni fruits ni quoi que ce soit. ’

On double leur argent de poche, qui passe de 5 à 10 $. Puis il est décidé que tous les élèves pourront rentrer chez eux « au moins quelques fois », au cours de leurs études, suivant en cela les recommandations de l’assemblée des évêques d’Extrême-Orient à Manille de décembre 1958, approuvée par la S.C. de la Propagande. En mai 1961, sous le supériorat du Père Le Du, les élèves sont autorisés à « sortir en ville par petits groupes le lundi de Pentecôte. » Les installations sont améliorées, pour les rendre plus confortables. On place un micro dans le réfectoire, avec des hauts parleurs, pour faciliter la lecture ; on installe des ventilateurs dans les salles communes ; enfin et surtout, on reconsidère la question très épineuse, des dortoirs : « 19 mai 1960. Selon la recommandation du P. Sup. Général, le Conseil considère la possibilité de faire des chambres individuelles à l’étage du siccatorium et des chambres à deux dans le dortoir. » Le programme des études subit également un infléchissement discret, mais significatif. On renforce le contenu du cours de pastorale, qui comprendra désormais une initiation à la sociologie, l’étude de la « question sociale à la lumière des encycliques des derniers papes. » En juillet 1952, « une nouvelle méthode est proposée pour l’examen oral des élèves de théologie. » On accorde aux séminaristes quelques minutes de réflexion sur leur sujet, avant l’oral. Il ne suffira donc plus seulement d’apprendre par cœur. En juillet 1959, à la demande du supérieur général des MEP, Mgr Lemaire, les directeurs du Collège sont invités à étudier de près la constitution Sedes Sapientiae de Jean XIII, qui concerne la formation religieuse et apostolique à donner aux séminaristes, « puis à présenter leurs suggestions sur la manière de la mettre en pratique dans ce séminaire. » À partir de l’annonce du concile, on peut véritablement commencer à parler d’aggiornamento au Collège général. Le concile de Vatican II est mentionné dans les procès-verbaux, pour la première fois, le 24 septembre 1962 : « Le conseil décide qu’une neuvaine de Saluts au Saint-Sacrement aura lieu au séminaire du trois au onze octobre afin de prier pour le succès du deuxième concile œcuménique du Vatican. » La première session eut effectivement lieu du 11 octobre au 8 décembre. On suit assez bien, dans les registres du Conseil, la succession des événements de cette période dense de l’histoire contemporaine de l’Église. Mgr Chan, devant se rendre à Rome pour la deuxième session du concile, le 8 septembre 1963, avance les dates des retraites et des ordinations321. Le rythme quasi-immuable de la vie du Collège ne cesse plus d’être perturbé depuis la guerre ! S’il ne salue pas la parution de Pacem in terris, en avril, le Conseil note en revanche la mort de Jean XXIII : « 17 juin. Le conseil prend note de la mort du pape Jean XXIII le 3 juin. Une messe solennelle de Requiem a été célébrée au séminaire le 6 juin. Le 8 juin, le séminaire a assuré les cérémonies et les chants au service célébré à la cathédrale pour le repos de l’âme du pape. » Et, le 4 juillet suivant, « Le conseil prend note des faits suivants ; le pape Paul VI a été élu le 21 juin. En son honneur, le jour suivant a été déclaré jour de congé au séminaire. » L’aggiornamento porte sur trois domaines au moins : l’assouplissement du règlement intérieur, la réforme de la liturgie et l’ouverture au monde extérieur. Le Règlement intérieur. Certains de ses aspects les plus surannés sont abandonnés, comme l’ouverture du courrier des séminaristes par le supérieur, ou le port de la soutane. Après en avoir scrupuleusement référé à leur évêque, les directeurs décident de réserver le port de la soutane blanche, c'est-à-dire adaptée au climat chaud de Penang, aux offices et aux sorties en ville. La durée des vacances est allongée, passant à six semaines en décembre et trois semaines lors des deux autres périodes de congé ; en revanche, pendant l’année, les horaires de cours sont renforcés. On aménage un terrain de football. Les élèves sont autorisés à aller au cinéma et peuvent, « désormais, garder tout leur argent de poche 322 . » Au lieu de les infantiliser, on leur fait confiance. Le 13 mai 1965, le Conseil décide de réfléchir aux améliorations qui pourraient être encore apportées au règlement, « dans la ligne des propositions du schéma conciliaire sur les séminaires (lettre sur les séminaires de Paul VI du 4 /11/ 63. » La réforme de la liturgie. Les offices se déroulaient, dans la chapelle du Collège, selon le rite romain, dans un scrupuleux respect des rubriques. La seule concession à la technique moderne avait été l’acquisition d’un orgue électrique en mars 1961. Les premières simplifications des rites, suscitées par les travaux du concile, sont mises en œuvre dès 1963. L’ouverture au monde prend plusieurs formes. Tout d’abord, la modernisation des études et de la formation. Le rythme des innovations s’accélère sensiblement à partir de 1960. En avril, le Conseil décide de donner, deux fois par semaine, un cours d’anglais aux élèves siamois. La suprématie du latin est, pour la première fois depuis un siècle, écornée. Deux ans plus tard, une petite révolution à lieu au Collège :

‘Le Conseil décide que des exercices de prédication se feront au Collège les mercredis… Deux mercredis de suite les sermons seront donnés en anglais et tous les élèves de théologie devront être présents. Le troisième mercredi, la prédication se fera en Siamois et seuls les théologiens siamois seront tenus d’y assister.’

Les langues vernaculaires, après l’enseignement, firent leur entrée dans la liturgie. Mais le supérieur général des Missions Étrangères s’était empressé de préciser « que le latin demeurait et devait demeurer la langue d’enseignement de la Morale et de la Philosophie. Il approuve d’envisager suivant les possibilités l’emploi de l’anglais pour les petits cours. » La bibliothèque du Collège n’avait guère été renouvelée depuis une génération au moins. Elle ne comptait aucune revue récente. En novembre 1961, les directeurs prennent de nombreux abonnements. Le Collège s’ouvre résolument vers le monde extérieur. La communauté se rend en ville, pour voir « Les Dix Commandements » au cinéma. Les élèves peuvent circuler plus librement. En mars 1963, « le Conseil discute la question du nombre de vélos qu’il serait opportun d’avoir au séminaire 323 . » Le 11 mars 1963, « Il est décidé de demander à Wong Pow Nee, Chief Minister de l’État de Penang, de donner au séminaire une conférence sur le gouvernement de la Malaisie et le rôle des catholiques dans la vie politique. » Enfin, une fois n’est pas coutume, le registre porte mention d’un événement politique majeur, pour la Malaisie, en date du 18 septembre : « Il est décidé de donner un jour de congé le 16 septembre, jour de la formation de la fédération de Malaysia 324 . » On reconnaît, concentrés dans cette décision, le désir d’ouverture au siècle, le souci de ne pas se laisser distancer par les histoires nationales, la volonté d’assouplir les règles et de les adapter à l’environnement immédiat. Plus tard, les élèves furent autorisés à se rendre en ville le jour du nouvel an chinois. Cette volonté d’ouverture au monde extérieur transparaît également dans l’importance croissante accordée à la pastorale :

‘8 avril 1960. Les séminaristes de 6e année pourront être admis à accompagner les Pères du séminaire pour assister à des réunions d’Action Catholique (par ex. Légion de Marie) dans les paroisses afin d’avoir une première initiation pratique à l’apostolat. ’

En avril 1962, les élèves, et non les seuls missionnaires, vont à la rencontre de la communauté chrétienne de Penang : « Le P. Sup. approuve la participation des élèves à une exposition des livres catholiques tenue à l’église des sept douleurs à Penang. Les séminaristes iront par groupes y expliquer la Bible et la messe. » En mai, une session de la JOC a lieu à Mariophile. La même année, les Pères acceptent de participer à un bulletin de liaison des communautés chrétiennes de Malaisie : « 25 juin. M. Wolf, directeur du Central Commodity Bureau (Kuala Lumpur) ayant demandé si le Collège accepterait de collaborer à la rédaction de textes pour un Bulletin paroissial commun à la Malaisie, le Conseil décide d’accepter, au moins provisoirement. » En mai 63, le Collège ouvre ses portes à la deuxième conférence diocésaine du diocèse de Penang. L’assemblée souhaiterait sortir les séminaristes de leurs livres et des salles de classe, les envoyer au devant de leurs futurs paroissiens, à la lumière des réflexions du concile : « Le Conseil examine la 4e question du schéma sur la formation pastorale des prêtres. À nouveau se présente la question des manuels adaptés. On envisage d’envoyer des Diacres en paroisses pendant les vacances du mois d’août 325 . » Enfin, le dialogue avec les autres religions est accentuée :

‘27 Janvier 1964. L’octave de prière pour l’unité a été marquée le 18 janvier par une réunion œcuménique avec les Protestants (Anglicans, Luthériens, Presbytériens, Méthodistes et Armée du Salut) dans le Hall de S. Xavier. Les 14 élèves de 6e année y ont participé. La clôture de l’Octave le 25 janvier, a été marquée par une veillée de prières et de chants dans la chapelle du séminaire. ’

Il y aurait d’autres exemples de cet irénisme : en octobre 1965, par exemple, le Conseil donne un avis favorable à une conférence d’un pasteur luthérien au Collège326. En 1965, un nouveau tournant s’annonce dans l’histoire du Collège général, dans un contexte général de réformes et de transformations. En décembre, le décret Ad gentes 327 paraît, peu avant la clôture des travaux du concile de Vatican II. Un nouveau supérieur est nommé à la tête du Collège : J.-M. Bosc remplace F. Le Du, rappelé à Paris. Enfin, le Collège de Penang est affilié à l’université Urbana de Rome. Il en était question depuis plusieurs années, c’est chose faite en mars : « 23 mars. Le Père supérieur communique aux Pères les documents de la Propagande concernant l’affiliation officielle du Collège à l’Université de la Propagande ad experimentum pour 4 ans. » Véritable consécration, cette affiliation orientait résolument la pédagogie du Collège vers l’enseignement supérieur, l’obligeant à se hisser au niveau d’une université européenne : « 3 août 65. Il est rappelé que le barème des notes d’examen est plus élevé en Italie qu’en France et ailleurs. Il en sera tenu compte dans l’envoi des notes annuelles à l’Université Urbaine. » Trente sujets de thèses de doctorats de théologie étaient proposés, dès octobre 1965, par l’Urbana aux étudiants de Penang et l’on incita les directeurs eux-mêmes à se lancer dans la rédaction de thèses : « 7 avril 65. À la suite de l’affiliation du Collège à la Propagande, le Père supérieur a fait part au Conseil de son désir de pousser les jeunes Pères du Collège à la préparation de doctorats. » On voulait former, sous la houlette de Rome, une élite de clercs savants, appartenant au clergé indigène, à laquelle on confierait les rênes de l’Église locale, réalisant de fait l’ancien projet formé pour le Collège, au tournant du siècle, de le transformer en école des hautes études ecclésiastiques. Le tricentenaire du Collège général, que l’on s’apprêtait à célébrer, avait été considéré par les directeurs, en tous cas les plus innovateurs parmi eux, comme l’occasion de pousser plus loin les réformes. La date des festivités est fixée par le supérieur général des MEP : « Le P. Sup. a ensuite lu au Conseil une lettre du R.P. Quéguiner fixant pour janvier 1966 les fêtes du tricentenaire du Collège et demandant aux Pères de préparer la célébration. » Les Pères avaient exprimé le souhait qu’à cette occasion, des prêtres indigènes fussent incorporés à leur équipe, que l’autorité des évêques locaux fût étendue et mieux reconnue :

‘16 février 1965. Les Pères du Conseil ont demandé au P. Sup. d’insister fortement auprès du Conseil central pour que les fêtes soient l’occasion d’une nouvelle orientation du Collège pour l’avenir : qu’il soit davantage placé sous le contrôle des évêques de Malaisie et que des prêtres locaux soient intégrés au staff.’

La rue du Bac y est, d’emblée, catégoriquement opposée : « 9 mars. Quant à la question d’intégrer des prêtres locaux dans le staff du Collège, le P. Quéguiner répond négativement en ajoutant que le Collège est et doit rester un établissement de la Société. » Observons que la proposition est née à Penang et que le refus vient de Paris. L’audace réformatrice des directeurs de Penang s’explique, au moins partiellement, par la présence, parmi eux, de missionnaires jeunes, d’intellectuels formés à Rome, acquis aux idées novatrices du concile et très actifs dans leur mise en œuvre au Collège328. Parallèlement, depuis 1963, des tractations se déroulaient entre les Missions Étrangères et la Propaganda Fide, à propos de l’appellation du Collège de Penang :

‘La 1ère partie de l’article, si nous faisons abstraction du qualificatif « indigène » ajouté au mot prêtre dans la rédaction projetée, est identique dans les deux textes, à l’exception d’un mot : général est remplacé par régional. Ce changement de dénomination peut être gros de conséquences. Cette substitution signifie-t-elle que la S.C. n’est plus disposée à considérer notre Collège comme séminaire général329 ?’

Les constitutions de la Société des MEP étaient en cours de révision. L’ancien règlement de la Société avait conservé la dénomination traditionnelle de « Collège général » ; or, les nouvelles constitutions, s’inspirant d’un projet de rédaction de la S.C. de la Propagande, suggéraient de remplacer le mot « général » par « régional ». Il y avait, à cela, plusieurs raisons. Le terme de séminaire général et, a fortiori, de Collège général, n’existant nulle part ailleurs dans l’Église, la Sacrée Congrégation ne pouvait admettre de le conserver :

‘Il est impossible d’obtenir de la S. C. le maintien de la dénomination de séminaire général parce qu’il faut absolument nous faire rentrer dans le cadre de la terminologie du codex qui ne connaît que des séminaires diocésains et des séminaires régionaux.’

Les directeurs, qui défendaient jalousement l’indépendance du Collège, y compris vis-à-vis de Rome, trouvaient cela d’assez mauvais augure. Ils objectèrent également que le terme « régional » supposant une région de référence, celle attribuée au Collège restait à délimiter. Le texte de la Propaganda Fide évoquait le sud de la Chine. Or cette mission disposait déjà d’un séminaire régional, à Hong Kong. Quant à la Malaisie, elle avait le sien à Java. À quoi servirait donc le Collège général ? Le changement d’appellation ne risquait-il pas, en faisant ressortir son caractère superfétatoire, d’aboutir à sa suppression ?

Notes
321.

Rappelons que les évêques chinois et Vietnamiens ne purent se rendre à Rome.

322.

Procès-verbaux, 14 janvier 1963.

323.

22 juillet 1963 : « Le conseil décide de permettre aux élèves l’achat de vélos soit personnels, soit appartenant à une communauté. Ces vélos pourront être utilisés pour aller et venir de Mariophile et à Mariophile, à l’intérieur des limites de la promenade. »

324.

Le 16 septembre 1963, la Grande Malaisie ou « Malaysia » naissait. Le Royaume-Uni abandonnait North Bornéo, devenu Sabah, et Sarawak, états qui entraient dans la grande Malaisie. Brunei restait indépendant et Singapour n’allait pas tarder à faire sécession (le 7 août 1965).

325.

20 juillet 1965. « Au cours des prochaines vacances à Mariophile, des élèves seront chargés d’enseigner le catéchisme à quelques enfants anglais qui habitent à proximité. »

326.

26 octobre 1965 « Le Conseil donne son avis favorable à la proposition faite par un Pasteur Luthérien de venir donner une conférence sur son ancienne mission du Congo (pas venu). »

327.

Le décret Ad Gentes date du 8 décembre 1965. C’est le premier grand texte du concile sur l’activité missionnaire de l’Église, qui y est présentée comme « missionnaire par nature » (Ad Gentes, 2). Il met l’accent sur la fonction apostolique des communautés confiées au clergé local. Ce texte, fortement inspiré par la pensée du Père Yves Congar (o.p.), propose aussi une formulation du principe d’inculturation : « De quelles manières les coutumes, le sens de la vie, l’ordre social peuvent s’accorder avec les mœurs que fait connaître la révélation divine » (Ad Gentes, 22).

328.

Cf. mes entretiens avec Michel Arro et Jean L’Hour, qui enseignèrent au Collège général dans les années 1960 in Annexes 1-C.

329.

CG 007 Carton 3, Conseil des directeurs, Penang, 1965.