Le début de la rubrique nécrologique de Joseph Laigre, publiée dans les Comptes rendus en 1885, résume de manière archétypale l’itinéraire qui, au milieu du XIXe siècle, conduit un jeune homme aux Missions Étrangères. Il naît et s’épanouit dans un milieu religieux ; un foyer pratiquant, fidèle à l’Église, un département, la Sarthe, où la tradition chrétienne est entretenue. Nourrie dans cet environnement, la vocation sacerdotale est précoce. Fils de famille, Joseph Laigre doit résister, à la mort de son père, aux sollicitations de sa famille qui comptait probablement sur lui pour prendre la succession des affaires473. Il tient bon. Le penchant pour les missions vient un peu plus tard, déclanché par la lecture des Annales et leurs récits de martyre. Il passe le baccalauréat, fait sa théologie au grand séminaire du Mans, puis entre au séminaire de la rue du Bac. Apparemment, des pressions familiales se firent sentir de nouveau. Sa mère, peut-être, voulut le dissuader de faire le choix des Missions Étrangères, qui les séparerait irrémédiablement. Une fois encore, il résiste. Rien ne peut détourner le jeune homme de sa vocation, « ni la chair, ni le sang ». Destiné à l’édification des lecteurs, le texte mêle la réalité pratique et le merveilleux. Cette vocation se développe dans un « terrain propice », elle est suggérée par la lecture de la propagande missionnaire. L’observation sociologique est ici plus intuitive que méthodique, mais elle est exacte et significative. Le texte emprunte, notons-le au passage, au lexique de la passion amoureuse : « Il s’éprit à la lecture des Annales ». La réalité sociale, pourtant, ne suffit pas à engendrer une vocation. Celle-ci est littéralement fécondée par « la grâce divine ». L’auteur du texte file la métaphore : « Le précieux germe se développa […] le séjour du Grand séminaire […] ne fit que donner à la semence un plus rapide accroissement ». Soulignons le rôle des études au Mans, la « science théologique » du jeune séminariste ne s’opposant pas, au contraire, aux effets surnaturels de la grâce. Le jeune homme est comme le fruit d’une « double fécondation » (à l’image du Christ) : celle, terrestre, qu’il doit à ses géniteurs, avec laquelle il lui faut rompre et celle, céleste, qu’il doit à la grâce divine, dont il reconnaît la filiation474. Les principales étapes de la formation d’un futur missionnaire sont toutes contenues dans ce texte : le poids du foyer et du milieu dans l’orientation vers le sacerdoce, les lectures de jeunesse, les études secondaires puis l’entrée au séminaire, avant l’option définitive pour les missions. On les retrouve dans la grande majorité des cas. La cellule familiale, tout d’abord. Relais essentiel de la fidélité à l’Église, elle détermine largement le choix de la vie sacerdotale. Un fait nous a paru extrêmement marquant, par sa répétition, dans les récits de vocation des missionnaires : la mère y tient une place cruciale (alors que le père reste invisible), ne serait-ce que parce qu’on attend d’elle, non seulement un appui moral, mais encore son consentement à une séparation longue et quelquefois même définitive, au départ pour de lointains horizons475 :
‘Tout cela, je sais bien, te pèse au cœur […] Si tôt se séparer. Je t’en supplie, ne répète pas que je suis un homme d’aventures. La vie du missionnaire a-t-elle jamais été une vie d’aventures ? Le Bon Dieu m’appelle à vivre loin de la maison paternelle, que sa Volonté soit faite ! Je sais bien que tu prononceras bravement le Fiat 476. ’C’est avec les mères, parfois, que s’accomplissent les démarches qui mènent vers l’entrée aux Missions Étrangères :
‘Te rappelles-tu la lettre qu’on griffonna tous deux, rue du Pin, un soir, pour demander mon admission à Mgr de Guébriant, supérieur des Missions Étrangères, aussitôt après le bac ? […] C’est toi qui obtins de l’évêque d’Angers la permission canonique pour mon départ pour Paris477.’C’est à elles, ensuite, que les missionnaires réservent souvent leurs premières impressions, puis le récit de leur vie en mission, en profitant pour rendre hommage à l’éducation qu’elles leur ont dispensée :
‘Ô, ma chère mère […] qu’il est difficile de changer ces pauvres idolâtres, d’en faire des hommes et des chrétiens, d’implanter dans leur cœur la croyance et l’amour d’une vie supérieure, de mettre à la place de leurs mœurs et de leurs pratiques dépravées les inspirations de cette religion sainte qui heurte tous leurs penchants et toutes leurs habitudes ! Nous qui sommes nés, qui avons été élevés et instruits depuis notre berceau dans la foi chrétienne, nous la trouvons si vraie, si naturelle que nous ne comprenons pas la révolte contre son doux empire ; ici, il en est autrement478.’Mais il peut arriver bien sûr, qu’une mère, au contraire, veuille contrecarrer la vocation de missionnaire affichée par son fils :
‘Un élève de Lesneven, y faisant d’excellentes études est désireux d’entrer à Beaupréau l’an prochain […] la maman ne recherche nullement ma protection et est navrée de la décision de son fils au point qu’il faudra m’attendre à des difficultés de sa part […] 479. ’Le choix des missions peut même aller jusqu’à provoquer d’âpres objections, contraignant le séminariste à rompre tout lien avec ses proches, ce que l’on fait rarement de gaîté de coeur :
‘Je vous remercie beaucoup de votre dernière lettre du 28 février. Vous avez eu précédemment l’occasion de voir que mes bien-aimés parents m’ont tout pardonné, le « crime », j’entends, par lequel je n’ai pas, je crois, offensé Dieu. J’admire donc les pauvres gens et prie le bon Dieu de leur rendre au centuple pour leur pieuse disposition. Vous vous êtes intéressé aussi à m’engager à retenir les larmes si quelque personne chère a réclamé auprès de moi. Merci, mon bon Père Albrand, la consolation est une charité douce et sainte, c’est le baume qui guérit bien des cœurs et les soulage. Mais j’ai tant souffert, j’ai si violemment brisé mes affections les plus énergiques de famille, qu’il me semble que tout est mort pour moi ici bas depuis longtemps, qu’il ne me sert plus qu’à me séparer de moi-même, et que la source de mes larmes est presque tarie480.’Dans ces familles chrétiennes, souvent nombreuses, une partie des enfants entre dans les ordres, – les filles chez les religieuses, les garçons dans le clergé séculier, régulier –, ou rejoint les missions481. Dans la famille de Jean-Claude Miche, par exemple, les vocations religieuses proviennent exclusivement de sa famille proche. Son frère Joseph-Victor fut ordonné prêtre. Un autre de ses frères aînés, Jean-Baptiste, donna trois de ses six enfants à l’Église. Son second fils, Jean-Baptiste, né en 1822, fut curé de la Chapelle-aux-Bois (où il mourut en 1883). Deux de ses filles, Marie-Louise-Élisabeth et Julie-Scolastique, nées respectivement en 1826 et 1831, se retirèrent au couvent des religieuses du Saint-Cœur de Marie, à Nancy482.
Lorsque les garçons étaient destinés aux études, ils commençaient généralement par le presbytère. Dans les écoles presbytérales s’opérait en quelque sorte un écrémage. Les élèves les plus pauvres, qui ne pouvaient payer leur scolarité au collège le plus proche, – certains étaient même logés sur place pour une pension modique –, recevaient un enseignement gratuit qui les orientait vers la poursuite d’études ecclésiastiques, les préparant à entrer au grand séminaire. Le curé de la paroisse leur enseignait le français et le latin, les initiait à la rhétorique, expliquait les différents auteurs, par exemple à partir des Études latines de Lhomond. Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, a fréquenté une telle école, à Écully. Après avoir été, un temps, inquiétées par l’Université impériale (qui voulut, en 1808, les rendre payantes, ce qui en aurait écarté la plupart des élèves), ces écoles furent protégées par une ordonnance du 27 février 1821 qui, exonérant les prêtres et leurs ouailles de toute rétribution, avait confirmé leur gratuité. Cependant, elles disparurent progressivement, au profit des petits séminaires483. Placés dans le droit commun par un décret de 1811, à l’instigation, une fois encore, de l’Université impériale, qui voulait empêcher ces écoles secondaires ecclésiastiques de faire concurrence aux autres établissements scolaires, les petits séminaires bénéficièrent finalement d’une pleine liberté, grâce à la loi Falloux de 1850. D’abord laissés à la discrétion des évêques, la République les soumit à l’autorité des inspecteurs d’Académie (en 1882) ; ceux-ci en furent dessaisis trois ans plus tard, en faveur des préfets, responsables des cultes. À la veille de la loi de Séparation, on comptait au moins deux petits séminaires par diocèse (soit 143 en 1905). Antichambres des grands séminaires, ce furent de véritables pépinières de vocations sacerdotales jusque dans les années 1960, lorsque les lois Debré et Berthoin, proposant des contrats d’association aux écoles religieuses et instituant les Collèges d’Enseignement Général, en précipitèrent partout la fermeture. Nombre de missionnaires des MEP, entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècle, y firent l’essentiel de leur scolarité484. Les règlements intérieurs, souvent draconiens, y prédisposaient les élèves à se plier à celui d’un grand séminaire : lever tôt, messe de bonne heure, deux courtes récréations, cadre de vie austère, alimentation frugale voire médiocre, cours et études jusqu’à la tombée du jour, prière le soir, coucher tôt. Les matières enseignées étaient assez variées : instruction religieuse, sciences naturelles, mathématiques, histoire et géographie, langues anciennes. Or, les consignes transmises aux maîtres insistaient souvent sur ce principe : il convenait de ne pas farcir l’esprit des élèves de connaissances inutilement érudites et de se borner à leur montrer ce qui suffirait à la formation d’un bon prêtre485. Elles rejoignaient, en cela, l’ancienne tradition pédagogique des Missions Étrangères. Dans les Monita ad missionarios, les fondateurs de la Société écrivaient :
‘Nous n’avons pas l’intention de blâmer ici la science dans l’ouvrier évangélique. L’Église a toujours requis de ses ministres une sérieuse instruction. Mais nous voulons distinguer les connaissances qu’il faut acquérir de celles auxquelles il faut renoncer. Il y a en effet une doctrine sainte et sacrée, donnée par Dieu dans la révélation […]. Mais il y a aussi une science humaine et sophistique, à laquelle manque le solide fondement de la foi […]. Le missionnaire […] ne doit avoir qu’un seul but : former à l’humilité et à la docilité, sans souci de former des lettrés et des savants486.’Ces vues sur l’éducation ont constamment inspiré l’action des missionnaires, autant pour la formation des nouvelles recrues, au séminaire de la rue du Bac, que pour celle des séminaristes indigènes, dans les missions. Naturellement, les conceptions pédagogiques mises en œuvre à Penang en sont directement tirées. En 1780, Mgr Pottier, par exemple, donnait ce conseil aux directeurs du Collège, alors établi en Thaïlande : « Il semble que, si nos écoliers ont assez de latin pour entendre facilement les auteurs de théologie et de morale, cela doit suffire 487 . » Un peu moins d’un siècle plus tard, Claude Tisserand, ancien supérieur du Collège général, reprenait la même idée : « Ce sont des prêtres humbles et pieux, attachés avant tout aux sciences ecclésiastiques qu’il faut dans nos missions et non des académiciens 488. » Plus tard, lorsqu’il fut question de faire du Collège une université de théologie, c’est ce même argument qui servit aux détracteurs du projet. La formation dispensée aux missionnaires, ne visant pas à produire une « caste de savants orgueilleux », mais d’efficaces ouvriers apostoliques est, par conséquent, relativement sommaire, se limitant à ce qui leur sera utile en mission :
‘Pendant le séjour des aspirants au séminaire, le supérieur et les directeurs s’appliqueront à bien examiner leur vocation, leur caractère et leurs dispositions ; à les former de plus en plus à une piété solide et aux habitudes de la vie intérieure ; à leur enseigner la théologie et les autres branches de la science ecclésiastique qui conviennent aux missions489.’Certains jeunes missionnaires ont poussé plus loin leurs études : « M. Delpech a soutenu une thèse publique sur toute la théologie dogmatique. Il est maître de plain chant, il connaît aussi la musique et sait un peu toucher de l’orgue 490 .» Jean l’Hour, qui fut l’un des derniers directeurs français du Collège de Penang, avait pu consacrer plus de temps que la plupart de ses prédécesseurs aux études universitaires (en dehors de la rue du Bac) :
‘J’ai suivi le cursus de base des Missions Étrangères. En 6e je suis entré au petit séminaire des Missions Étrangères, à Beaupréau. Puis ce fut Bièvres et la Rue du Bac, où je n’ai passé qu’une année. J’ai étudié à Rome pendant cinq ans, à l’Université grégorienne des pères jésuites, et au séminaire français. Puis je suis allé à l’école biblique de Jérusalem pendant un an491.’Les missionnaires de sa génération contribuèrent très largement à l’aggiornamento intellectuel du Collège, au moment du concile de Vatican II. Les aspirants passent un an en moyenne au séminaire de la rue du Bac. La durée des études semble cependant s’allonger pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Vers 1870, les missionnaires restent deux ou trois ans au séminaire avant de partir pour l’Asie, sauf s’ils sont entrés dans la société en étant déjà ordonnés. Ce cas, qui se produit quelquefois, est prévu par le règlement :
‘Tous les aspirants passeront au moins un an dans le séminaire. S’ils sont déjà prêtres, ils ne s’en prévaudront point pour se croire exempts de l’obligation d’observer le règlement ; au contraire, ils se regarderont comme plus étroitement obligés de donner à leurs confrères l’exemple de la régularité, de l’obéissance et de la piété492. ’Adrien Launay, dans son Histoire de la Société des Missions Étrangères, décrit en ces termes la formation au séminaire de Paris :
‘L’enseignement est à peu près semblables à ceux de nos grands séminaires de France, avec cette différence que la formation spirituelle, comme les études philosophiques et théologiques, sont plus spécialement dirigées vers la pratique du saint ministère dans les missions. La chose est du reste facile à réaliser, puisque les directeurs des deux séminaires sont des missionnaires ayant passé plusieurs années dans les missions ou dans les établissements communs de la Société en Extrême-Orient. Le cours complet des études est de quatre années et comprend la philosophie, la théologie dogmatique et morale, l’Écriture Sainte, le droit canon et la liturgie. La durée des études et du temps de probation est au moins d’une année, pour ceux qui, en entrant, sont déjà prêtres, et de quatre ans pour ceux qui n’ont pas encore commencé leurs études philosophiques ; pour les autres, elle est fixée entre ces deux termes493.’Au début du XXe siècle, la durée des études s’allonge. Elles atteignent jusqu’à six ans dans de rares cas (ceux d’aspirants mobilisés pendant la Grande Guerre, qui ont dû interrompre leurs études momentanément et les reprendre après la démobilisation). En général, la période des études n’excède pas cinq années494 :
‘Le séminaire possède deux maisons, l’une à côté de Paris, à Bièvres, où les séminaristes font leurs deux premières années d’étude, l’autre, rue du Bac, où ils passent trois années pour terminer leurs études. Ce que je ne ferai pas à Bièvres, je le ferai au séminaire d’Angers ; j’y passerai les deux premières années, plus les 18 mois de service militaire et les trois dernières années, je les ferai à la rue du Bac. À Paris, nuls frais de pension. Les vacances sont d’un mois par an495.’Dans leur correspondance, les missionnaires n’évoquent que très rarement les années de formation. Le témoignage de Francis Audiau est donc particulièrement opportun. Il montre à la fois la diversité et la conformité des trajectoires qui menaient aux Missions Étrangères. En 1933, de Pondichéry, il écrivait à sa mère, faisant le bilan de ses études :
‘À l’école primaire de Saint-Lambert du Lattay, j’ai été bien paresseux, mais j’en suis tout de même sorti avec une bonne mention de certificat d’études primaires. Ce fut ensuite la volonté tenace d’être prêtre, d’apprendre le latin. Le Collège de Combrée où je passais six ans me permit de travailler, de lutter […] Alors ce fut le baccalauréat, le grand séminaire. Ma vocation missionnaire s’affermissait496. ’On aura observé l’association automatique du sacerdoce et de l’apprentissage du latin. Le choix de la prêtrise est précoce ; celui des missions vient plus tard. Dans cette vocation sacerdotale, sa mère a joué un rôle déterminant, dont il est pleinement conscient :
‘Ma mère a voulu la sainteté de sa vie. Elle n’aurait jamais manqué sa messe du matin, malgré ses occupations et préoccupations. Elle m’a certainement appris, par son exemple et sa persévérance, à mieux comprendre la nécessité de l’Eucharistie dans nos vies et je lui en suis profondément reconnaissant, puisque elle a ainsi contribué à m’acheminer vers le sacerdoce497.’Mais ce futur prêtre est aussi un rejeton des institutions républicaines. Il obtient le certificat d’étude, passe le baccalauréat, examens qu’il n‘a pas préparés au petit séminaire, mais dans les établissements scolaires des environs ; après quoi, il fait son service militaire. Sa formation religieuse, à proprement parler, ne débute donc qu’au grand séminaire d’Angers, qu’il aura beaucoup de difficulté à quitter pour la rue du Bac, car les évêques tendent alors à retenir pour les besoins du diocèse les postulants qui se font plus rares, dans ces temps de crise des vocations : « Ce ne fut pas facile d’obtenir la permission de l’évêque d’Angers d’entrer aux Missions Étrangères. Il y eut d’abord un premier refus. Le supérieur du grand séminaire était d’avis que je reste dans le diocèse 498 . » Dans d’autres cas, la trajectoire menant aux missions est beaucoup plus rectiligne : « Je suis originaire d’un petit bourg du Finistère. Les Missions Étrangères sont ma famille, depuis l’enfance […] . Pour moi, la question ne se posait pas : je serai missionnaire 499 . » Ici, la vocation de missionnaire est décrite comme étant le produit d’une sorte de déterminisme sociologique irrésistible, – un petit bourg du Finistère, un environnement chrétien –, qui ne laisse place à aucun doute. L’agrégation à la Société n’est pas immédiate. Après l’entrée au séminaire, une période probatoire d’un an permet aux directeurs d’observer les recrues, de discerner la valeur de leur vocation : « Pendant le séjour des aspirants au séminaire, le supérieur et les directeurs s’appliqueront à bien examiner leur vocation, leur caractère et leurs dispositions 500. » Si des capacités intellectuelles ordinaires sont requises, ainsi qu’une bonne pratique du latin501, le règlement insiste sur quelques conditions préalables indispensables, que les directeurs du séminaire veilleront à déceler chez les postulants et dont l’absence constituerait un empêchement à leur admission définitive :
‘Ils ne les recevront qu’après avoir pris sur leur compte des informations très exactes ; et si les aspirants reçus par eux ne sont pas encore dans les ordres sacrés, ils ne pourront les promouvoir au sous-diaconat qu’après une épreuve très sérieuse, qui sera d’au moins un an et à la majorité des deux tiers du conseil502.’Sur quoi portent ces informations ? Essentiellement sur la légitimité de la naissance, la validité et la permanence de l’union des parents, l’existence de « tares » familiales. Le droit canon, sur ces questions, était intransigeant503. Mais il ne suffit pas d’être « bien né » et l’on préfère la qualité à la quantité :
‘Le supérieur et les directeurs considèrent que l’honneur et l’existence même de la Société dépendent des bonnes qualités des missionnaires ; qu’il vaut mieux en avoir peu mais bien choisir, que d’en avoir un grand nombre dont plusieurs seraient faibles, peu zélés ou d’un caractère indocile504.’Les deux principales qualités morales exigées des aspirants sont, en effet l’obéissance et l’abnégation :
‘Une soumission sans réserve pour le Saint-Siège, une docilité entière envers leurs supérieurs, un détachement absolu d’eux-mêmes et de leurs propres vues et une disposition toute apostolique à accepter comme venant de Dieu même la mission et les emplois qui leur seront assignés505.’Une partie de l’enseignement reçu au séminaire des missions porte donc sur l’apprentissage et l’approfondissement de ces deux vertus indispensables pour une bonne intégration à la Société : la soumission et l’oubli de soi. Quoique d’un esprit indépendant, la Société des MEP n’oublie pas qu’elle est inféodée à la Propaganda Fide. D’autre part, les futurs missionnaires ne sont jamais consultés au sujet de leur affectation : ils n’apprennent leur destination que le jour de la cérémonie du départ, dans la chapelle de la rue du Bac, selon l’antique tradition des Missions Étrangères. Le règlement veille cependant à adoucir et à équilibrer cette discipline :
‘Si, d’un côté, les missionnaires doivent témoigner toute sorte de respect et d’obéissance à leurs supérieurs, comme étant revêtus de l’autorité de Dieu, et représentant le vicaire de Jésus-Christ ; d’un autre côté, les supérieurs doivent traiter leurs missionnaires en frères avec la plus grande charité, les regarder comme leurs conseillers fidèles et leurs amis naturels, éviter de les choquer, de les rebuter ou contrister sans nécessité […] et s’efforcer par tous les moyens en leur pouvoir, de leur rendre doux et léger sur ces terres lointaines et souvent inhospitalières, le fardeau du ministère apostolique506.’Les études au séminaire de la rue du Bac ne se limitent pas à ces dimensions psychologiques et morales. Les aspirants y reçoivent une formation spirituelle et théologique507 : « Les directeurs s’appliqueront à les former de plus en plus à une piété solide et aux habitudes de la vie intérieure ; à leur enseigner la théologie et les autres branches de la science ecclésiastique qui conviennent aux missions 508. » Au XIXe siècle, l’enseignement ecclésiastique fut rénové ; les MEP ne restèrent point à l’écart de ce courant. Mgr Affre, dans sa « Lettre sur les études ecclésiastiques » de 1841, insistait sur la nécessité de donner aux clercs, en complément de leurs études théologiques, une instruction élargie aux domaines des sciences profanes, philosophie et histoire notamment ; dans certains séminaires, on enseignait parfois même les mathématiques et les sciences naturelles509. Rue du Bac, l’ouverture à d’autres disciplines fut appliquée, mais avec cette réserve cependant, qu’elle devait se cantonner dans ce qui serait utile aux missions510. Dans l’ensemble, le séminaire des Missions Étrangères ne différait guère des autres séminaires français. Les horaires, le type de piété, les méthodes pédagogiques, y ont été, comme ailleurs, inspirés par le parangon des séminaires : celui de Saint-Sulpice511. Après 1850, l’influence de l’ultramontanisme s’y fait sentir. Le gallicanisme recule et avec lui le poids de l’école française de spiritualité, l’ascendant d’Alphonse de Liguori et de Bérulle diminue, au profit du thomisme et du droit canon512. Jusqu’en 1840, chaque candidat aux missions devait copier de sa main un cahier de décrets de la Propaganda Fide, qu’avait réunis deux missionnaires réfugiés auprès du Saint-Siège, Boiret et Descourvières, et en faire le commentaire513. En 1840, le cahier, qui contenait la fameuse Instruction de 1659, fut lithographié ; il devint donc inutile de le recopier514. Les aspirants devaient également étudier le règlement de la société et découvraient l’histoire des origines des MEP dans un ouvrage de 1803, en deux volumes, intitulé « Histoire de l’établissement du christianisme dans les Indes orientales.»
Les programmes, les pratiques de piété, les ouvrages de référence semblent avoir relativement peu évolué entre 1850 et 1950. Dans les années cinquante, l’histoire des missions était toujours étudiée à travers les ouvrages d’Adrien Launay, conçus au siècle précédent515. Seule concession palpable à la « modernité », la doctrine sociale de l’Église est abordée à l’occasion du cours de théologie morale, de même que les théories socialistes et la doctrine marxiste516. Il n’est cependant pas question d’entrer ici dans le détail de l’organisation et du contenu des études à la rue du Bac. Les règles et les méthodes en usage au Collège de Penang en sont le fidèle reflet et, à travers leur description, nous reconnaîtrons l’empreinte du séminaire des Missions Étrangères. Disons simplement que l’enseignement au séminaire des MEP ne visait nullement à former des théologiens érudits. Les missionnaires, conformément aux instructions romaines, devaient être toutefois en mesure de défendre la doctrine face à ses contradicteurs :
‘Pour le missionnaire, avant qu’il n’aborde l’apostolat, qu’on le prépare avec soin en dépit de ce qu’on pourrait dire, à savoir que la connaissance de tant de choses n’est pas nécessaire pour annoncer l’Évangile à des nations si éloignées de la civilisation. Car bien qu’il ne puisse pas y avoir de discussion pour savoir ce qui est le plus utile, pour le salut des âmes, de la vertu ou de la science, cependant, si quelqu’un n’est pas muni d’une forte doctrine, il en sentira le déficit pour le fruit de son saint ministère […] il ne conviendrait certes pas que les messagers de la vérité fussent inférieurs aux ministres de l’erreur517.’À partir du moment où, dans l’après-guerre, le Collège de Penang chercha à s’élever au rang et au niveau d’une université romaine, les futurs professeurs eurent à parfaire leurs études, ce qu’ils firent hors du séminaire de la rue du Bac :
‘Si la majorité des nouveaux missionnaires partaient après leur ordination […] un certain nombre d’entre eux poursuivaient des études spécialisées, souvent pour étoffer le corps enseignant, au Collège général de Penang […] En ce qui concerne les études bibliques et théologiques, les Pères étaient inscrits dans les universités catholiques, à l’Institut catholique de Paris, à Rome à l’Institut biblique, à l’université grégorienne, à l’École biblique de Jérusalem. Dans le domaine des sciences humaines, ils étudiaient à Paris (Institut catholique, Sorbonne) ou à Lille (Institut catholique, université). Certains missionnaires se spécialisaient dans les sciences : mathématiques, physique, chimie, sciences naturelles, géologie518. ’Y avait-il une spécificité des études au séminaire de la rue du Bac ? Les Monita ad missionarios recommandent « l’expérience des lieux » et « l’étude des langues 519 ». Nous touchons là aux fondements de la méthode des Missions Étrangères, elle-même inspirée par l’Instruction donnée en 1659 par la Propaganda Fide, « à l’usage des vicaires apostoliques », laquelle stipulait notamment que les missionnaires se garderaient de chercher à transplanter la culture européenne en Asie : « Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l’Espagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe 520 ? » Les Monita les incitent plutôt à « s’appliquer avec le plus grand soin à connaître l’état de toute la mission », afin, tel un cultivateur, « de connaître la nature de son terrain, pour être à même de labourer à l’époque convenable et de lui donner une culture appropriée 521. » Il convient de déceler chez les peuples les qualités propres sur lesquelles appuyer l’évangélisation : « Il s’inquiètera de ce qui peut le plus contribuer à lui attacher les cœurs ». Tout ceci suppose donc que soient connus « les mœurs locales et les goûts des populations », mais également les dispositions des puissants à l’endroit de la nouvelle religion : « Il s’informera particulièrement des dispositions des princes régnants, soit en faveur de la religion chrétienne, soit contre elle. » La méthode préconisée ici désigne deux cibles au missionnaire : les populations, dont il gagnera la confiance en respectant les us et coutumes locaux, les puissants, qu’il cherchera à convertir, en escomptant qu’ils appliqueront ensuite le principe cujus regio, cujus religio 522 . Cette manière de faire implique, inévitablement, que soient connues les langues locales :
‘La mission de prêcher entraîne avec elle la nécessité d’étudier les langues […] Même assisté de l’interprète le plus habile, le missionnaire n’aura guère de succès s’il ne possède lui-même la langue du pays […] Le missionnaire ne se lassera donc pas de s’appliquer à ce travail aussi longtemps que de nécessité […]. Il doit se faire comprendre non seulement des savants, mais aussi des illettrés523. ’On voit qu’il ne suffit pas d’étudier les langues seulement par goût ou par intérêt pour les civilisations orientales, mais bien afin de rendre la prédication intelligible dans toutes les couches de la société. Aussi, les règlements insistent-ils tous sur cet indispensable apprentissage :
‘Ils prendront aussi tous les moyens utiles pour s’assurer que les nouveaux missionnaires s’appliquent sérieusement à l’étude des langues indigènes (selon l’esprit du décret de la S. Congrégation du 21 mars 1774). Ils faciliteront en outre aux anciens une étude plus approfondie des mêmes langues524.’En Asie, les missionnaires constatent mieux encore l’utilité de connaissances linguistiques, sans lesquelles les prêtres français seraient isolés et incapables de remplir leur rôle apostolique : « Il faut de toute nécessité que les maîtres de ce collège sachent les langues des pays de leurs disciples, qu’ils soient au fait des mœurs, des usages, des abus, des vices, des superstitions, des états d’idolâtrie qui y règnent 525 », écrivait Claude Letondal, refondateur du Collège de Penang, aux directeurs de Paris, en 1808. Mais personne ne se cache le caractère ardu et presque surhumain d’une telle entreprise : « En tout ceci, il devra plus attendre de la prière que de son travail 526 », affirment les auteurs des Monita. Paradoxalement, cette difficulté, presque toujours vaincue, – l’apport des MEP à l’étude des langues orientales est remarquable527 –, a parlé en faveur de la formation d’un clergé indigène apte à se substituer aux européens, premier objectif assigné aux MEP par Rome. L’acquisition des langues orientales demande de tels efforts, qu’elle doit être entamée le plus tôt possible :
‘Dans votre lettre commune vous parlez du désir exprimé par la mission de Chine que nous envoyions au Collège de Pinang un missionnaire âgé de trente ans et quelques années. Un prêtre de cet âge aurait de grands avantages sous certains rapports ; l’expérience qu’il aurait déjà acquise et la connaissance du saint Ministère le rendrait plus propre pour l’enseignement de la théologie morale qu’un jeune prêtre qui sort du séminaire. Mais aussi à cet âge les missionnaires ont plus de difficultés à apprendre les langues ; et il est essentiel que les missionnaires qui sont au séminaire de Pinang sachent le chinois et convenable qu’ils sachent quelqu’une des autres langues qu’on parle dans l’île528.’Les règlements y veillent. Celui de 1874 stipule que les supérieurs, « n’admettront point de sujets âgés de plus de 35 ans, à moins qu’ils ne soient doués d’une très heureuse mémoire qui les rendre propres à apprendre les langues étrangères et qu’ils ne joignent à une piété éminente une capacité spéciale529. » Quand l’étude des langues commence-t-elle ? Le règlement de 1874 paraît indiquer qu’elle précèdera l’envoi en mission : « Ils veilleront à ce que les jeunes confrères apprennent convenablement les usages et la langue du pays et leur en fourniront tous les moyens avant de les envoyer exercer le saint ministère530. » Or, les aspirants ne connaissent leur destination qu’à l’issue des études au séminaire, après une retraite de quelques jours, au terme de laquelle ils s’engagent par écrit, devant le Saint-Sacrement et en présence de l’assemblée des directeurs, à rester fidèle à la Société531. L’étude de la langue du pays d’affectation ne débute donc réellement qu’une fois les études de théologie achevées et la destination connue, dans le bateau :
‘Que nos chers confrères qui s’embarquent étudient l’une de ces langues dès le premier jour de leur navigation. Cela leur servira beaucoup plus que les videtur quod de St Thomas ou les Arguments de Malebranche. Nos grosses provisions de livres sont des folies, heureusement que les vers nous débarrassent de ce superflu. Un bon théologien, la bible, dictionnaire anglais et portugais, le concile de Trente et pour les plus fervents l’Imitation de Jésus-Christ, voilà tout ce qu’il faut à un missionnaire dans l’Inde et dans la Chine532.’Ainsi se dessine l’image intellectuelle du missionnaire : pourvu d’un savoir théologique suffisant, mais débarrassé des vaines subtilités, il s’attelle, dès qu’il a quitté la France, à l’étude d’une ou de plusieurs langues, pour se rendre utile à la mission dans laquelle on l’envoie et selon les besoins des vicaires apostoliques. En 1836, Jean-Claude Miche écrit :
‘Arrivés le 5 décembre sur le navire portugais le César. Nous pensons retourner bientôt à Pinang où nous serons probablement mandés par M. Régereau. Là, nous pourrons plus facilement qu’à Syngapour, apprendre la langue annamite, si nous devons aller en Cochinchine, l’anglais et le malais si nous restons à la disposition de Mgr de Bide533.’Comment les arrivants procédaient-ils pour l’étude des langues ? D’une part, ils bénéficiaient de l’expérience de leurs aînés. Petit à petit, des outils avaient été forgés, des dictionnaires notamment534.Jean Pupier composa un catéchisme en malais, édité en deux tomes par l’Imprimerie royale, en 1826, après le décès de son auteur535. François Albrand publia en 1834 un dictionnaire latin-malais et un catéchisme malais :
‘J’ai vu le spécimen de catéchisme malais que vous faites imprimer. Je trouve les caractères trop menus pour des enfants. Surtout, dans ce que vous faites en malais, allez-y tout doucement. Vous avez déjà laissé échapper même dans le credo un mot qui change notre croyance. On dit bien conceptus est de spiritu sancto mais on ne dit pas conçu « avec » le Saint-Esprit536. ’Pierre-Étienne Favre devint professeur titulaire à l’École des Langues orientales en avril 1854. Il publia de nombreux travaux (dont le premier dictionnaire malais fiable537), qui lui valurent la croix de chevalier de la Légion d’honneur et le titre d’Officier de l’Instruction publique.Plus tard, Jean Davias-Baudrit, à partir des notes de ses confrères, Louis Hutinet et Paul Crétin538 sur les langues des minorités du Vietnam, conçut trois dictionnaires (français-bahnar-sedang539, bahnar-sedang-français et rhadé-français). Par ailleurs, les nouveaux venus trouvaient, en certains de leurs futurs élèves, des répétiteurs et parfois même des maîtres compétents :
‘Réellement, je crois qu’on ne pouvait pas mieux faire que de me faire sortir de Pinang puisque je n’y apprenais que le Tehennoi et que cette langue est à peu près inconnue dans toute l’étendue de cette mission. On ne la parle qu’au collège de Pinang et évidemment ce n’était pas là que je devais accomplir ma mission. Cependant ce séjour m’a été très favorable même pour le chinois, pour le rapport des caractères et des tons chinois. J’avais pour maître un élève Tehennoi assez fort et accoutumé déjà à professer cette langue puisqu’il l’avait déjà professée à M. Fabre. En arrivant ici il est vrai que je n’entendais pas un mot du chinois que l’on parle ici mais au moins j’avais une idée du génie de cette langue et il m’a été plus facile de m’y familiariser540.’Cette pratique est courante aux Missions Étrangères. F. Audiau y eut recours à son tour, un siècle après son confrère Jean-Baptiste Mauduit, pour étudier le tamoul :
‘Monseigneur me donna un professeur de tamoul et un professeur d’anglais ; les deux langues indispensables pour faire du ministère dans le sud de l’Inde. Pour le Tamoul, ce fut un Tamoul qui enseignait à l’école Saint-Michel, près de la cathédrale et qui s’appelait Ignassi Gaounder. Suivant l’usage de ce temps-là, il avait la tête rasée, avec seulement une petite touffe de cheveux au sommet de la tête. Homme de grand dévouement et d’inlassable patience, il m’enseignait le tamoul par l’intermédiaire de l’anglais, que je connaissais un peu pour l’avoir appris au collège dans ma jeunesse. Quant à mon professeur d’anglais, ce fut un Anglais authentique d’Angleterre, qui habitait Coimbatore et qui s’appelait M. Hailstone […] La langue tamoule, langue dravidienne très ancienne et très riche, est si difficile que toute une vie n’y suffit pas. Toutefois, au bout d’un an ou deux d’études suivies, on arrive à la parler assez convenablement.541 ’Il n’est pas possible d’évaluer le niveau de maîtrise des langues orientales auquel les missionnaires atteignaient. Nous savons toutefois qu’ils avaient à en faire usage quotidiennement. Les directeurs du Collège de Penang devaient enseigner en latin. Mais le niveau de compréhension de leurs élèves, en particulier des plus jeunes, était souvent si faible, qu’il leur fallait aussi donner certains cours dans les langues vernaculaires, en vietnamien et en chinois notamment542 :
‘Quand vous dites qu’il suffit que chacun des directeurs sachent une des langues que l’on parle au Collège, et qu’au bout d’un certain temps tous les élèves doivent parler le latin, vous semblez oublier que c’est à peine si au bout de trois à quatre ans les élèves savent assez de latin pour entendre les explications qu’on leur donne dans cette langue543.’La plupart des directeurs connaissaient l’anglais, indispensable pour entretenir de bonnes relations avec les autorités britanniques et la population coloniale de l’île ainsi que le malais544. En 1821, Pierre Pécot, qui vient d’arriver, écrit : « Il faut savoir l’anglais, cela est indispensable, le malais ensuite. La langue anglaise est maintenant la langue du commerce dans toute l’Inde comme jadis la langue portugaise 545 . »Mais les autres langues parlées par les élèves devaient être également connues. Jacques Chastan étudia le coréen ; Victor Martin l’annamite, le cambodgien et le chinois ; Hubert Monjean le tamoul. Certains directeurs, enfin, se spécialisaient dans les langues anciennes. Jean L’Hour, destiné à l’enseignement exégétique, avait étudié, en plus des langues modernes, l’hébreux à l’École biblique de Jérusalem : « J’avais commencé à étudier l’arabe, puisque la Malaisie est un pays musulman, en me disant que cela pourrait être utile pour dialoguer ; mais à mon arrivée, on m’a vite fait comprendre que ce n’était pas nécessaire 546 ! » Dans les années cinquante, seul l’anglais était enseigné au séminaire. L’initiation aux langues et aux cultures locales avaient encore lieu après l’envoi en mission, conformément au coutumier et au règlement de 1874, toujours en vigueur547 : « La formation à l’arrivée en mission dure trois ans et comporte l’étude des langues et l’initiation à l’histoire, à la culture et aux religions du pays 548. » Il n’y avait donc pas d’enseignement missiologique à proprement parler au séminaire des Missions Étrangères. Tout au plus les professeurs, s’appuyant sur leurs souvenirs, prodiguaient-ils de sages conseils aux aspirants, afin qu’ils puissent s’adapter sans trop de heurt à leur nouvelle vie. Il s’agit, dans ce cas, de faire en sorte, « dans les enseignements et dans les conversations », de préparer les jeunes, souvent idéalistes, à cohabiter avec leurs aînés, que l’expérience de la vie en mission a rendus peut-être plus réalistes, moins impatients. Plus généralement, les professeurs devront lutter contre les préjugés qui retardent l’acclimatation des jeunes à la vie dans les pays d’Asie :
‘Examinez bien les aspirans, afin qu’ils soient solides au poste et qu’ils ne se scandalisent pas pour la moindre chose. Pour moi, je connais si bien les nouveaux missionnaires que je fais tout mon possible pour leur donner une bonne idée de ces pays et je me garde bien de leur raconter des choses propres à les décourager549.’Dans l’entre-deux-guerres, la méthode n’avait guère évolué : le supérieur des Missions Étrangères émaillait toujours la lecture spirituelle hebdomadaire de ses recommandations :
‘Mes enfants, quand vous serez en mission, ne faites pas comme les missionnaires américains qui donnent le mauvais exemple en faisant venir des boites de conserve d’Amérique, au lieu de manger le bon riz chinois comme tout le monde. Le missionnaire doit avoir une âme de pauvre, comme l’apôtre Paul. Rappelez-vous ses paroles : Scio abundare et esurire… 550 .’La situation reste quasi identique dans les années cinquante : « Il n’y avait pas d’enseignement officiel de missiologie et on pouvait même observer qu’il y avait une certaine méfiance vis-à-vis des missiologues 551 . » Le cours de théologie dogmatique fournissait la matière à des comparaisons avec les religions d’Asie ; on commentait les encycliques missionnaires de Pie XI et de Pie XII : « Les aspirants avaient à leur disposition des revues de théologie, de spiritualité comportant des réflexions sur la mission. » Les jeuness’inspiraient de l’expérience de leurs aînés en lisant les publications de la société, les Annales, les Lettres communes, où l’on décrivait la vie dans les différents pays de mission. Des missionnaires de passage donnaient des conférences, mais aussi des prêtres expulsés de Chine ou du Vietnam par exemple, après 1949 : « Il y avait donc une véritable ouverture aux problèmes des missions grâce au séjour, rue du Bac, des missionnaires de passage ou en congé, et des évêques et des prêtres d’Asie. » Les étudiants, enfin, lisaient le Bulletin de la Société des Missions Étrangères : « Imprimé à Hong-Kong, il avait un contenu très riche : articles de spiritualité missionnaire, nouvelles des missions, études sur les religions non chrétiennes, sur les coutumes des différentes ethnies, problèmes de l’Église dans les pays communistes 552 . » Les témoignages concordent en ce qui concerne cet aspect de la formation au séminaire des missions :
‘Lors des études, nous n’avions presque aucune formation missiologique. L’essentiel de notre préparation à la mission, rue du Bac, venait des témoignages des missionnaires de passage, qui nous racontaient des histoires. Nous n’avions pas non plus de formation à la pastorale, ni à la pédagogie. Or, on m’envoyait enseigner à Penang553.’À l’issue des études, les aspirants recevaient, s’ils ne les avaient déjà, les ordres majeurs (sous-diaconat, diaconat, prêtrise). L’ordination sacerdotale était conférée dans la chapelle des Missions Étrangères, soit par l’archevêque de Paris, comme ce fut le cas pour Joseph Laigre, – ordonné par Mgr Affre en juin 1847 –, soit par le supérieur des missions. Francis Audiau, par exemple, fut ordonné par Mgr de Guébriant : « Après le sous-diaconat et le diaconat, je fus appelé à la prêtrise, et le 29 juin 1932 fut le plus beau jour de ma vie, quand je reçus l’ordination sacerdotale des mains de Mgr de Guébriant. » Dans l’ensemble, les aspirants étaient ordonnés assez jeunes. Les futurs directeurs du Collège de Penang avaient, en moyenne, entre 22 et 25 ans lors de leur ordination (46 sur 62). Cela correspond à l’âge moyen de l’ordination en France554. Au XIXe siècle, il semblerait que les jeunes missionnaires fussent ordonnés un peu plus tôt que leurs condisciples des grands séminaires diocésains ; peut-être parce que leurs études de théologie étaient un peu plus rapides, et que leur formation se poursuivait dans les pays de mission. L’âge de l’ordination augmente légèrement au siècle suivant ; il est situé entre 26 et 29 ans. Après la solennité de l’ordination, célébrée dans la chapelle des missions, la période des études est rituellement clôturée par la cérémonie du départ des missionnaires. Les « partants », selon la terminologie des Missions Étrangères, auquel le supérieur des missions vient de révéler leur destination, reçoivent l’hommage de leurs familles et de leurs confrères :
‘L’heure du départ sonne : la volonté ne fléchit pas mais elle combat, la patrie si belle et la famille si bonne, si chaudes les caresses maternelles, si douce l’existence près des frères et des sœurs. La grâce l’emporte et l’apôtre part555.’Comme dans les récits de vocation, le jeune clerc mène une lutte ultime contre les liens naturels qui le retiennent : la patrie (on a souvent, par la suite, reproché à la Société des MEP son patriotisme, parce qu’elle ne recrutait que des francophones), la famille en général et la mère en particulier ; notons une fois de plus l’absence du père, tout au moins du père terrestre. Bien sûr, le missionnaire cède à l’appel intérieur qui le presse de renoncer à ses affections humaines. Nous retrouvons là un stéréotype de la sensibilité missionnaire au XIXe siècle. Parfois, un prélat vient présider la cérémonie, lorsque des jeunes gens de son diocèse sont au nombre des partants. Son discours vante la destinée du missionnaire, évoque la mémoire des anciens missionnaires de son diocèse. Puis, selon la coutume, il leur exprime son respect, par un geste hautement symbolique :
‘Et alors, devant ceux dont il venait de dire les grandeurs, l’évêque se prosterna, gravement, noblement, avec une piété touchante. Huit fois il s’agenouilla, baisant les pieds des porteurs de la Bonne Nouvelle. À leur tour, les Partants s’agenouillèrent devant lui, demandant sa bénédiction. Il les bénit, puis, comme si cette bénédiction ne suffisait pas à son cœur de pontife et de père, dans un élan de tendresse, il les embrassa556.’Cette tradition s’est conservée jusque dans les années cinquante :
‘À la chapelle, en présence des parents et amis, on chantait le chant du départ557 : « Partez hérauts de la Bonne Nouvelle », sur la musique de Gounod. On s’inclinait devant les partants et on donnait le baiser aux pieds des missionnaires. Il y avait encore une cérémonie à la gare de Lyon558. ’Après le trajet en train de nuit jusqu’à Marseille, les partants s’embarquent enfin pour l’Asie. Une courte cérémonie d’adieu se déroule parfois sur les quais :
‘Le navire s’ébranle, il passe, majestueux, devant nous. Les partants sont à l’arrière. Les chapeaux et les mouchoirs s’agitent. Au même instant, cinquante jeunes gens, du haut de la jetée, entonnent le Chant du Départ des missionnaires. Le spectacle est saisissant ! Mais la brume monte rapidement à l’horizon. À trois cent mètres de nous, le navire s’enfonce dans le brouillard et disparaît à nos regards. Adieu, frères, adieu559!’Le style de l’époque, sa grandiloquence, ne doivent pas nous faire oublier que le voyage, puis la vie en mission, comportaient des risques avérés. Les taux de morbidité et de mortalité des missionnaires sont relativement élevés, et leur départ n’en était que plus poignant pour les contemporains. À propos des risques encourus pendant la traversée, Jean Meyer écrit : « À certaines époques, on peut estimer que pour faire arriver un missionnaire, il a parfois fallu faire partir trois, quatre missionnaires […] Au XIX e siècle, cette mortalité « maritime » recule lentement, mais sûrement 560 . » Dans le bateau, les jeunes ecclésiastiques représenteront l’Église. Le règlement a donc prévu qu’avant le départ, d’ultimes recommandations leur soient faites :
‘Le supérieur ou l’un de ses assistants fera connaître avec soin aux nouveaux missionnaires les pouvoirs spirituels qui leur sont accordés pour le voyage, et les instruira de la manière d’en user selon les cas qui peuvent se présenter561.’D’autres conseils leur sont dispensés, sur l’attitude à observer pendant le voyage, afin qu’ils se tiennent « en tout lieu d’une manière édifiante, modeste et conforme à leur vocation ». L’apostolat commence dès l’embarquement. On attend de ces nouveaux prêtres qu’ils se montrent « affables envers tout le monde », patients et discrets, « dans l’exercice même de leurs pratiques de piété. » On leur remet un règlement particulier auquel se conformer pendant toute la durée du voyage562. La vie du jeune missionnaire est tissée de règles circonstanciées, de prescriptions adaptées à toutes les situations qui peuvent survenir : la mort d’un confrère en mer, l’hygiène à bord, les relations avec l’équipage et les autres passagers, le mal de mer, les pratiques de dévotion, les effets personnels indispensables etc. La formation se poursuit au-delà des murs du séminaire. Car il reste encore au jeune clerc à faire ses preuves pendant une période probatoire de trois ans, que les supérieurs peuvent décider de prolonger d’un an, selon les cas563. S’il réussit à franchir cette dernière épreuve, le jeune missionnaire sera définitivement admis dans les rangs de la Société.
Joseph Laigre, né le 30 avril 1822, fut ordonné par Mgr Affre au mois de juin 1847, partit en mission le 21 juillet 1847, mort le 16 avril 1885. Fut supérieur du Collège général pendant presque vingt ans. Vol. 340 B, p. 179, 1885.
« Les classes dirigeantes ne fournissent pas plus de 20 % du clergé. À Vannes, Rennes, Angers, Besançon, la bourgeoisie, en englobant marchands et négociants, ne dépasse pas 15 %, tandis qu’à Rouen, elle se situe à moins de 10% », M. Launay, Le bon prêtre, op. cit., p. 75.
Dans d’autres textes, la vocation, décrite sous son aspect surnaturel exclusivement, est placée dans une perspective eschatologique, prenant le Christ comme le modèle parfait d’une vie de missionnaire, en un saisissant résumé : « Cet abrégé de la vie de Jésus est aussi l’abrégé de la vie du missionnaire. Comme il ordonna à Jésus de quitter son beau ciel pour venir sur la terre, Dieu appelle le jeune homme, lui montrant la terre lointaine qu’il réserve à son activité et à ses travaux. Le jeune homme obéit, il passe au séminaire, dans le travail et la ferveur les plus riantes années de sa jeunesse, de sa vie […] », Allocution de Mgr Germain (évêque de Coutances), Bulletin de l’Œuvre des Partants, 2 septembre 1891, p. 386-387.
« Il nous faut conclure en tout état de cause sur l’importance de la famille dans l’histoire de ce recrutement. Quelles que soient les conditions sociologiques qui président à son évolution, c’est au sein de la famille que tout se décide. Il n’est pas une lettre pastorale ou un texte de circonstance sur le manque de prêtres qui ne fassent appel aux parents en privilégiant d’ailleurs le rôle de la mère, ce qui est de bonne logique à une époque où se manifeste une féminisation certaine de la pratique », Marcel Launay, op. cit., p. 75.
F. Audiau, Souvenirs d’Asie, op. cit. , p. 10.
Idem, p. 11.
Lyon, 1858, t. 30, p. 446-448 : Missions de la Malaisie, extrait d’une lettre de M. Hab, missionnaire apostolique à sa mère, île de Pinang, 2 février 1858. François Hab, 1829-1890.
Père Lerestif, 5 août 1937, DB 54 – 1937 / 19. Beaupréau est le petit séminaire des MEP.
Vol. 339, M. Greiner à M. Albrand, Penang, 9 mai 1861.
« Chez les Michel, agriculteurs à Beaucé (Ille-et-Vilaine), 12 enfants sont nés depuis 1901. Deux sont morts en bas âges. Sur les dix survivants, un seul s’est marié (il a eu dix enfants), les autres sont entrés en religion, 3 filles, 3 garçons frères enseignants et 3 autres missionnaires. Ils avaient commencé le latin au presbytère », G. Cholvy, op. cit., p. 143.
Le cas de ces dynasties d’ecclésiastiques est bien connu des historiens : « Particulièrement probants sont les exemples de véritables familles sacerdotales, qui offrent plusieurs de leurs fils au sanctuaire. Dans le diocèse de Bourges, sur 200 nouveaux prêtres étudiés, 34 proviennent de 17 familles qui ont donné 2 enfants à l’Église, et 15 de 5 familles offrant chacune trois vocations […] », Marcel Launay, Le bon prêtre, op. cit., p. 75.
Cf. Marcel Launay, op. cit., « De l’école presbytérale au petit séminaire », p. 13-32 et Les séminaires français aux XIXe et XXe siècles, Paris, Cerf, 2003, p. 25-69.
« Vocations : prospecter ou convaincre ? Crise du recrutement et dilemmes de la propagande aux Missions Étrangères de Paris, 1930-1950 », Annexes, Suppléments 2-2. Ce texte étudie précisément la création des deux petits séminaires des MEP, dont celui de Beaupréau.
« Mais il faut faire en sorte que ces études si multiples et si diverses, soient organisées avec tant de discrétion que l’accessoire ne l’emporte pas sur le principal et que l’esprit des élèves ne soit pas surchargé plutôt que cultivé », Décret du concile provincial de Tours en 1849, cité par M. Launay, Le bon prêtre, op. cit.
Monita ad missionarios (instructions aux missionnaires), rédigées en 1665 par François Pallu et Pierre Lambert de la Motte, article 5, p. 46-47, AME, Paris, 2000.
François Pottier (1726-1792), Conseils sur la conduite du Collège général, donnés par Mgr Pottier aux directeurs du séminaire des M.E., Setchoan, 16 octobre 1780.
Vol. 902, P. Tisserand au P. Albrand, 2 mars 1853.
Règlement, 1874, chap. V., art. 80, p. 30-31.
Il s’agit de Prosper Delpech, 1827-1909, DB 460-5, M. Chamaison, 22 juillet 1841.
Entretien avec Jean l’Hour, Toulouse, avril 2006, op. cit.
Idem, art 79, p. 30.
A. Launay, Histoire de la Société des Missions Étrangères, 1894, Chap. IX – 7, « Établissements généraux », p. 539-540.
« Durant la Restauration, un minimum de trois ans est acquis pour tous les diocèses. Au milieu du siècle […] la norme est de cinq ans d’études […] Si l’on additionne la scolarité moyenne du petit et du grand séminaire pour ceux qui l’ont suivie jusqu’au bout, on constate que la formation du futur prêtre est fort longue comparativement à celle de nombre de français », M. Launay, Les séminaires français aux XIXe et XXe siècles, op. cit., p. 73.
Francis Audiau, op. cit., p. 10.
Idem, p. 10.
Idem, p. 13.
Idem, p. 11. « Vocations : prospecter ou convaincre ? Crise du recrutement et dilemmes de la propagande aux Missions Étrangères de Paris, 1930-1950 », op. cit.
Entretien avec Jean l’Hour, op. cit., Toulouse, avril 2006, op. cit.
Idem, art. 80, p. 30.
Au sujet de l’utilisation du latin comme langue d’enseignement, voir l’entretien avec Michel Arro, ancien directeur au Collège de Penang, à Singapour en février 2001, op. cit. : « Q. : Utilisait-on dans les séminaires français la même méthode qu’à Penang pour enseigner en latin « langue vivante » ? M.A. : Non, pas du tout. On n’utilisait plus le latin en France. J’ai eu moi-même peut-être en tout et pour tout un ou deux cours en latin lorsque j’étais séminariste à Bièvres, par des professeurs qui étaient des anciens de Rome et y avaient fait leurs études en latin. »
Règlement, 1874, chap. V., art. 76, p. 29.
Cf. D.T.C., vol. VII, col. 744, 1922. Au point de vue du droit canonique : « C’est la conception qui détermine la qualité de l’enfant. » Les fils nés hors mariage ex defectu natalium sont inhabiles à recevoir la tonsure et les ordres, à moins qu’ils ne soient légitimés par le mariage de leurs parents postérieurement à leur conception ou s’ils ont prononcé des vœux solennels de religion ; faute de quoi l’évêque ne peut en aucun cas les accueillir dans un séminaire. Mais ils sont à jamais, même en cas de légitimation, écartés des fonctions du haut clergé (pourpre, épiscopat, supériorat). Idem, vol XIII, col. 2173, 1937 : « Parmi les empêchements de droit commun, maintenus à titre de droit particulier dans les constitutions de certains instituts, la naissance illégitime. »
Règlement, 1874, chap. V., art. 79, p. 30.
Idem, art. 80, p. 31.
Idem, chap. VI, « Des supérieurs des missions », art. 114, p. 43.
« Aux XVIIe et XVIIIe siècle, les missionnaires des Missions Étrangères recevaient leur formation philosophique et théologique dans les séminaires fondés alors par les Sulpiciens ou Eudistes, dans les diocèses, ou dans les universités où ils préparaient licences et doctorats de théologie. Ayant opté pour les Missions Étrangères, ils restaient une ou plusieurs années au séminaire des Missions Étrangères pour achever leurs études ou pour une préparation spirituelle à la mission », in Claude Lange, op. cit.
Règlement, 1874, op. cit., art. 80, p. 30.
Marcel Launay, Les séminaires français aux XIXe et XXe siècles, op. cit., p. 47-89.
« Ainsi l’astronomie et les autres sciences mathématiques, la peinture, les arts mécaniques et autres, tout cela est pour le missionnaire une charge et une entrave plutôt qu’un réel secours. Tout le temps qu’il y consacre est pris sur la prière et les autres fonctions apostoliques. En outre, ils attirent sur le missionnaire une considération et une renommée qui le remplissent de la fumée d’une vaine gloriole », Monita ad missionarios, article 6, « Des autres moyens humains », p. 48.
« Une certaine uniformisation va progressivement se mettre en place, en particulier sous l’influence de Saint-Sulpice, qui propose un cursus largement imité ; une ou deux années de philosophie, quatre années de théologie », Marcel Launay, Le bon prêtre, op. cit., p. 38.
Surtout à partir de 1879, lorsque l’encyclique Aeterne Patris de Léon XIII reconnaît le thomisme, qui concilie foi et raison, comme base de l’enseignement de la philosophie chrétienne.
Denis Boiret, 1734-1813. Il quitta la France pour Rome en mai 1792. Jean Descouvrières, 1744-1804, il émigra à Rome avec Boiret. Cf. Joseph Millot (MEP) : La pensée missiologique de Mgr Luquet, , thèse soutenue en Sorbonne, Paris 1962, cité par Jean Guennou (MEP), Spiritus, n° 16, août-septembre 1963, p. 397-400 : « Les cours consistaient essentiellement à commenter ce recueil qui tenait de la théologie missionnaire, de la pastorale et du droit canonique. L’une des pièces maîtresses en était l’Instruction de 1659, que l’on appelle souvent la charte des missions modernes. Enfin, le P. Millot donne de longs extraits du règlement que l’on mettait entre les mains des aspirants dès leur arrivée au séminaire de Paris. Le texte de ce règlement a plusieurs fois varié au cours des siècles. Mais toutes les rédactions, sans exception, rappellent aux futurs ouvriers apostoliques que « le premier objet de leur mission est de travailler à la formation d’un clergé dans ces pays. »
Cf. Jean Guennou, « Consultation d’archives à propos de Mgr Luquet », p. 125, Bulletin de documentation des Missions Étrangères, mars 1991
A. Launay (MEP), Histoire Générale de la Société des Missions Étrangères, Paris, 1894, Histoire des Missions de l’Inde & Histoire de la mission du Siam, 1662-1811 (2 vol.) Paris, 1898, Histoire des prêtres du Tonkin, Paris, 1900, Mémorial de la Société des Missions-Étrangères, Paris, 1916.
Claude Lange, op. cit.
Benoît XV, Maximum Illud, in DTC, « Missions, Formation des missionnaires », col. 1916 : « Il est bon de se souvenir que le missionnaire aujourd’hui peut rencontrer partout des ministres protestants, sortis des universités d’Europe ou d’Amérique. Tel est également l’enseignement de Pie XI dans sa lettre Unigenitus Dei. »
Claude Lange, Idem.
Monita ad missionarios, chapitre II, Des dispositions que requiert l’apostolat, article 4, « Il faut mettre tous ses soins à connaître l’état de sa mission » et article 5 « L’étude des langues est nécessaire aux missionnaires », p. 36-37.
Cité par Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation, XVIe-XXe siècle, op. cit., p. 59.
Monita, Chapitre II, art. 4, op. cit.
« L’action missionnaire du XIXe siècle vise en premier lieu à opérer une christianisation ‘’par le haut’’, à partir de la conversion des élites et des souverains, avec l’espoir d’entraîner à leur suite l’ensemble de la population », in Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation, XVI e -XX e siècle, op. cit., p. 72. « La ‘’mission par le haut’’ (Jean Pirotte) n’est pas une garantie de succès ; la monopolisation du christianisme par l’aristocratie ou par une élite va repousser d’autres élites »,
M. Spindler, « art 56. Méthodes missionnaires », in Dictionnaire Œcuménique de missiologie, p. 208, Paris, Cerf, 2001.
Monita, Chapitre II, art. 5, op. cit., p. 37-38.
Règlement, 1874, op. cit., chap. VI, « Des supérieurs des missions », art. 119, p. 45.
M. Letondal, « Mémoire adressé aux directeurs de Paris », 1808, vol. 339.
Monita, op. cit., p. 38.
Voir Moussay G. (MEP), Missions étrangères et langues orientales : contribution de la Société des Missions Étrangères à la connaissance de 60 langues d’Asie, archives & bibliothèque asiatique, Paris, 1997.
DB 460 – 5, M. Langlois à M. Lolivier, Paris le 3 novembre 1830. Autre exemple : « Seulement, je vous prierai de vous attacher à nous envoyer de jeunes missionnaires ; car quand on a passé longtemps dans les ministères en France, il est assez difficile de se plier aux fonctions du ministère apostolique. De plus, après un certain âge, on n’a plus le même zèle, ni la même facilité pour apprendre les langues […] », vol. 901, p. 337, M. Boucho à M. Albrand, Pinang, 25 novembre 1843 (reçue le 8 mars 1844). Voir aussi cet autre témoignage : « Quant à moi, je me suis mis à l’étude de l’annamite dès l’instant de mon arrivée. Actuellement je fais librement la classe et j’entends les confessions. J’ai déjà fait le catéchisme en cette langue ; j’espère en quelque temps d’ici de prêcher en annamite. Comme vous savez l’annamite n’est pas facile et c’est un proverbe parmi les missionnaires, que le démon a inventé cette langue pour retarder l’oeuvre du salut chez ce pauvre peuple, plus malheureux que méchant. Quand je fais des fautes en parlant, mes élèves me le pardonnent parce qu’ils savent que je veux leur être utile et que je les aime, et en effet les élèves ont toute mon affection », vol. 339, M. Duclos aux directeurs du séminaire de Paris, 9 novembre 1844.
Règlement, 1874, op. cit, Chap. 5, art. 77, p. 29.
Règlement, 1874, op. cit., Chap. 6, art. 115, p. 43.
Idem, art 84-85, p. 32.
M. Pécot, 20 décembre 1821, vol. 887.
9 déc. 1836, Singapour, M. Miche à M. Le Grégeois, procureur à Macao. Mgr de Bide est Jean Courvezy, 1792-1857, Vicaire apostolique de Siam, puis de la presqu’île de Malacca.
Voir, à ce sujet Claude Guillot, op. cit., « À propos de François Albrand (1804-1867) et de son dictionnaire malais ; les Missions Étrangères de Paris et la langue malaise au début du XIXe siècle », Archipel, n° 54, pp. 153-172, Paris, 1997 : « Il semble bien que les premiers missionnaires Garnault et Rectenwald n’aient jamais eu de dictionnaires à leur disposition. Garnault eut entre les mains une grammaire du malais et il connaissait l’existence d’un dictionnaire malais-latin-malais publié à Rome. Rien ne prouve pourtant qu’il disposait d’un exemplaire de ce dernier ouvrage. Il est sûr en revanche que Rectenwald ne possédait pas de dictionnaire puisqu’il s’en plaint dans une de ses lettres. Le dictionnaire malais dont parle Garnault est assez facilement identifiable. Il s’agit du Dictionarium malaico-latinum et latino-malaicum, traduction en latin, entreprise par le moine David Haex sur les conseils du Cardinal Barberini […] Apparemment, Pécot fut le premier, en 1822, à utiliser un dictionnaire, sans doute apporté de France […]. À cette date existait le dictionnaire malais-anglais de Mardsen publié en 1812. Il semble pourtant bien qu’il faille éliminer ce dernier […] Il semble donc bien que ce soit le dictionnaire de Haex que Pécot avait apporté avec lui de Paris […] Le même dictionnaire de Haex est encore utilisé en 1835 et même en 1844 […]. Les missionnaires utilisaient toujours en 1844 un dictionnaire vieux de plus de 200 ans alors qu’était parue depuis vingt ans la traduction française par C.P. Elout du dictionnaire malais-anglais de Mardsen », Claude Guillot, op. cit, p. 166-167.
« Petit catéchisme », « Pengadjaran mesehi terpendak ».
Vol. 901, p. 493, 19 juillet 1844, M. Bohet à M. Albrand.
« Il fallut attendre encore trente ans, jusqu’en 1875, pour voir paraître en France le premier dictionnaire malais de qualité. On doit cette entreprise, comme chacun le sait, à Pierre Favre, professeur à l’École des Langues Orientales mais aussi ancien missionnaire des Missions Étrangères et donc ancien confrère de François Albrand », Claude Guillot, op. cit., p. 172.
Louis Hutinet, 1877-1967 ; Paul Crétin, 1892-1978.
Les Bahnars, les Rhadé, les Sedangs vivent sur les hauts plateaux de l’ancien Annam. Un aventurier français, Marie-Charles de Mayrena, qui fut un bref moment en relation avec le P. Jean-Baptiste Guerlach, MEP (1852-1912), se proclama roi des Sedangs en 1888, sous le nom de Marie 1er. Ce royaume éphémère disparut un an plus tard. André Malraux consacra un roman, resté inédit, à cet épisode rocambolesque.
J.-B. Mauduit (1822-1859), vol. 901, p. 671, 1844.
Francis Audiau, op. cit. Les langues dravidiennes étaient parlées en Inde avant l’arrivée des Aryens. Elles se sont conservées au sud de l’Inde (Tamoul, Malayalam, etc.)
« Depuis notre arrivée au Collège de Pinang, M. Martin étudie le Cochinchinois et j’ai pris pour ma part l’étude du Chinois selon l’avis que nous en avait donné M. Langlois, avis qui du reste me paraissait fort sage : cependant il ne paraît pas ainsi à tout le monde. MM. Miche et Duclos s’étant aperçu que j’étudiais le chinois me firent différentes observations : en disant qu’ils ne comprenaient pas comment dans un Collège où le nombre des annamites était beaucoup plus considérable que celui des chinois j’étudiais la langue de ceux-ci. M. Miche prétendit même que c’était faire des passes droits aux annamites qui avaient toujours eu à s’en plaindre. Il écouta mes raisons mais ne voulut pas s’y rendre. Parmi les raisons que je lui donnais, je lui dis que je voulais étudier les deux langues, que je devais étudier celle qui était la clé de l’autre », vol. 339, n° 538, M. Thivet, 17 septembre 1848.
Vol 340, M. Thivet à M. Libois, 2 décembre 1848.
En Malaisie, pays cosmopolite, les Européens eurent d’abord recours au portugais des Indes, dont Claude Guillot (op. cit), écrit qu’il s’agissait de leur lingua franca. Or il y avait à Penang, sur la côte ouest, six petites communautés malayophones, que les missionnaires devaient prêcher. M. Rectenwald se mit au malais, « paré d’une véritable dignité grâce à l’utilisation qu’en avait faite par oral et par écrit l’un de leurs grands prédécesseurs, Saint François-Xavier » (Claude Guillot, op. cit., p. 157). Il fit une retraduction en malais des lettres de Saint François-Xavier, aiguillonné par la concurrence des missions protestantes, qui éditaient des livres religieux en malais. Il écrivit aussi des réfutations de l’islam, religion de la majorité des malais. Pierre Pécot rédigea à son tour, avec l’aide d’un catéchiste, Aloysius Brito, des manuels religieux en malais, qui furent expédiés à Paris afin d’être imprimés. Or, son usage du malais fut contesté, notamment par Rectenwald et l’édition fut différée. Jean-Louis Pupier, à son tour, se mit à l’ouvrage, corrigeant le catéchisme de Pierre Pécot et fit imprimer sur les presses de la mission protestante de Penang son « Petit catéchisme » en 1826.
Pierre Pécot, 20 décembre 1821, vol. 887, p. 719.
Entretien avec Jean l’Hour, op. cit. Jean L’Hour a participé à plusieurs traductions de la Bible.
Renouvelés en 1950, lors de l’Assemblée générale des MEP.
Constitutions de 1950 et 1974, Claude Lange, La formation au séminaire des Missions Étrangères dans les années 1950, op. cit.
Vol. 901, p. 325, M. Beurel, Singapour, 13 novembre 1843.
« Je sais me contenter de ce qu’il y a, mais aussi de rien », F. Audiau, op. cit., p. 13. Le supérieur général des Missions Étrangères était alors Mgr de Guébriand, premier à porter ce titre.
Claude Lange, op. cit.
Idem.
Jean l’Hour, op. cit.
« Les décrets du concile de Trente ayant prévu un âge minimal de 21 ans accomplis pour le sous-diaconat, de 22 ans pour le diaconat, l’âge moyen de la prêtrise, si tout se passe bien, se situe vers 24-25 ans. En 1876, sur les 886 prêtres que compte le diocèse de Nantes, la moyenne d’âge à l’ordination se présente ainsi : moins de 25 ans, 20%, de 25 à 29, 74,7%, de 30 à 34 ans, 4,6%, 35 ans et plus, 0,5% », in M. Launay, Les séminaires français, op. cit., p. 73-74.
Allocution de Mgr Germain, Bulletin de l’Œuvre des Partants, 2 septembre 1891, p. 386-387.
Idem, p. 388.
Chant du départ, sur une musique de Charles Gounod, paroles de Claude Dallet (1829-1878). Ce dernier, missionnaire en Inde, composa les paroles de l’hymne en 1852, ainsi que celles du Cantique pour l’anniversaire de nos martyrs, également mis en musique par Gounod, en 1869. Curieusement, son nom, contrairement à celui de Gounod, ne semble pas être passé à la postérité, même chez ses confrères, qui ne le mentionnent presque jamais. Prix de Rome en 1839, Gounod, de retour de la Villa Médicis (notons qu’il rencontra Lacordaire pendant son séjour à Rome), devint organiste et maître de chapelle des Missions Étrangères, en 1843. Il traverse, trois ans plus tard, une brève crise mystique ; entre au séminaire de Saint-Sulpice, porte la soutane et signe ses lettres Abbé Gounod. Le catalogue de ses œuvres comprend environ deux cents pièces religieuses, oratorios, messes, motets, un requiem, des hymnes et des cantiques, dont le célèbre Ave Maria. Le Chant du départ a été incorporé à la cérémonie du départ à partir de 1852. La musique sacrée de Gounod ne fit pas l’unanimité. Dans En route, Huysmans écrit : « Ah ! qui donc se décidera à proscrire cette mystique égrillarde, ces fonts à l’eau de bidet qu’inventa Gounod ? Il devrait y avoir vraiment des pénalités surprenantes pour les maîtres de chapelle qui admettent l’onanisme musical dans les églises », En route, Gallimard, Folio classique, 1996, p. 66.
La cérémonie du départ a été représentée sur un tableau de grand format, dans le style « pompier ». Œuvre de Charles-Louis de Frédy de Coubertin (1822-1908), ce tableau, peint vers 1847, montre le moment où les invités viennent, selon la tradition, baiser les pieds des partants. On y voit notamment Gounod, Lacordaire et Pierre, fils du peintre et futur restaurateur des jeux olympiques. Il fut offert aux missions par l’artiste, après son exposition au Salon. Longtemps placé en haut de l’escalier d’honneur du séminaire de la rue du Bac, il a été récemment accroché dans la Chapelle.
Claude Lange, op. cit. p. 347. « Les adieux se terminaient avec une cérémonie dans notre chapelle et le chant des adieux : ’’Partez, hérauts de la bonne Nouvelle‘’, dont la musique fut composée par Gounod », F. Audiau, op. cit., p. 15.
Bulletin de l’Œuvre des Partants, 1893, p. 790.
Jean Meyer, « Missions et relations maritimes », in Chantal Paisant (dir.), La mission en textes et images, Paris, Khartala, 2004, p. 198.
Règlement, 1874, op. cit., article 85, p. 32.
« Pendant leur voyage, les nouveaux missionnaires auront soin de se comporter en tout lieu d’une manière édifiante, modeste et conforme à leur vocation. Ils conserveront entre eux la charité et l’union la plus parfaite et éviteront avec le plus grand soin toute contestation qui pourrait venir à la connaissance des personnes au milieu desquelles ils se trouveront. Affables envers tout le monde, ils s’abstiendront de toute controverse sur des matières religieuses ou politiques. Patients dans leurs indispositions, contents de peu, comme il convient à des hommes apostoliques, ils ne feront de plaintes et de réclamations que pour des causes graves. Dans l’exercice même de leur piété ou de leur ministère, ils prendront garde d’être importuns et indicrets », Règlement, 1874, op. cit., chap. V, art. 89.
Règlement, 1874, op. cit., Chap. 2, « Des personnes et des corps particuliers qui constituent la Société », art. 11-14. p. 9-10.