a.1 Les offices au Collège général

a.1-1 L’apprentissage de la liturgie
‘« On leur apprendra soigneusement toutes les cérémonies et le plain-chant et on les y exercera
souvent, notamment les dimanches et les fêtes, où tous les clercs
assisteront en surplis à la messe et à vespres 583 . »’

L’étude de la liturgie occupe une place essentielle dans la formation de futurs clercs auxquels sera un jour confié le soin de célébrer le Saint-sacrifice. Les prescriptions du concile de Trente résonnent encore fortement, – son catéchisme est l’une des bases de la formation au Collège –, et les règlements consacrent tous de nombreux articles à ce sujet. Celui du Collège de Siam fixait deux types d’obligations : les unes portaient sur la pratique individuelle, les autres concernaient l’étude des sacrements et des rites :

‘18. Ceux qui n’auront que fort peu de temps apprendront seulement à expliquer les principales parties de la messe et particulièrement le canon, comme aussi les formes des sacrements et on les instruira autant qu’il sera nécessaire des cérémonies, du missel, du bréviaire et du rituel.
20. On les occupera à tout ce qui regarde le service de l’Église, tâchant de leur imprimer un très grand respect pour les petites choses qui appartiennent à l’autel584.’

L’enseignement de la liturgie apparaît assez tôt dans le programme des études. Nous savons, par sa biographie, que Joseph Laigre, chargé de la chapelle à son arrivée en 1848, donnait un cours de liturgie au Collège585. Les procès-verbaux du Conseil mentionnent régulièrement l’existence de tels cours :

‘Organisation des classes ; 3 classes de latin, avec chacune un directeur, une classe d’écriture sainte et un cours de liturgie, qui ont lieu respectivement le dimanche matin de 9 h à 10 h et le dimanche soir de 2 h 30 à 3 h586.’

Entre les deux guerres, les études de liturgie sont toujours au programme pendant toute la durée des études, soit cinq années :

‘Programme des études au Collège. Théologie dogmatique et morale, deux ans ; philosophie, un an, rhétorique, un an, grammaire, un an. Cours de sciences, de liturgie, d’écriture sainte et d’histoire ecclésiastique, une fois par semaine et pendant cinq ans.587

Ces classes requéraient des manuels pour les élèves :

‘Les Séminaristes sont venus me faire part de leur désir d’avoir des Missels pour suivre la Messe. Sauf So et Tsia qui sont munis, ils tireraient sans doute un profit considérable à suivre de près la Liturgie dans un Missel au lieu de suivre simplement une méthode pour entendre la Messe comme il en existe dans les manuels de Piété. Et en leur procurant un missel Dessain format 17 cm sur 11 cm, ils seraient munis d’un missel portatif pour leurs futures tournées d’administration. L’ouvrage leur serait donc utile après le séminaire comme pendant. Certaines missions nous faisant acheter à leur compte des missels de ce genre pour chacun de leurs élèves, je me permets d’interroger Votre Excellence à ce sujet et au cas où Elle approuverait la chose nous ferions la commande de 10 missels pour les élèves de la mission588.’

Les commandes se font parfois en grande quantité : « J’adresse ce jour à la St Louis Ind. School Printing Press, une commande de 100 exemplaires des Élementa Liturgiae du P. Bousquet 589. » Enfin, le coutumier de 1939 nous apprend qu’une salle, dite « salle de liturgie », était spécialement destinée à cet enseignement590.Les professeurs devaient se doter eux-mêmes d’ouvrages de référence, mis à jour, pour préparer leurs cours. Car la liturgie ne s’improvise pas ; elle obéit au contraire, dans l’Église catholique, à des règles extrêmement strictes, les « rubriques », à des codifications immuables (sauf par une décision de Rome), les « cérémoniaux », faute de quoi les célébrations, les sacrements, pourraient être considérés comme invalides. Grâce à l’inventaire après décès du P. Régereau, mort en 1843, nous connaissons l’état de la bibliothèque du Collège à cette époque. Les ouvrages de liturgie y sont dûment représentés591.À l’exception de quelques ouvrages en français, le « rituel de Toulon », par exemple, et de traductions latin-vietnamien, la majorité des manuels (rituel, graduel592, vespéral, bréviaire) sont en latin et d’obédience romaine (rituale romanum, graduale romanum, etc.). On aurait pu s’attendre à un rituel parisien, par exemple, plutôt que toulonnais ; il n’en est rien. Cette liste reflète-t-elle les préférences d’un missionnaire, M. Régereau en l’occurrence, celles des directeurs du Collège, ou encore la tendance générale de la Société, il est difficile de répondre. Mais leur dépendance étroite vis-à-vis de la très romaine S. Congrégation de Propaganda Fide obligeait certainement les missionnaires français, bien avant que les effets de la centralisation romaine ne commencent à se faire sentir, sous les pontificat de Pie IX et surtout de Léon XIII (1878-1903). Un projet de circulaire sur la « transformation du Collège de Pinang », de 1874, confirme l’orientation du style de liturgie souhaitée au Collège :

‘Pour ne parler par exemple, que de ce qui regarde les cérémonies de l’Église, dans beaucoup de missions, les circonstances n’ont pas encore permis de donner au culte extérieur cette pompe et ce relief qui parlent si vivement à l’âme en même temps qu’aux yeux du corps, surtout dans des pays où le sens religieux est ordinairement très développé. Le séminaire général offrira sous ce rapport tout ce que l’on peut trouver en France, non seulement dans les paroisses, mais même dans les grands séminaires593.’

Les professeurs ont dû adapter leurs cours aux évolutions de la liturgie, se tenir informés des nouveaux décrets. En 1886, Herman Metge, regrettant l’absence d’un ouvrage suffisant qui lui permettrait d’assurer son cours, s’est employé à confectionner lui-même un cérémonial, compila des livres faisant autorité, puis sollicita l’avis de ses confrères parisiens :

‘Je vous envoie mon cérémonial, un vrai chiffon, s’il en fut. Je compte sur votre science des choses liturgiques pour mettre la dernière main. Pour les règles spéciales, je n’ai fait que traduire le cérémonial de Paris, ajoutant de temps en temps quelques explications. Je n’ai aucune difficulté à conserver la génuflexion avant les ablutions. Ma raison de douter était que presque tous les auteurs que j’ai pu consulter (Hazé, Bouvry, Romsée, de Conny, Levavasseur et Talise) ou défendent positivement de la faire ou le défendent négativement, ne la prescrivant pas. Je vais tâcher pendant les prochaines vacances de préparer le Cérémonial pour messe chantée avec deux acolytes, ce qui est très pratique pour nous au Collège et aussi je pense dans les missions. Ne craignez pas de déception ni de jalousie de ma part. Le manque d’un ouvrage liturgique pratique et complet pour les prêtres indigènes avait frappé le P. Wallays et j’avais sur son avis, décidé de faire quelque chose. Mais avant d’accoucher de la chose il me faut au moins cinq ans. Voici mon plan. Comme ici le cours de liturgie dure cinq ans, avec une assez longue classe par semaine, on a le temps de voir tout d’une manière assez complète. J’écris mon cours en m’aidant de certains auteurs. Au bout de cinq ans on recommencera avec d’autres auteurs, corrigeant, augmentant, diminuant selon l’opportunité, de manière à inculquer non seulement quelques règles, mais le vrai esprit de l’Église594. ’

Le projet du P. Metge a une spécificité qu’il importe de souligner : il veut rédiger un ouvrage à l’intention des prêtres indigènes. Observons qu’ici les références sont toutes françaises et que le modèle suivi est le « cérémonial de Paris », probablement, en fait, celui en vigueur rue du Bac (ce qui n’implique donc pas qu’il ne se conformât point aux usages romains). La lettre qui suit met d’ailleurs fin à toute conjecture à ce propos :

‘Voici maintenant une idée qui s’est un beau jour éclose dans mon cerveau malade : vous avez à Nazareth une superbe imprimerie, vous avez des confrères savants, des écrivains ; pourquoi ne feriez-vous pas paraître une publication mensuelle ou bi mensuelle, en latin, spécialement destinée aux prêtres indigènes et pas du tout inutile aux missionnaires européens. Ce serait, une chronique de Rome, ou une chronique religieuse générale, faisant connaître et aimer Rome et toute la hiérarchie ecclésiastique aux prêtres indigènes […]595.’

À cette date (1887), les missions sont désormais pleinement assujetties à la S. Congrégation de Propaganda Fide (dont le siège est piazza di Spagna, à Rome). L’une des conséquences de la centralisation romaine est l’accroissement du contrôle des établissements missionnaires en Asie. En juin 1877, la Propaganda Fide avait édité une lettre encyclique, détaillant les soixante-trois questions auxquels les vicaires apostoliques auraient désormais à répondre596. À défaut de pouvoir exiger de fréquentes visites ad limina 597 , à cause de l’éloignement géographique et de la longueur des voyages, la Propaganda Fide adressa aux vicaires et aux délégués apostoliques des questionnaires, les interrogeant sur l’administration, les finances, les œuvres, l’exercice du culte et la liturgie, afin d’unifier et de rationaliser les usages dans l’Église entière598. Déjà, en 1870, Mgr Boucho599 avait eu à répondre à dix questions, parmi lesquelles : « 3° Du clergé, spécialement du clergé indigène – Des séminaires, des études qu’on y fait, des livres classiques ? 9° De l’administration des sacrements et spécialement du mariage ? » À la neuvième question, portant sur l’administration des sacrements, le prélat avait répondu : « Les sacrements sont administrés suivant le rituel romain. Quant au mariage, on suit la direction du concile de Trente avec publication de bans 600 . » Le vicariat apostolique de la Péninsule malaise (rappelons que le diocèse de Malacca avait été réactivé, puis confié par Léon XIII à Mgr Gasnier en 1888), n’échappait évidemment pas à la romanisation et moins encore le Collège de Penang, qui comptait alors une centaine d’élèves :

‘M. le professeur de liturgie demande au Conseil de procurer aux élèves qui suivent son cours et qui n’ont entre les mains aucun auteur, un livre qu’on fera éditer par l’imprimerie de Nazareth, contenant le texte des Rubriques, Missel et Rituel des décrets de la Sacrée Congrégation des Rites. La proposition est acceptée601. ’

Un an après la rédaction de cette lettre, en 1893, la Propaganda Fide publiait le premier tome des Collectanea, recueil de décrets rassemblés à l’origine par les Pères des Missions Étrangères, « arsenal de mesures destinées à réglementer tous les aspects de la vie ecclésiale au profit d’une société chrétienne censée obéir partout aux mêmes impératifs non seulement doctrinaux, mais aussi disciplinaires ou liturgiques 602. » Ainsi, en matière de liturgie, le « style romain » triomphait, et pour longtemps : « Quant à la célébration des dimanches et jours fériés, tout se fait autant que possible en parfaite conformité avec la liturgie romaine 603 .  »

Notes
583.

Avis pour le gouvernement du séminaire de Siam, 1665, Archives de Siam, vol. 129. Chap. III – Avis pour les séminaristes, art. 19.

584.

Idem.

585.

« Après une petite retraite, le Père Laigre se met courageusement à l’œuvre. Toutes les différentes charges de la maison, il les a exercées tour à tour : professeur dans les classes de latinité, puis de rhétorique, de philosophie et de théologie ; préposé aussi aux cours secondaires de liturgie, d’Écriture Sainte, de chant, de sciences physiques et mathématiques », vol. 340 B, p. 179, 1885.

586.

Procès-verbaux, 6 avril 1868.

587.

Vol. 340, n° 59, M. P., Penang, 3 décembre 1920.

588.

DB 460-3, Penang, 27 février 1936.

589.

6 août 41, DB 460-4.

590.

Coutumier de 1939, op. cit. : « Un élève est chargé de la salle de liturgie. »

591.

« De sacramentis in genere : de baptismo, confirmatione, de eucharistia, de extrema onctione, de ordine, de fide, spe et caritate, de matrimonio ; Compendium de missa, de conscientia, bê trong, de actibus humanis, bê ngoài ; Praeceptum 5um ne occidas, 6 t., Rituel sur la manière d’administrer les sacrements, Ritus ministrandi sacramenta, Des obligations des ecclésiastiques (par un docteur en théologie), Rituale romanum, Rituel de Toulon, 8 t., Méthodes de plain chant par la Feillée, 2 t., 5 Graduale romanum et 3 Vesperal romain, Bréviaire romain, 12 t., Manuel des cérémonies romain, 2 t., Manuale ordinandorum », Catalogue des livres appartenant à la Cochinchine et des livres légués au Collège de Pinang par M. Regereau, inventaire après décès, 30 mars 1843, CG 005.

592.

Recueil d’antiennes, hymnes, etc. Un graduel est aussi un chant grégorien que l’on interprète, avant la lecture de l’Évangile, pendant la procession vers l’ambon ; d’où son nom qui vient du latin gradus, marche.

593.

Projet de circulaire sur la transformation du Collège de Pinang, le Conseil de Paris aux Directeurs du Collège de Pulo-Pinang, Paris le 23 février 1874, Paris, DB 460-4 (cette circulaire ne fut jamais envoyée).

594.

BG 1401, P. Metge, Penang, 20 décembre 1886. Herman Metge (1858-1892).

595.

BG 1401, le P. Metge, Penang, 13 juin 1887.

596.

Cf. Claude Prudhomme, Centralité romaine et frontières missionnaires, MEFRIM, t. 109-1997-2, p. 490-491.

597.

Visite à Rome au cours de laquelle un évêque vient officiellement rendre des comptes au Saint- Siège.

598.

« Il se dégage de l’ensemble un évident effort de rationalisation et d’uniformisation des pratiques en référence explicite au concile de Trente », in Claude Prudhomme, op. cit. p. 491.

599.

Mgr Jean-Baptiste Boucho est, depuis 1845, évêque d’Atalie et vicaire apostolique de Malacca. Il meurt un an plus tard, en 1871.

600.

Vol. 904, p. 606, Mgr Boucho, Pinang, 2 mai 1870.

601.

Procès-verbaux, 22 novembre 1892.

602.

Claude Prudhomme, Centralité romaine et frontières missionnaires, op. cit., p. 493.

603.

« État des enseignements au Collège général de Penang », 1870, op. cit.