a.2 Dévotion eucharistique : la messe, la communion, l’adoration du Saint-Sacrement

‘« Immédiatement après la méditation, ils se rassembleront dans la sacristie
et assisteront dans la plus grande révérence au saint sacrifice de la messe
et penseront que le jour où ils manqueraient la messe serait un jour perdu pour eux656. »’

L’eucharistie est le fondement de la dévotion des élèves comme de leurs professeurs. Certes communautaire, cette pratique est également vécue individuellement et contribue au progrès spirituel de chacun : « Recourez fréquemment et avec dévotion aux sacrements de pénitence et de l’Eucharistie d’où viennent la guérison des infirmités spirituelles, l’avancement dans les vertus, la paix et la consolation de l’âme », écrit Mgr Dufresse657. La dévotion eucharistique prend trois formes principales : l’assistance à la messe de communauté quotidienne, la communion, l’adoration du Saint-Sacrement. La lettre de Mgr Dufresse, source constante de méditation pour les séminaristes, insiste sur l’importance de la messe pour leur progrès spirituel :

‘Dans les prières, les méditations et les autres exercices spirituels, consacrez toute l’attention et la dévotion dont vous êtes capables ; mais en premier lieu, assistez au sacrifice de la messe avec la plus grande foi, avec piété et sens de la religion : le Christ est substantiellement présent sur l’autel, entouré par la foule des anges, immolé pour nous et il est prêt à exaucer toutes vos demandes. Exposez donc à ses yeux en toute confiance toute votre imperfection, la lassitude et l’aveuglement de votre âme, les mauvaises habitudes, les périls du péché et tout ce dont vous avez besoin. Ouvrez votre corps et votre désir devant lui et implorez sa grâce auxiliatrice. Recourez fréquemment et avec dévotion aux sacrements de pénitence et de l’Eucharistie d’où viennent la guérison des infirmités spirituelles, l’avancement dans les vertus, la paix et la consolation de l’âme. Abstenez-vous de les recevoir en étant indigne ou par sacrilège, sinon il vous jetterait comme Judas le traître au plus profond des maux et vous perdriez votre salut658 .

On reconnaît ici, à travers la thématique de la piété catholique de « l’âge classique » (cette lettre date de 1809, mais Mgr Dufresse, né en 1750, ordonné en 1774, est un homme de l’Ancien régime), la marque du concile de Trente : la présence « substantielle » du Christ dans l’hostie, les légions des anges, l’importance capitale de la confession et de la communion, la nécessité de nourrir sa foi par des « exercices spirituels » – ceux d’Ignace de Loyola sont mentionnés dans l’inventaire de la bibliothèque du Collège de Penang –, le salut par les œuvres, l’efficace de la « grâce auxiliatrice », la menace, enfin, de la damnation. Les élèves communiaient-ils ? Le règlement du Collège de Siam préconisait la communion quotidienne, en acte ou en intention, « Comment il faut assister à la messe et y communier tous les jours, réellement ou par désir » et la communion dominicale, réellement : « Ils communieront tous les dimanches 659 . » Celui des élèves de 1848 ne recommandait plus qu’une communion mensuelle :« Et s’ils ont l’âge requis et toutes les autres dispositions de l’âme, ils s’avanceront au moins une fois par mois vers la Sainte Table afin que de là ils en reviennent avec une plus grande faim des choses du Ciel 660 » Dans les séminaires français, la communion quotidienne n’était pas courante661. En 1905, Pie X recommanda la communion hebdomadaire, mais les séminaristes devaient s’y être préparé, notamment par la confession.L’examen de conscience et la confession sont instamment recommandés. Une confession générale, à l’entrée au séminaire, semble avoir été imposée aux missionnaires tout d’abord662, puis appliquée aux élèves : elle est toujours mentionnée dans le règlement de 1848663. Cet usage disparaît cependant des textes récents. Autre évolution ; alors que la règle de 1848 prévoit une confession mensuelle, les règlements de 1926 et 1932 la préfèrent désormais hebdomadaire, de même que la communion664. Le recours répété à l’examen de conscience permet à chacun d’évaluer l’étendue de ses progrès ou de ses défaillances665. Il revient au directeur de conscience d’encourager l’élève sur la voie du perfectionnement spirituel et de l’inciter à ne lui rien celer : « Ne dissimulez rien de vos pensées intérieures à votre confesseur, recommande instamment Mgr Dufresse et ne négligez pas l’examen de conscience quotidien »666. Le pénitent scrute sa conscience sous la conduite du confesseur qui décide, après cet examen, s’il lui permettra d’accéder aux sacrements :

Chaque mois, chaque élève accèdera aux sacrements de Pénitence et de l’Eucharistie dans la mesure ou en décidera son directeur de conscience. Une fois par mois, ils pourront faire un court exercice spirituel privé afin de rendre compte à leur conscience de la façon dont ils ont passé le mois précédent et se proposant fermement de passer mieux celui à venir667. Dans les derniers règlements, où l’on cite désormais le droit canon, le substituant même, parfois, aux extraits des Écritures, le canon 891 dispose qu’un supérieur de séminaire ne doit pas confesser les élèves, « sauf dans le cas où ils le requerraient pour une raison grave et urgente »668. Seuls les directeurs de conscience sont habilités à recevoir les confessions afin de ne compromettre ni l’indépendance, ni la neutralité du supérieur. Les coutumiers nous permettent, contrairement à la communion, d’en évaluer la fréquence : « Le samedi comme les confessions du soir devaient empêcher la promenade on la fit le matin avant le déjeuner. La communauté entendit la messe à 9 h ¼ et partit tout de suite après pour la promenade. Elle était de retour à 7 h10 669 . » L’usage s’est perpétué de réserver une partie du samedi aux confessions des élèves, à la veille de la messe du dimanche, ce qui nous porte à penser que la plupart des communions avaient lieu ce jour là, plutôt qu’en semaine : « L’horaire du samedi soir sera comme suit : 2h étude et confessions, 3h15 classe d’histoire, 4h récréation, 4h15 classe de chant suivie de récréation 670 . » L’un des directeurs, le pénitencier, était plus spécialement chargé d’entendre les confessions : « Actuellement je fais librement la classe et j’entends les confessions 671 . » Les règlements anciens donnaient aux missionnaires de judicieux conseils à ce propos, pour ménager les susceptibilités : « Ils donneront une seconde fois la bénédiction à ceux qui ne recevront pas l’absolution, afin que, l’endroit étant ouvert, on ne puisse pas distinguer ceux qui la recevront de ceux qui ne la recevront pas 672 » Il leur est aussi recommandé de veiller à la sincérité des actes de dévotion et de l’usage des sacrements, à la pureté des intentions :

‘Ils ne jugeront pas toujours de la vertu et du mérite par le nombre des confessions et des communions. Comme ces écoliers sont naturellement d’un caractère timide, qu’ils se voient sans ressource dans une terre étrangère et que, par conséquent, leur sort dépend en quelque façon de leurs supérieurs, s’ils s’aperçoivent que, pour leur plaire, et mériter leurs bonnes grâces, il ne s’agit que de s’approcher souvent des sacrements, il est à craindre qu’ils n’achètent leur estime et leur affection au prix de bien des sacrilèges673.’

Le règlement de 1848 stipule que, « le jeudi, ils se rénoveront dans la dévotion au Saint-Sacrement 674  . » Les mentions de cette dévotion sont fréquentes dans les archives du Collège. Les supérieurs ont obtenu, après en avoir réitéré la demande, l’autorisation de conserver la « Sainte réserve » dans la chapelle du Collège : « M. le Sup. fait connaître au Conseil qu’il a obtenu de Mgr la permission de conserver le St Sacrement dans la chapelle. Le Conseil à cette occasion décide que l’on installera le St Sacrement le jour de la fête-Dieu 675 . » La même autorisation est accordée par le Saint-Siège pour la chapelle de Mariophile : « On a pris note aussi d’un indult accordé par le Souverain Pontife à la date du 19 novembre 1882 et qui permet de conserver le T.S. Sacrement dans la future chapelle de Mariophile lorsque la communauté y sera réunie 676 » Notons que, dans ce cas, quarante ans plus tard, la permission de l’évêque du lieu ne suffit plus ; il faut demander à Rome. Dès lors, la dévotion au Saint-Sacrement devient une pratique habituelle, dans les formes traditionnelles : salut du Saint-Sacrement, exposition de l’ostensoir et adoration silencieuse, « À 3h, les Vêpres avec exposition du Saint-Sacrement selon la permission accordée par Mgr Boucho puis bénédiction du Saint-Sacrement après Vêpres 677  ». De telles cérémonies ont lieu fréquemment. Elles revêtent une solennité particulière lorsque la communauté célèbre un évènement important. Pendant l’occupation japonaise, les Pères décident de faire un vœu spécial à Saint-Joseph pour demander la protection du Collège : le salut au Saint-Sacrement fait partie de la célébration :

‘En action de grâce à St Joseph, seront célébrées une messe solennelle, un salut solennel avec exposition du Saint-Sacrement entre messe et salut. Prendront part obligatoirement à l’adoration les séminaristes à tour de rôle et aussi dans la même mesure et manière que les séminaristes les directeurs qui auront été présents au collège entre le 8 décembre 1941 et le retour de la paix en Malaisie678.’

Enfin, à l’ouverture du concile de Vatican II, il est décidé que la communauté fera une neuvaine propitiatoire devant le Saint-Sacrement :« Le conseil décide qu’une neuvaine de Saluts au Saint-Sacrement aura lieu au séminaire du trois au onze octobre afin de prier pour le succès du deuxième concile œcuménique du Vatican 679 . »

Notes
656.

Règlement des élèves, 1848. art. 3.

657.

Lettre de Mgr Dufresse, op. cit.

658.

Règlement, 1848. Mgr Gabriel-Taurin Dufresse, lettre de 1809, archives de Penang, carton 3 - CG 007.

659.

Idem.

660.

Règlement, 1848, Règles générales, art 8.

661.

« La communion quotidienne est encore loin d’être générale. Une enquête menée par l’Alliance des maisons chrétiennes en 1910 constate qu’elle n’est pratiquée que dans trente séminaires sur soixante-cinq », Marcel Launay, op. cit., p. 68.

662.

« Après qu’ils se seront délassés durant quelques semaines des fatigues de leur voyage, ils feront une retraite spirituelle de dix jours et même davantage où après s’être recueillis durant quelques temps contre la grande dissipation que portent en soi les longues courses et s’être purgés par une confession extraordinaire des fautes qu’on y commet souvent, ils s’appliqueront devant Dieu avec une attention particulière à bien connaître et pénétrer les fins de la vie apostolique », Idem, « les missionnaires », art. 3.

663.

« Puisque nous sommes rénovés par l’usage des sacrements, suivant l’opération de la puissance de sa vertu, ceux qui seront inscrits au nombre des élèves se délivreront de leurs péchés d’abord à leur entrée au Collège par une confession générale, mais ensuite ils fréquenteront le sacrement de pénitence », Règlement, 1848, Règles générales, art. 8.

664.

Règlements, 1926-32, chap. 2, De pietate, § 2, exercitia hebdomadaria, art. 7.

665.

« À onze heures trois quarts se fera l’examen de conscience qu’ils devront faire avec attention et piété puisque c’est là la source féconde de la perfection des élèves », Règlement, 1848, Règles particulières, art. 9.

666.

Lettre de Mgr Dufresse, art. 2. : « Je veux donc vous exhorter avec gravité, afin que chacun d’entre vous recherche la volonté divine et s’efforce de mieux la connaître en étant assidus et ardents à la prière et en observant les prudents conseils de vos directeurs de conscience. Scrutez les profondeurs de votre âme et soyez attentifs à votre façon de faire », Idem, art. 5.

667.

Règlement, 1848, Règles particulières, art. 29

668.

R. 1926-32, chap. 2, De pietate, § 2, exercitia hebdomadaria, art. 7.

669.

Coutumier de 1849-1891.

670.

Procès-verbaux, 1er octobre 1932.

671.

Vol. 339, M. Duclos aux Directeurs du séminaire de Paris, 9 novembre 1844.

672.

Règlement pour les missionnaires qui travaillent au Collège, 1764, copie manuscrite en français, destinée au Séminaire de Saint-Joseph, art. VI.

673.

Idem., art. II.

674.

Règles générales, 28.

675.

Procès-verbaux, 12 juin 1848.

676.

Idem, 7 février 1883.

677.

Coutumier (1849-1891), op. cit. , 6 août 1870.

678.

Journal du Collège, 1938-1945, le 19 mars 1945. Idem. 17 février 45 : « Le Saint-Sacrement est enlevé de la chapelle de Mariophile après trois ans et presque trois mois de présence continuelle. » La marine japonaise avait réquisitionné Mariophile.

679.

Procès-verbaux, 24 septembre 62. Une neuvaine : neuf jours de prière.