b. Provicaire en Cochinchine : Go-Thi (1840-1842)

Après la mort le 31 juillet 1840, de Mgr Taberd, Vicaire apostolique de la Cochinchine, la mission est dirigée par son coadjuteur, Etienne Cuenot1659. Ce dernier vit dans la clandestinité au Vietnam depuis cinq ans, à Go-Thi, ville côtière proche d’An Nhon. Il a besoin de renforcer les effectifs de sa mission. Or, la situation diplomatique semble évoluer favorablement et la persécution religieuse s’est momentanément atténuée. Mgr Cuenot en profite donc pour battre le rappel de ses troupes, car il ne lui reste plus qu’un seul missionnaire, François Bringol, qui meurt en décembre 1841. Jean-Claude Miche part aussitôt pour la Cochinchine avec Duclos. Dans une lettre à sa sœur, il raconte en détail les péripéties du voyage, de Penang au port de Binh Dinh, d’où une barque les conduit à Go-Thi :

‘Notre petite bande apostolique se composait de huit personnes, trois missionnaires et cinq élèves cochinchinois qui venaient de terminer leurs études au collège de Pinang. Des jonques mandarines rôdant sans cesse autour de nous, nos bateliers nous placèrent à fond de cale et nous recommandèrent un silence absolu : il y allait de leur vie et de la nôtre1660. ’

A plusieurs reprises, ils manquent tomber entre les mains des douaniers :

‘Le port de Binh Dinh où nous entrions est formé par un bras de mer de quatre lieues d’étendue ; vers le milieu, à l’occident est la maison de la douane dont les nombreux satellites sillonnent la rade en tout sens pour empêcher la contrebande. Deux barques qui cherchaient capture s’approchèrent de nous. Vous comprenez sans que je vous le dise, qu’en pareille circonstance le cœur bat un peu plus vite qu’à l’ordinaire ; car la mort vue de près, s’y exposât-on pour Dieu et pour Dieu seul, a toujours dans ses traits quelque chose qui fait peur.’

Enfin, le 19 juin 1841, ils accostent en Cochinchine :

‘Si M. Barran a reçu la lettre que j’ai eue la joie de lui écrire, il y a quatre mois, vous êtes déjà informé de l’entrée de trois nouveaux missionnaires en Cochinchine. Ce sont MM. Duclos, Chamaison et votre serviteur. Peu de jours après notre arrivée, Mgr de Metellopolis eut la prudence de ne pas nous conserver tous auprès de sa grandeur, de peur de nous exposer au danger de nous voir tous emportés par un seul coup de filet1661. ’

À peine installé, Miche est nommé Provicaire. En quoi son activité consiste-t-elle ? :

‘Depuis mon arrivée, j’ai toujours partagé le petit réduit de Mgr Cuenot, m’occupant soit à enseigner les premiers éléments de la langue latine à quelques élèves sur le point de partir pour le collège général de nos Missions, soit à compléter le cours de théologie des élèves plus avancés, qui ont quitté avec nous le séminaire de Pulo-Pinang1662. ’

Le nombre de catéchumènes, instruits secrètement dans les maisons chrétiennes par des catéchistes parlant leur langue, s’accroît : « Dans le petit village de Go-Thi où je réside avec Mgr Cuenot, quarante-huit adultes ont reçu le baptême 1663. » A l’action des catéchistes s’ajoute celle des prêtres indigènes, pour la plupart instruits au collège de Penang. Ils suppléent les missionnaires, contraints par les circonstances à être discrets : « Une seule imprudence suffirait à rallumer le volcan. » Ce sont ces prêtres qui, « pouvant paraître avec moins de danger que nous, continuent de distribuer aux chrétiens de leurs districts respectifs les secours spirituels indispensables et vaquent plus ou moins à l’administration selon l’imminence du péril. » Les efforts des missionnaires semblent porter leurs fruits, en dépit de la dénonciation de prêtres indigènes ou de chefs de villages chrétiens, arrêtés puis libérés, « contre quelques ligatures données à ces petits mandarinets 1664. » Car la persécution, loin d’entraver la marche de l’évangélisation, semble l’accélérer :

‘Le sang des martyrs, dont le sol annamite a été arrosé commence à porter ses fruits, Aujourd’hui, comme dans les siècles passés, l’Eglise de J.C., baignée dans le sang de ses enfants, n’en devient que plus féconde. On annonce de toutes part à Mgr le Vicaire apostolique les plus belles dispositions de la part des infidèles pour embrasser la foi. Le glaive du tyran tout fumant encore du sang de nos frères égorgés et menaçant toutes les têtes, n’est point un empêchement aux écoulements de la grâce divine ; partout on parle de conversions et souvent ce sont des conversions qui étonnent. ’

Cette entreprise n’est pas sans entraîner des frais :

‘La mission se voit obligée à de grandes dépenses, afin de pourvoir à la subsistance de ces nombreux disciples durant tout le temps de leur catéchuménat. Nous courons maintenant d’assez grands dangers. Comme la disette commence à se faire sentir dans cette province, des gens affamés descendent des montagnes, se réunissent en troupes de trente à quarante hommes et vont attaquer les hameaux à la faveur des ténèbres. Mais à quelle œuvre pourrait-on employer plus efficacement les secours que l’Association de la Propagation de la Foi nous alloue ? ’

Les Annales de l’Œuvre de la Propagation de la Foi ont édité plusieurs de ses lettres, soulevant l’admiration mêlée d’effroi de leurs lecteurs qui savent, en contrepartie, se montrer généreux. En 1841, Miche organise le synode de Go-Thi, convoqué par Mgr Cuenot :

‘Afin de régler les affaires de la mission, d’établir des règles uniformes de conduite et de sacrer pour coadjuteur Mgr Dominique Lefebvre, évêque d’Isauropolis. Tout se passa sans accidents, grâce à la fidélité des chrétiens comme à la prudence du Vicaire apostolique et de ses prêtres : ‘Heureusement, écrivait M. Miche à cette occasion, qu’il n’y a pas nécessité de renouveler souvent de pareils tours de force, car on ne les recommencerait pas impunément sans une providence toute spéciale’1665.’

Notes
1659.

Etienne Cuenot, (1802-1861), évêque de Métellopolis, coadjuteur puis successeur du précédent, Vicaire apostolique de Cochinchine orientale, mort en prison.

1660.

In Annales de l’OPF, à sa sœur, 12 juillet 1841, p. 108-110

1661.

Jean-Claude Miche, 26 décembre 1841, AME, Cochinchine, vol. 749.

1662.

In Annales de l’OPF, à M.M. les directeurs, 26 décembre 1841, p. 118.

1663.

A ce propos, cf. Claude Prudhomme, op. cit. : « Ils [les missionnaires] obéissent à une logique qui passe par l’édification de micro-chrétientés sur lesquelles les missionnaires exercent un contrôle direct, ou indirect à travers des relais locaux ; catéchistes, instituteurs chrétiens ou chefs de villages chrétiens. Le recours aux autochtones est prioritaire (…) », p. 74-75.

1664.

Les ligatures sont des mesures du riz.

1665.

In L.E. Louvet, La Cochinchine religieuse, op. cit., p. 124.